Alors que l’industrie belge se prépare à la réception du F-35 à partir de 2023, la Sabca continue de capitaliser sur le « contrat du siècle » signé en 1977 pour l’achat de 116 avions de combat F-16 (puis 44 supplémentaires en 1983). Partie prenante de la production sous licence des appareils destinés à la Belgique et le Danemark, la Société anonyme belge de constructions aéronautiques assure aujourd’hui la maintenance d’une partie de la flotte de F-16 en Europe et fait même face à une hausse de la demande alors que les différentes armées de l’air préparent la sortie de l’avion.
Comme d’autres industriels belges – à l’instar de la Sonaca – la Sabca a su profiter du contrat du siècle pour structurer et diversifier son activité, et ainsi faire face à la fin de l’assemblage des F-16 au début des années 1990. Une des solutions adoptées fut de développer le soutien des appareils militaires, avions et hélicoptères, avec de la maintenance mais aussi les chantiers de modernisation (MRO-U). Cette activité est principalement assurée sur le site de Charleroi, accolé à l’aéroport de Charleroi Bruxelles-Sud, qui compte près de 300 employés.
« Notre vision est d’être un fournisseur de solutions de soutien, explique Gautier Hucorne, responsable du développement sur le marché de la défense. Nous ne voulons pas seulement faire de la maintenance, mais proposer des solutions adaptées. » Il définit pour cela trois axes stratégiques : continuer d’être un centre d’excellence pour les F-16 en Europe, développer des expertises sur d’autres plateformes comme les drones MALE ou le F-35, commencer à avoir de la MRO délocalisée hors d’Europe au plus près des clients potentiels.
Les F-16 toujours au coeur de l’activité
En ce qui concerne les F-16, les installations de Charleroi peuvent accueillir jusqu’à 40 F-16. « Nous sommes davantage limités par les ressources humaines », concède Arnaud de Patoul, Directeur de l’activité MRO-U. L’activité sur place concerne aussi bien la structure que les composants. « Avoir assemblé l’avion nous donne une connaissance et une expertise technique considérable, se félicite Gautier Hucorne. Hors moteur et avionique, nous sommes capables de traiter et de réparer 95 % de l’avion. C’est absolument essentiel pour nos clients, car nous maîtrisons l’ensemble de la chaîne et donc le prix et les délais. Nous faisons aussi de plus en plus de gestion de pièces de rechange, ainsi que de la gestion d’obsolescence. »
Une grande partie de l’activité est naturellement dédiée au marché domestique. « La défense belge, c’est l’évidence pour nous », déclare ainsi Gautier Hucorne. La Sabca gère ainsi la maintenance en dépôt des 53 F-16 que compte encore la composante air.
Si ce marché est relativement captif, il n’exonère pas la société de faire des efforts en termes de compétitivité mais aussi de qualifications. « Précédemment il était possible de faire de la maintenance aéronautique pour la défense sans aucune certification extérieure, détaille Gautier Hucorne. Cela commence à changer en Belgique. Nous devons être désormais EMAR 145 pour toutes les nouvelles plateformes avec des techniciens qualifiés. C’est une importante transformation que nous avons déjà engagée et nous sommes déjà reconnus par les Néerlandais selon leur propre certification. » Il est rejoint par Arnaud de Patoul, qui explique qu’il s’agit d’une tendance générale en Europe.
Confiance américaine
Ce travail dépasse les frontières de la Belgique. Aujourd’hui, la Sabca se targue ainsi d’être l’un des trois dépôts de maintenance sélectionnés par l’US Air Force pour ses F-16, dans ses installations de Charleroi, avec celui de Korean Air Lines à Gimhae (Corée du Sud) et l’Ogden Air Logistics Complex, situé sur la base Hill dans l’Utah (Etats-Unis). La société assure ainsi la maintenance des appareils basés en Europe, ainsi que la menée des chantiers de rétrofit et la réparation d’avions revenant endommagés de théâtres d’opérations extérieurs.
