Après quatre longues années d’absence pour cause de pandémie, le salon de la Middle East & North Africa Business Aviation Association (MEBAA), le plus important rendez-vous pour le secteur de l’aviation d’affaires au Moyen-Orient, se tenait sur la plateforme aéroportuaire de Dubai World Central (DWC) début décembre. Le Journal de l’Aviation était présent pour constater des nouvelles tendances particulièrement prometteuses pour cette région, en particulier pour les pays du GCC.
Les Pays du Golfe entendent évidemment dominer la croissance du secteur dans les prochaines années, notamment avec une demande croissante de jets d’affaires très haut de gamme (appareils à large cabine et à très long rayon d’action) mais aussi avec l’acquisition de nouveaux avions commerciaux de nouvelle génération qui viendront opérer pour les très fortunées familles royales de la région, mais pas seulement… Compte-rendu exclusif du salon MEBAA 2022.
Un important moteur de croissance pour les avionneurs dans les prochaines années
Si le salon MEBAA n’a pas été l’occasion d’annonces concernant de nouvelles ventes d’avions d’affaires pour la région (à l’exclusion des avions amphibies électriques Seastar de Dornier Seawings avec la société dubaïote Gulf Enterprise), le très net rebond du secteur constaté après la fin des restrictions de voyages a clairement attisé les appétits des avionneurs qui ont tous logiquement répondu présents.
Il faut dire que les pays du Moyen-Orient ne représentent qu’une petite goutte d’eau dans l’océan de la totalité des avions d’affaires en service au niveau mondial, avec seulement 1,4% des 22.489 de jets d’affaires existant selon le cabinet hambourgeois Wingx Advance. Pourtant, la progression du nombre de vols dans la région sur les 11 premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2019 y est bien plus importante (+46%) que pour les marchés dits « matures » comme l’Amérique du Nord (+12%) ou l’Europe (+16%). Or la région est aussi particulièrement dynamique dans son retour à des niveaux pré-pandémiques au niveau de l’aviation commerciale, ce qui est aussi un facteur très encourageant pour les opérateurs d’avions d’affaires (pas d’effet de report durable vers l’aviation de ligne) et qui commencent donc clairement à manquer d’avions disponibles.
Bien sûr, les effets de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt peuvent aussi constituer des freins dans la région, tout comme le ralentissement de l’économie mondiale et l’instabilité géopolitique (en particulier face à l’Iran). Mais selon Wingx Advance, les recettes liées à l’industrie pétrolière et gazière sont en augmentation et le lancement de grands projets d’infrastructure, par exemple en Arabie Saoudite, constituent en soi de futures opportunités de croissance. Mieux, le Moyen-Orient reste l’un des principaux moteurs pour ce qui est de la génération de particuliers très fortunés (UHNWI), c’est-à-dire de personnes disposant d’une fortune supérieure à 30 millions de dollars, avec une progression anticipée de 170% entre 2016 et 2025, à comparer aux augmentations de 116% et 106% pour l’Amérique du Nord et l’Europe. La région reste donc un formidable moteur de croissance pour l’aviation d’affaires pour les prochaines années.
Dassault Aviation présentait ainsi sur le statique du salon son jet d’affaires ultra long-courrier Falcon 8X, alors que le nouveau centre MRO d’Execujet, qui ouvrira son hangar très bientôt, était déjà bien visible près du terminal dédié à l’aviation d’affaires de DWC. L’avionneur français avait par ailleurs précisé, avant l’ouverture du salon, que certains de ses Falcon 6X, le nouveau biréacteur à large cabine qui sera mis en service l’année prochaine, étaient d’ailleurs destinés à des clients du Moyen-Orient.
Gulfstream présentait quant à lui pour la première fois à Dubaï un de ses G700 entièrement aménagé. L’appareil, qui vient de boucler un tour du monde, participe en effet à la maturité et à la durabilité de plusieurs éléments de la cabine, notamment le système d’éclairage qui soutient l’adaptation du cycle circadien des passagers. Ce dérivé légèrement allongé des G650/G650ER dispose d’un rayon d’action de 7500 nautiques. Sa mise en service est prévue au milieu de l’année prochaine, en attendant l’arrivée du nouveau G800 (8000 nautiques) six mois plus tard. Bombardier n’était évidemment pas en reste avec un Global 7500 (et accessoirement un Global 6000 de l’opérateur dubaïote Empire Aviation), montrant qu’il domine son sujet quand il est question de gros jets d’affaires.
