Il vaut mieux prévenir que guérir. Derrière ce lieu commun, plus simple à dire qu’à faire, se cache une véritable stratégie d’utilisation des mégadonnées (big data) qui commence à faire son chemin dans la MRO. Air France Industries KLM Engineering & Maintenance (AFI KLM E&M) s’est ainsi lancé dans la course avec son propre outil d’analyse prédictive, baptisé Prognos. Développé dans le cadre du programme d’innovations MRO Lab, il doit permettre de mieux identifier et comprendre l’usure de divers éléments, programmer leur remplacement avant qu’ils ne tombent en panne, et ainsi éviter les coûteuses opérations de maintenance impromptues. La société l’a décliné en deux variantes : l’une pour les avions, Prognos for aircraft, l’autre pour les moteurs, Prognos for engine.
« En tant que compagnie aérienne et société de maintenance, nous disposons à la fois des données issues des vols et celles de l’atelier, explique Rodolphe Parisot, directeur Digital & Innovation d’AFI KLM E&M. Nous avons donc développé des outils concrets pour les exploiter, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Prognos permet une plongée en profondeur dans les systèmes et les sous-systèmes assez unique sur le marché. »
Plus précisément, c’est l’Airbus A380, dont certains éléments étaient sujets aux pannes, qui a amorcé cette démarche. Conscients de la capacité du super jumbo à générer des données bien plus nombreuses que les appareils de générations précédentes, les équipes d’AFI KLM E&M ont cherché les moyens de les utiliser pour gagner en visibilité sur l’exploitation et la maintenance de l’appareil. Une structure dédiée au big data a ainsi été créée chez AFI. Elle a permis le développement, entièrement interne, de cette solution d’analyse prédictive. Une première preuve de concept (PoC) a été réalisée en 2015, puis le projet a commencé à s’industrialiser début 2016.
Utilisation du big data
La transmission des données est effectuée dès que l’avion se pose à l’aéroport. Elle se fait par Wi-Fi ou connexion 4G en fonction des avions (lire l’article : Air France accélère la surveillance de sa flotte d’Airbus). Les moteurs bénéficient pour leur part d’une transmission de données en temps réel grâce à l’envoi des messages Acars aux centres de maintenance. Elles sont ensuite enrichies par des informations complémentaires collectées au sol (lorsque le modèle d’avion le permet). Cette transmission en vol n’est pas encore à l’ordre du jour pour Prognos for aircraft, mais fait partie des prospectives pour les prochaines années. La multiplication des outils de connectivité à bord pourrait accélérer le mouvement.
Ces informations brutes sont collectées, nettoyées, traitées puis analysées pour constituer une base de données structurées. Celle-ci permet de suivre l’évolution d’un composant tout au long de sa vie opérationnelle et d’observer les variations subies. Avec l’utilisation des grandes séries de données, il est ensuite possible de rapprocher les paramètres de ce composant avec ceux du reste de la flotte et d’utiliser des algorithmes pour voir si des corrélations existent. Ces modèles peuvent être affinés en fonction des conditions de vol, du type de rotations effectuées, des destinations desservies, etc.
« Au départ, nous avons fait du troubleshooting (diagnostic et résolution de panne) amélioré, explique David Vazquez, chef de projet Données & Connectivité chez AFI KLM E&M. Cela nous permettait d’identifier plus rapidement la source de la panne, notamment en discriminant la défaillance d’un capteur de celle d’un système. » AFI KLM E&M a, petit à petit, pu établir des modèles capables de détecter les signes avant-coureurs de panne d’un élément. D’où la possibilité de faire de l’analyse prédictive et d’anticiper les opérations de dépannage en les intégrant aux phases de maintenance programmées.
« Prognos permet de détecter une défaillance entre 10 et 20 vols avant que la panne soit effective. Cela nous laisse environ une semaine pour changer l’élément », se félicite David Vazquez. De même, il met en avant la fiabilité de la prédiction : « Tous les éléments remplacés préventivement ont été confirmés en faute par le constructeur. » Il cite aussi l’exemple d’un groupe de pompes carburant sur A380. Sur les quatre pompes d’un même groupe, une seule est qualifiée comme critique pour le vol. Lorsque Prognos a détecté une défaillance à venir sur celle-ci, les équipes de maintenance ont décidé de l’intervertir avec une pompe non critique. La pompe incriminée est bien tombée en panne, mais, grâce à l’échange, l’avion a évité une immobilisation de deux jours à Singapour, soit le temps nécessaire pour acheminer la pièce de rechange.
Extension du périmètre
L’intégration de nouveaux avions et systèmes dans Prognos for aircraft se fait progressivement, en fonction des besoins et des demandes. Avant de pouvoir commencer à exploiter le système pour tel appareil ou tel équipement, il faut une première phase de collecte des données afin de constituer un matelas suffisant et pouvoir en déduire de premiers modèles. Cela prend environ deux à trois mois pour générer des algorithmes efficaces, qui seront améliorés par la suite avec l’enrichissement continu de la base de données.
Les premiers éléments à avoir été traités dans Prognos sont les systèmes carburants, avec leurs 28 sous-systèmes, des A380 d’Air France. Le portefeuille a ensuite été élargi avec l’intégration des trains avant et principaux. KLM a ensuite rejoint le projet avec le Boeing 747.
Actuellement, une dizaine de systèmes – qui comprennent chacun 10 à 20 sous-systèmes environ – sont surveillés sur A380. Sur 787, AFI KLM E&M a mis Prognos en place sur un premier système, et d’autres devraient suivre. Sur A350, le travail débute juste, mais le déploiement sera facilité grâce à une architecture de systèmes proche de celle l’A380. Il en est de même pour le 777 par rapport au 787. AFI KLM E&M vise aussi les A320 et A330, mais les appareils possèdent une structure des données différentes. La vitesse de ces intégrations successives dépendra essentiellement du nombre d’opérateurs qui opteront pour Prognos : plus la base de travail sera large, plus les modèles seront rapides à construire.
Pour l’instant, seule une trentaine d’appareils au sein d’Air France et de KLM bénéficie de Prognos. Ce chiffre pourrait bien augmenter avec la commercialisation de la solution à d’autres opérateurs que les deux compagnies mères. Côté moteurs, Prognos for engine s’installe rapidement dans le paysage. AFI KLM E&M a ainsi 1 500 moteurs dans son portefeuille. Il faut dire que la solution est compatible avec tout type de moteur et de flotte.