Nous avons rencontré Laurent Martinez, directeur de la branche Services d’Airbus, lors du salon MRO Americas d’Orlando en avril. Fort de la signature de quatre contrats Skywise, il revient sur cette annonce et sur les évolutions qu’elle préfigure dans les prochains mois pour Airbus, ses compagnies clientes, ses fournisseurs et les entreprises de MRO.
Vous avez annoncé quatre nouveaux contrats pour votre plateforme de services numériques Skywise au cours du salon MRO Americas d’Orlando. Etes-vous en ligne avec vos prévisions en termes de nombre de clients et de volume de flotte ?
Nous sommes complètement en ligne avec nos objectifs. Nous sommes même très heureux de la dynamique de marché avec huit compagnies clientes lors du salon de Singapour en février et quatre nouvelles compagnies ici à Orlando : Allegiant Air, notre premier client américain, WOW Air, Small Planet et Primera Air.
Il y a deux éléments marquants. Premièrement, avec ces douze compagnies de la famille Skywise, nous aurons 1 200 avions connectés lors de la mise en place du service. Nous arriverons ensuite progressivement à 2 000 avions lorsque l’ensemble des appareils en commande auront été livrés.
Le deuxième point est que Skywise est définitivement à l’agenda de toutes mes discussions avec les compagnies que je rencontre, et j’en ai rencontré quasiment une quinzaine en huit jours. L’intérêt est extrêmement important et la crédibilité de notre combinaison Airbus-Palantir est excellente. Les éléments concrets que nous amenons sur les aspects de maintenance prédictive ou sur l’efficacité dans la collecte de données avec FOMAX – qui sera certifié très prochainement – sont différenciants pour les compagnies.
Je vois vraiment une évolution de la perception des compagnies depuis que j’ai commencé à parler de Skywise avec elles il y a douze mois. Elles me disent toutes « il faut que nous prenions vite ce train, sinon nous allons prendre du retard sur un sujet d’évolution majeur pour notre industrie ».
Qu’est ce que le contrat de soutien à l’heure de vol « FHS-TSP powered by Skywise » signé avec Primera Air a-t-il de spécifique ?
Nous utilisons désormais Skywise pour être différenciants sur nos services matériels. C’est un grand élément de stratégie que de relier les capacités numériques de Skywise avec FHS, avec Integrated Material Services chez Satair, ou encore avec NAVBLUE sur les aspects opérations aériennes, pour faire passer les services dans une autre dimension par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui.
Nous avons lancé ce nouveau service « FHS powered by Skywise » avec Primera Air, avec comme objectif de combiner les capacités numériques de Skywise avec les capacités opérationnelles d’Airbus Flight Hour Services (FHS). L’idée est de transformer la manière dont nous travaillons sur FHS, qui est aujourd’hui réactive, vers un monde proactif. Nous sommes capables de prévoir la défaillance d’un équipement deux à trois semaines avant qu’il tombe en panne, avec une profondeur de champ dans la prédiction.
Il y a un deuxième élément clef : c’est la capacité d’avoir un stock qui dépende de la prévision d’utilisation des pièces, que nous appelons le « right part at the right time at the right place ». Nous avons observé que les demandes de pièces fluctuent en fonction de l’âge et de l’utilisation de la flotte, des événements de maintenance, etc. Nous sommes capables de modéliser ce besoin pour pouvoir éliminer les « waste » sur les stocks trop importants ou les manques sur les stocks trop faibles, et donc réduire des risques financiers et opérationnels.
C’est une manière complètement révolutionnaire d’aborder les services sur les aspects FHS. Nous sommes très contents de mettre au point ce service avec Primera Air, et nous allons le développer de façon industrielle pour l’ensemble de nos clients FHS dans le futur.
A quelle date prévoyez-vous la mise en service de Skywise ?
Le lancement sera progressif, mais les douze compagnies seront toutes en service dans les six à huit mois qui viennent.
Avec 1 200 avions, disposerez-vous de la taille critique pour le faire fonctionner pleinement ?
Complètement. Ces 1 200 avions représentent déjà plus de 10 % de notre flotte en service et ces compagnies ont énormément d’appareils en commandes, avec AirAsia ou easyJet. La flotte va donc rapidement augmenter.
A l’heure où je vous parle, il y a 35 autres compagnies qui sont intéressées de manière très concrète pour rejoindre la famille Skywise. Les annonces ne sont pas finies, avec des accords conclus de manière très régulière. Nous avons d’ailleurs signé un nouveau contrat pendant MRO Americas, qui n’est pas encore annoncé.
Primera Air inaugure le service FHS powered by Skywise. © Airbus
Est-ce que cette transformation numérique va permettre de résoudre les problèmes de chaîne d’approvisionnement actuels pour les pièces de rechange ?
Cela va permettre l’anticipation de la chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, nous avons un système complètement réactif. Dans le monde des opérations, rien ne se passe tant qu’il n’y a pas un événement comme la panne d’un équipement par exemple. Il faut que la maladie ait déjà atteint le malade pour que l’on réagisse, et à partir de là il y a toutes une série d’étapes : il faut enlever le composant, l’envoyer à un atelier, le réparer, etc.
Nous voulons renverser la table et être dans un monde d’anticipation des besoins de réparation ou de rechange grâce à ce modèle dynamique temporel, et ensuite pousser la chaîne d’approvisionnement pour que la pièce soit déjà disponible lorsque l’événement arrive. C’est ce que nous appelons « dynamic inventory » et « dynamic supply chain » par rapport à la « reactive supply chain » actuelle.
