Moins de six mois après son lancement, Boeing Global Services (BGS) développe son activité sur l’Europe. La division consacrée aux services clients – chaîne d’approvisionnement, ingénierie, modifications & maintenance, aviation & analyses numériques, et formation & services professionnels – a ainsi signé un premier contrat avec Latécoère début décembre, pour le rétrofit des cockpits des 777 d’Emirates.
Fin novembre, elle ouvrait son Digital Aviation & Analytics Lab à Francfort, un laboratoire de R&D dédié à la création de nouveaux services pour les compagnies aériennes. Un peu plus tôt dans le mois, sa filiale de maintenance Aviall signait un accord avec Rolls-Royce pour le soutien des moteurs AE 2100. Boeing Global Services confirme donc sa volonté d’accroître sa présence sur un marché européen aux perspectives importantes, comme l’explique David Longridge, son vice-président Ventes commerciales et marketing.
Boeing estime que les services pour l’aviation commerciale en Europe (hors Communauté des États indépendants) représenteront un chiffre d’affaires potentiel de 1 765 milliards de dollars sur les vingt prochaines années. Cette évaluation fait du Vieux Continent le deuxième marché mondial, à égalité avec l’Amérique du Nord (21 % du total mondial chacun), derrière l’Asie-Pacifique. Et ce malgré un taux de croissance annuel parmi les plus faibles, de l’ordre de 3 %.
Parmi l’ensemble de ces services, l’assistance au sol devrait représenter 48 % de la valeur totale du marché européen. Mais ce n’est pas sur ce secteur que Boeing se positionne. Logiquement, l’avionneur entend faire valoir son expertise sur l’ingénierie et la maintenance. Avec 27 % de la valeur totale, ce domaine représente un marché de 490 milliards de dollars sur vingt ans. La conjoncture semble d’ailleurs favorable à Boeing en la matière, comme l’explique David Longridge : « Il y a de plus en plus d’externalisation dans ce domaine de la part de compagnies aériennes, particulièrement chez les low cost ».
Une cible précise
Le constructeur américain découpe ce marché de l’ingénierie et la maintenance en quatre secteurs. Le principal est la maintenance en atelier, qui représente 61 % de la valeur totale du secteur, soit près de 300 milliards de dollars. Suivent la maintenance en ligne (20 %), la maintenance en hangar (12 %, qui intègre les modifications d’avions) et le soutien aux opérations de maintenance (7 %, qui comprend les frais généraux et les achats logiciels). C’est sur ces deux derniers secteurs que l’offre de Boeing semble la plus pertinente, comme le dit le vice-président de BGS : « Notre valeur ajoutée se situe dans l’ingénierie et la maintenance planifiée, ainsi que sur l’organisation logistique. Je ne pense pas que nous deviendrons un géant de la MRO avec des milliers d’employés. Nous pourrons offrir des prestations en atelier si un client insiste, mais ce ne sera pas notre coeur de métier. »
Pour capter son marché, Boeing entend bien développer une offre en adéquation avec la demande actuelle. Pour David Longridge, les compagnies attendent ainsi des services de maintenance flexibles adaptés aux exigences opérationnelles, la mise en place d’outils d’analyse des données en vue d’une maintenance prédictive et enfin un soutien logistique optimisé. « Le temps passé à résoudre les problèmes sera diminué, car l’avion dira ce qui ne va pas », explique-t-il, « même s’il faudra conserver les compétences de base et la documentation. »
Boeing Global Services a ouvert son Digital Aviation & Analytics Lab à Francfort, en novembre. © Boeing
Le boom de la formation
La formation des pilotes et des techniciens pourrait constituer un autre débouché pour Boeing. Si ce domaine ne représente que 2 % de 490 milliards du marché européen, il n’est pas négligeable pour autant. D’autant que le constructeur juge que le besoin actuel de formation est sans précédent. La pénurie de pilotes qui se dessine semble lui donner raison.
Boeing estime ainsi que l’Europe aura besoin de 106 000 nouveaux pilotes dans les vingt prochaines années. Environ 60 % d’entre eux viendront remplacer les départs de pilotes actuels, tandis que les autres répondront à la croissance du trafic. Le moyen-courrier sera le plus gourmand avec 60 % de la demande, devant le long-courrier (30 %) et le cargo (10 %). Une répartition qui correspond peu ou prou à celle des commandes d’avions. A cela, il faut ajouter une demande pour 111 000 techniciens et 173 000 personnels navigants commerciaux. Pour ces deux catégories, environ 90 % des recrutements seront destinés à remplacer les départs et 10 % pour répondre à la croissance de la demande.
Avec l’aide des outils numériques développés par sa filiale Jeppesen, Boeing entend donc proposer des solutions de formation qui se veulent plus efficaces et moins coûteuses. David Longridge mentionne ainsi l’utilisation de divers simulateurs de vol fixes pour les pilotes ou de la réalité virtuelle pour les techniciens. « Nous ne voulons pas réduire les temps en simulateur complet (FFS, ndlr) juste pour réduire les coûts, mais pour rendre ces sessions plus efficaces », commente-t-il.
Des ambitions dans un secteur très compétitif
Boeing espère ainsi faire remonter sa part de marché dans les services. Alors que l’avionneur américain représente environ 50 % de la flotte mondiale installée, il ne fournit qu’une part congrue du soutien (moins de 10 %). « Nous allons être de plus en plus responsable de la disponibilité des avions au départ », affirme encore le vice-président Ventes commerciales et marketing de BGS. Ces services ne s’adresseront pas pour autant qu’aux avions Boeing, mais à l’ensemble des appareils. C’est notamment le cas pour les solutions d’aide aux opérations aériennes, comme les cartes numériques de Jeppesen.
De même, il déclare que « toutes les compagnies aériennes dotées de filiales de maintenance comprennent pourquoi Boeing veut s’engager sur ce marché, même s’il y a quelques tensions. Nous allons continuer à vendre des avions à toutes les compagnies. Ce sera par exemple le cas avec Lufthansa, même si nous sommes concurrents de Lufthansa Technik ».
Quoi qu’il en soit, David Longridge reconnaît que la compétition sur la MRO sera intense et que Boeing a encore de gros efforts à faire. « Nous sommes encore trop lents et trop chers, admet-il. La façon dont nous construisons un avion n’est pas adaptée pour modifier un avion. BGS doit développer sa propre culture. Je suis sûr que notre ligne de services est originale et pertinente. » La nouvelle branche de Boeing va notamment s’appuyer ses filiales – Jeppesen, Aviall, AerData, Boeing Asia Pacific Aviation Services, Boeing Shanghai, CDG et ILS – pour gagner en réactivité et en compétitivité.
David Longridge se montre enfin moins loquace sur la partie militaire de cette offre globale de services. Il rappelle néanmoins que celle-ci s’adresse aux deux mondes, civil comme militaire, tout en respectant les spécificités des différents acteurs qui les composent.