« Nous faisons de la maintenance pour l’US Air Force depuis 2001, d’abord sur les A-10 puis sur les F-16. C’est un client avec de fortes exigences en termes de prix et de qualité, qui passe de nouveaux appels d’offres publics régulièrement, explique Gautier Hucorne. Il n’y a aujourd’hui plus de A-10 en Europe, mais nous serions prêts à les accueillir s’ils revenaient. »
De même, la Sabca s’occupe de la maintenance des F-16 danois et néerlandais. Concernant ces derniers, « nous en sommes encore plus fiers, admet Gautier Hucorne. Nous avons gagné contre notre actionnaire Fokker et en plus les Néerlandais sont particulièrement attentifs au prix. Ils viennent de signer à nouveau avec nous pour assurer la maintenance jusqu’à la fin de vie de leurs F-16. » Cela comprend notamment les inspections de phases prévues toutes les 300 heures de vol.
Aujourd’hui centralisée à Charleroi (Belgique), l’activité de MRO défense de la Sabca à vocation à être exportée pour se rapprocher de nouveaux clients. © Sabca
Opportunités de transition
« La fin de vie du F-16 en Europe est assez intéressante pour nous, déclare Gautier Hucorne. Cela apporte un certain nombre d’opportunités. Nous faisons ainsi du phase-out management [gestion de sortie de flotte, NDLR] du F-16 pour aller vers le F-35. Nos pays clients actuels n’ont pas assez de techniciens pour gérer ces transitions et travailler sur les deux machines ».
Il s’appuie notamment sur l’exemple des forces belges. Les premiers F-35 sont attendus à partir de 2023, alors que les derniers F-16 resteront en service au moins jusqu’en 2030. Dans le même temps, les effectifs de la composante air doivent passer de 30 000 à 23 000 personnes. C’est aussi le cas pour les Néerlandais : « Nous reprenons la maintenance qu’ils faisaient en base afin qu’ils puissent se concentrer sur le F-35. Nous allons devoir aider de plus en plus les Pays-Bas et la Belgique sur des activités qu’ils faisaient jusqu’ici eux-mêmes. »
Ce pas n’est pas encore franchi pour la Belgique, mais Arnaud de Patoul est convaincu que les interventions sur base vont s’accroître dans les prochaines années, offrant ainsi un relais de croissance à la Sabca malgré la diminution des flottes européennes. Il estime ainsi que l’activité de MRO autour des F-16 va se poursuivre au-delà de 2040.
Besoins de diversification
Comme évoqué par Gautier Hucorne, un autre relais de croissance sera de se développer hors d’Europe pour toucher des flottes plus lointaines. C’est déjà le cas au Maroc, où la Sabca a signé un protocole d’accord (MoU) avec Sabena Aerospace pour développer un centre local de MRO, d’abord pour les C-130. A terme, cette activité pourrait être étendue à d’autres plateformes comme les F-16 (le Maroc devrait renforcer sa flotte avec douze nouveaux F-16V), les Mirage F1 ou les Alphajet. Autant de plateformes que la société belge connaît bien.
Et cela devrait s’étendre à d’autres pays. « Nous débutons par le Maroc car il y a une demande du client et que nous avons un très bon partenaire avec Sabena Aerospace avec qui nous sommes très complémentaires, mais nous étudions la possibilité de faire pareil dans d’autres zones du monde », déclare Gautier Hucorne.
La Sabca se positionne enfin sur de nouvelles plateformes. Elle est ainsi devenue partenaire de General Atomics pour la maintenance des futurs drones MALE MQ-9B SkyGuardian (deux systèmes et quatre aéronefs) achetés par la Belgique et qui devraient être livrés d’ici quelques années.
Autant d’initiatives qui sont sans doute nécessaires pour la Sabca. Si elle entend bien participer à la maintenance des futurs F-35 européens, elle part avec un handicap. La Belgique n’est pas un des pays partenaires du programme, comme peuvent l’être le Danemark, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, ou le Royaume-Uni en Europe. Elle ne peut donc espérer les mêmes retombées industrielles que pour le « contrat du siècle ». C’est notamment le cas pour la maintenance, les installations de Leonardo à Cameri (Italie) ayant été déjà désignées comme le futur grand centre de MRO des F-35 en Europe.