C’est d’ailleurs l’avionneur canadien qui a été à l’origine de la principale actualité du salon MEBAA cette année, avec le lancement de la construction d’un centre de services à Abu Dhabi qui ouvrira ses portes en 2025. D’une superficie de 9 290 m², ce centre MRO abritera un grand hangar, un dépôt de pièces, et pourra accueillir jusqu’à quatre Global 7500 simultanément, ou de futurs Global 8000. Toujours pour la gamme de Bombardier, CAE a profité du salon MEBAA 2022 pour annoncer qu’il posera quant à lui un simulateur FFS au centre d’Emirates-CAE Flight Training (ECFT) d’Al Garhoud, près de l’aéroport international de Dubaï.
Enfin, l’avionneur brésilien Embraer présentait un Preator 500 et un Phenom 300, le premier étant évidemment davantage tourné vers une clientèle du Moyen-Orient, par exemple pour des vols charters, que le second, les jets d’affaires légers tirant encore davantage de la curiosité que d’une réelle attraction dans la région.
Les nouvelles plateformes d’avions de ligne « corporate » en embuscade
Une grande partie de la bataille des Bizliners que se livrent les deux grands avionneurs mondiaux que sont Airbus et Boeing se tient évidemment dans la région du Moyen-Orient et tous deux ont d’importantes ambitions pour leur gamme respective d’appareils de nouvelle génération, alors que la flotte installée ne cesse quant à elle de prendre de l’âge, notamment pour le transport VVIP des gouvernements et des familles royales.
Au niveau mondial et sur l’année 2022 (au 8 décembre), Boeing Business Jets a ainsi placé un total de quatre nouveaux appareils, a livré deux BBJ MAX et vu un gros-porteur BBJ entrer en service. Pour la division ACJ d’Airbus, le bilan est nettement plus positif avec 6 nouvelles commandes et engagements (dont 2 ACJ TwoTwenty, 3 ACJ 319neo/320neo et 1 ACJ330) et 5 livraisons (2 ACJ TwoTwenty, 1 ACJ320neo et 2 ACJ330). Mais les deux avionneurs sont optimistes pour les prochaines années, avec le rebond mondial de l’aviation d’affaires, et même pour les avions gros-porteurs de nouvelle génération.
Chadi Saadé, le directeur commercial d’ACJ, explique ainsi que le Moyen-Orient est le tout premier marché pour les Bizliners, avec 130 appareils en service dans la région, et qui représentent pratiquement la moitié du total des avions VIP dits « haut de gamme ». Une soixantaine de ces appareils sont des ACJ. Selon lui, le marché est particulièrement cyclique et ce ne sont ainsi pas moins d’une centaine d’appareils affichant déjà une moyenne d’âge supérieur à 15 ans qu’il faudra venir remplacer dans les prochaines années, l’équivalent de 40% de la flotte.
L’avionneur européen venait d’ailleurs vanter à Dubaï les mérites du gros-porteur le plus avancé au monde (ACJ350 : autonomie de plus de 22h de vol, 308m2 de surface de cabine…) mais également ceux de son dernier né, l’ACJ TwoTwenty (A220-100) qui ambitionne de s’attaquer directement aux gros jets d’affaires à fuselage large. Il faut dire que cet appareil se situe dans la même gamme de prix (et une surface au sol comparable) tout en offrant une cabine incomparable (surface de 73 m2), sans parler des capacités d’emport de bagages en soute.
Le tout premier ACJ TwoTwenty va d’ailleurs très bientôt être opéré depuis Dubaï grâce à Comlux et au groupe Five Hotels & Resort. Il sera ensuite utilisé pour transporter les clients VVIP du groupe hôtelier de luxe.
