Tendues pendant de longues années, les relations entre Russie et Chine continuent de se réchauffer tant sur le plan diplomatique qu’industriel. Leur programme commun d’Avion long-courrier gros porteur – le LRWBA, mieux connu sous le nom de C929 – en est l’illustration. Les accords de coopération se multiplient ainsi autour de ce projet. Le consortium russe United Engine Corporation (UEC, membre de Rostec) et le motoriste chinois AECC Commercial Aircraft Engine (AECC CAE) ont signé un mémorandum d’accord, le 20 septembre à Pékin lors d’Aviation Expo China, pour définir les contours de leur collaboration sur le moteur du futur avion.
Ce rapprochement fait suite à la création de la coentreprise China-Russia Commercial Aircraft International (Craic) par le constructeur russe United Aircraft Corporation (UAC) et son homologue chinois Commercial Aircraft Corporation of China (Comac) en mai dernier.
L’accord passé entre UEC et AECC CAE établit « les objectifs et les grands principes d’interaction dans le développement commun d’un turbomoteur pour un futur LRWBA ». Parmi ces objectifs, le mémorandum prévoit le lancement d’un travail commun de recherche et d’analyse pour définir les besoins des clients, établir la conception préliminaire du moteur et déterminer ses principales caractéristiques techniques. Cela laisse supposer que d’autres accords seront nécessaires par la suite pour la conception avancée, la démonstration, la certification puis la production du futur moteur. A en croire Denis Manturov, ministre russe du Commerce de l’Industrie, celui-ci doit commencer ses essais en 2022, en vue d’une certification en 2027.
Faire tomber le dernier pré carré occidental
Le but d’une telle coopération est d’arriver à concevoir un moteur civil compétitif sur le marché mondial sans faire appel à des partenaires occidentaux, comme l’explique Sergey Chemezov, directeur général de Rostec : « Ce n’est pas qu’une question de compétitivité, c’est une question d’indépendance technologique. Notre but ultime est la création de notre propre moteur puissant, de classe mondiale, certifié selon les plus hauts standards internationaux. »
Alors que les barrières commencent à tomber dans de nombreux domaines de l’industrie aéronautique, les moteurs restent en effet l’un des principaux critères discriminants entre les acteurs américains et européens et leurs concurrents des pays émergents. Les motoristes russes font figure d’exceptions au vu de leurs compétences dans les moteurs militaires et de leur expérience passée dans les moteurs civils. Cette dernière date néanmoins principalement de l’époque soviétique et s’est largement étiolée depuis. Dans le même temps, les exigences du marché mondial se sont considérablement renforcées, tant sur le plan de l’efficacité énergétique, que sur celui de la réduction globale des coûts ou de la sécurité.
La Russie veut retrouver son rang
La Russie et UEC ont tout de même lancé des projets de moteurs civils en propre ces dernières années. C’est le cas du PD-14 d’Aviadvigatel, conçu pour le MC-21 d’Irkout. C’est pourtant avec son autre motorisation – des PW1400G de l’Américain Pratt & Whitney – que le monocouloir russe a fait son premier vol en mai dernier. Le PD-14 devrait avoir tout autant de mal à percer sur le plan commercial face au PW1400G, notamment à l’international où Pratt & Whitney dispose d’un solide réseau de soutien.
Si la carrière du PD-14 s’annonce compliquée, il permet aux ingénieurs et industriels russes de regagner en compétences. Il devrait surtout ouvrir la voie à diverses variantes, dont le PD-35, moteur à forte puissance étudié dans la perspective d’équiper un avion long-courrier gros porteur. Celui-ci ne doit aller que jusqu’à une phase de démonstration (équivalent d’un TRL 6), mais la R&D et le travail préparatoire effectués devraient logiquement être intégrés au futur programme sino-russe.
La Chine se met en marche
La Chine ne dispose pas (encore) d’une telle expérience. Elle entend bien rattraper son retard et a lancé pour cela Aero-Engine Corporation of China (AECC) il y a tout juste un an. Cet énorme consortium s’est vu fixer comme objectif par le président chinois Xi Jinping de rattraper le retard pris par rapport aux motoristes occidentaux.
AECC regroupe les motoristes du pays, dont AECC CAE, soit près de 100 000 employés. Il disposait dès sa création d’un capital de près de sept milliards d’euros. La plupart de ses programmes sont pour l’instant militaires, mais AECC devrait acquérir de l’expérience dans le civil avec le CJ-1000A d’AECC CAE. Ce moteur a pour objectif d’équiper d’ici 2025 le monocouloir chinois C919 (pour l’instant motorisé par le LEAP-1C de CFMI).
Cette coopération devrait permettre de combiner l’expérience et les recherches déjà entreprises côté russe, avec la puissance industrielle et économique de la Chine. Si le mélange fonctionne, les deux partenaires peuvent ambitionner de réaliser le moteur de classe mondiale décrit par Sergey Chemezov. Ce n’est qu’à ce prix que le futur C929 pourra espérer avoir une carrière au-delà de ses frontières.