Quand est-ce que ces services seront mis en place ?
Nous allons les développer étape après étape avec nos clients dans les dix-huit mois qui viennent, mais avec déjà des éléments très concrets. Notre objectif n’est pas d’avoir une solution « one size fits all », mais des services adaptés aux besoins de chacun d’entre eux.
L’important est qu’avec Skywise et l’ensemble de nos services liés au numérique, nous sommes de plus en plus proches des opérations des compagnies. Nous avons appris que c’est en travaillant avec les utilisateurs finaux des services que nous développons des cas d’utilisation et des routines d’amélioration opérationnelle efficaces. Nous collaborons donc avec Primera Air et un certain nombre de clients pour mettre en oeuvre de façon extrêmement pratique ces « dynamic inventory » et « dynamic supply chain ».
Nous avons des objectifs ambitieux à terme : nous visons jusqu’à 30 % de réduction d’interruptions des opérations grâce à Skywise, ainsi que 20 % d’amélioration de la disponibilité avec des services de type FHS powered by Skywise.
Où en êtes-vous de l’extension de Skywise vers les autres filiales du groupe – Airbus Helicopters et Airbus Defense & Space – et vos fournisseurs ?
Skywise a été conçue pour être utilisée au niveau du groupe. La plateforme est déjà en partie utilisée par Airbus Helicopters et Airbus Defense & Space, mais je ne connais pas dans les détails. Par contre, nous pouvons vous dire que nous cherchons à développer Skywise pour les fournisseurs, pour les EOM et pour les sociétés de MRO, en particulier dans notre Airbus MRO Alliance (AMA).
Nous avons récemment fait des ateliers avec les dirigeants des six membres d’AMA sur la capacité de développer Skywise pour le MRO. Et il devrait y avoir des annonces d’ouverture de Skywise vers des fournisseurs d’ici quelques mois.
Allez-vous aider ces sociétés de MRO et ces fournisseurs à prendre le virage du numérique ?
Certains de nos fournisseurs sont déjà très avancés, comme GE Aviation. Nous allons travailler avec eux, mais ils n’ont pas besoin que nous les aidions. D’autres n’ont pas forcément ces capacités. Nous allons donc clairement aider et travailler avec notre écosystème MRO et fournisseurs pour le faire profiter de Skywise, afin qu’il gagne en efficacité en interne et améliore les opérations de nos clients.
Est-ce que vous pensez que ces innovations vont permettre de mettre en place une véritable continuité numérique, avec des cercles d’innovation continue entre conception, production et opérations ?
C’est bien l’objectif. Grâce à FOMAX et à l’ensemble de ses cas d’utilisation, nous allons être en mesure d’avoir une meilleure compréhension du comportement des composants et de l’avion. Cela va permettre de faire des retours d’expérience par rapport à la conception et l’ingénierie, de continuer à améliorer notre fiabilité et évidemment préparer les prochaines générations avec une information beaucoup plus fine.
Il y a certes de grands acteurs sur le marché, mais est-ce que toutes les petites structures ne risquent pas provoquer des ruptures dans cette continuité numérique ?
C’est un bon point. Je pense que le rôle d’Airbus, via AMA, est d’être en capacité de soutenir des sociétés de MRO qui n’ont pas forcément la capacité d’investir. Ce sont des investissements assez lourds financièrement, mais aussi en termes de personnes, ce qui est sûrement le plus difficile à trouver.
C’est pour cela que nous sommes ravis de pouvoir offrir aux membres d’AMA de participer à l’aventure Skywise avec nous.
Où en êtes-vous du déploiement d’AMA ? Est-ce que l’alliance va grandir ?
Notre priorité est de développer la relation et la valeur ajoutée de nos clients, des membres d’AMA et d’Airbus, avec nos six membres fondateurs. Nous sommes ouverts à une deuxième vague de membres, mais ce ne sera pas avant six à douze mois, de façon très limitée, et avec des sociétés complémentaires qui ne soient pas en compétition frontale avec les membres existants. Nous voulons des membres qui acceptent à 100 % de participer collectivement à AMA.
Avez-vous d’autres partenariats en dehors d’AMA ?
Nous sommes en coentreprise avec SIA Engineering Company sur Heavy Maintenance Singapore Services. Nous sommes également en coentreprise avec Singapore Airlines sur le centre de formation Airbus Asia Training Centre (AATC).
Nous développons aussi des partenariats avec des EOM comme Thales à Singapour également pour de la réparation dans le domaine de l’avionique, ou des start up comme UnaBiz pour les équipements de service au sol (GSE).
Nous travaillons beaucoup au niveau du groupe avec cet écosystème de start up dans le domaine de l’innovation pour pouvoir accéder à des technologies du futur comme le blockchain, intelligence artificielle, réalité virtuelle, etc., qui ont la capacité d’amener des éléments différenciants pour les services.
Y a-t-il une volonté d’étendre ces partenariats à d’autres régions du monde ?
Il y a toujours une équation géographique qui est liée au dynamisme des marchés. L’Asie-Pacifique, avec la Chine, est la région du monde la plus dynamique, sur laquelle on maintient le plus de partenariats, mais l’Amérique du Nord est toujours une région extrêmement importante.
J’étais récemment en Amérique latine et le dynamisme que j’ai vu dans les compagnies qui se sont montées dans les cinq dernières années est juste fantastique. C’est vraiment un continent que nous allons regarder de près, avec des compagnies qui sont très ouvertes à l’innovation.