L’Arabie Saoudite n’a décidemment pas dit son dernier mot
Mais un autre axe de développement très important pour la région est très logiquement celui qui concerne le nouvel essor de l’Arabie Saoudite, avec ses 34 millions d’habitants et la politique ambitieuse menée depuis quelques années par le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) et son plan Saudi Vision 2030. À chaque événement consacré à l’aéronautique depuis quelque temps, il est maintenant facile de constater une présence toujours plus forte des transporteurs nationaux Saudia, flyadeal et flynas dans l’aviation commerciale, tout comme celle de la société MRO Saudi Aerospace Engineering Industries (SAEI). Le salon MEBAA n’a pas dérogé à cette nouvelle règle avec de nombreuses sociétés saoudiennes présentes, à commencer par SAEI qui compte bien aussi profiter du développement de l’aviation d’affaires dans le pays.
Le CEO de Saudia Private Aviation (SPA), Fahad Al Jarboa, a pour sa part réaffirmé les ambitions de cette ancienne division spécialisée de Saudia qui a commencé ses activités dans le cadre des besoins de transport de la famille royale saoudienne. Aujourd’hui, SPA entend clairement participer au nouveau démarrage de l’aviation d’affaires dans le pays, avec une simplification de la réglementation, une baisse des redevances et des taxes et le développement de nouvelles installations, comme celles des FBO, « qui n’auront rien à envier à ce que proposent les Émirats ou le Qatar en termes d’installation VIP », et notamment pour son installation de Djeddah.
Fahad Al Jarboa concède que jusqu’à présent, le développement de l’aviation privé et d’affaires n’était tout simplement pas une priorité en Arabie Saoudite, tout comme pour la formation de personnels dédiés. « Je ne veux pas paraître négatif, mais l’Arabie saoudite n’était pas vraiment facile d’accès » annonce-t-il. Mais les mentalités sont clairement en train de changer, avec une attention désormais toute particulière portée aux services qui constitueront un avantage par rapport à ses principaux pays voisins. C’est par exemple dans cette logique que la compagnie Saudia a signé fin octobre un protocole d’accord avec la société allemande Lilium pour le développement et l’exploitation d’un réseau d’appareils eVTOL à travers l’Arabie saoudite, avec un potentiel allant jusqu’à 100 avions électriques Lilium Jet. C’est aussi dans cette optique que se développe l’opérateur saoudien The Helicopter and Jet Company (THC) qui multiplie les contrats depuis l’année dernière. SPA n’est pas en reste, voulant ajouter à sa flotte jusqu’à six nouveaux appareils dans les prochains mois pour pouvoir répondre à la seule demande du marché de l’affrètement en Arabie Saoudite.
Fahad Al Jarboa a également expliqué que le transport aérien dans son ensemble était promis à une forte croissance dans les prochaines années, à l’instar du prochain lancement de RIA, une deuxième compagnie aérienne nationale d’envergure qui viendra s’attaquer aux grandes compagnies du Golfe. Il cite notamment le nouveau plan directeur de l’aéroport de Riyad, désormais baptisé King Salman, qui absorbera les installations existantes pour pouvoir accueillir jusqu’à 120 millions de voyageurs d’ici 2030 et 185 millions de voyageurs d’ici 2050, avec de nouvelles ambitions dans l’aviation d’affaires et privée. Il annonce d’ailleurs qu’une démarche similaire sera bientôt également appliquée à l’aéroport King-Abdelaziz de Djeddah. Enfin, même le fameux projet Neom, ville futuriste imaginée dans le Nord-Ouest du royaume est concerné, avec l’ouverture prochaine d’une première phase constituée d’une destination balnéaire de luxe pratiquement située en face de Sharm El Sheikh (Égypte), sur la mer Rouge, avec un premier aéroport (NUM) qui peut évidemment déjà accueillir des avions d’affaires de toutes les tailles.
L’Arabie Saoudite n’aligne aujourd’hui que 21% des 426 avions d’affaires de la région MENA (Moyen-Orient + Afrique), avec une très faible pénétration relative dans sa population (6,2 départs de vols pour 1000 habitants, contre 20,4% aux EAU). Le potentiel de progression est aussi bien là…