Les résultats présentés il y a quelques jours par Airbus et Boeing ont encore un peu plus confirmé une tendance déjà lourde : les avions moyen-courriers seront la cheville ouvrière de l’aviation de demain. A eux seuls, les appareils remotorisés par les deux géants représentent plus de 10 000 commandes : près de 6 000 pour l’A320neo et plus de 4 300 pour le 737 MAX.
Cette énorme demande crée des opportunités que des nouveaux concurrents entendent bien saisir : on trouve ainsi le C919 du chinois Comac et le MC-21 du russe Irkut. Le premier dispose déjà de près de 800 commandes et engagements quand le second en a plus de 200, essentiellement domestiques. A la marge de ce marché, on peut aussi mentionner le CSeries et ses 360 commandes.
Deux motoristes pour plus de 22 000 moteurs
Construire autant d’avions nécessite de produire plus du double de moteurs. Ainsi, environ 22 000 moteurs ont déjà été commandés et ce total va continuer de grimper. A l’image de ce qui se fait pour les avionneurs – même si le C919 et le MC-21 auront du mal à se vendre au-delà de leurs frontières – cette situation semble porteuse d’opportunités.
Pourtant, à l’heure actuelle, seuls deux motoristes se disputent cet immense marché créé par la nouvelle génération d’avions moyens-courriers : CFM International – coentreprise entre General Electric et Safran Aircraft Engines – et son LEAP, face à Pratt & Whitney et son PW1100G-JM. Ils ont donc la charge d’assumer seuls la production des dizaines de milliers de moteurs de nouvelle génération, attendus rapidement par les nombreux clients d’A320neo et de 737 MAX.
A titre de comparaison, ils sont trois – General Electric, Pratt & Whitney et Rolls-Royce – à se disputer le marché des long-courriers, qui ne représente pourtant aujourd’hui que de deux mille commandes environ.
D’importantes charges à absorber
En l’absence d’un autre concurrent, les backlogs de CFM International et Pratt & Whitney semblent grossir démesurément. Le LEAP a dépassé les 14 000 commandes quand la famille PW1000G (dont fait partie le PW1100G) est proche des 8 000. Cela pose un énorme défi d’accélération des cadences, à l’image du LEAP. De quelques centaines d’exemplaires aujourd’hui, sa production doit passer à 2 000 moteurs par an en 2020. C’est une montée en charge sans précédent.
Cela ne se fait sans heurts. Pratt & Whitney a du mal à suivre la cadence et pénalise les livraisons d’A320neo. CFM International a également rencontré des problèmes qui ont nécessité des inspections à grande échelle et des correctifs. Et même s’ils surmontent progressivement ces problèmes de jeunesse, les deux motoristes doivent rester prudents. Ils ont près de sept ans de production devant eux, mais il faut déjà préparer l’après. Un trop grand dimensionnement des moyens de production risquerait de se payer cher une fois cette intense période passée.
Un troisième motoriste peut-il percer ?
Malgré cette situation, aucun concurrent n’a pour l’instant décidé de saisir l’opportunité. Il faut dire que développer un moteur « from scratch » prend facilement une dizaine d’années et, à l’image de la famille PW1000G, plus d’une dizaine de milliards de dollars d’investissement. Et encore, cela dépend de l’expérience déjà accumulée par le passé. La tâche est d’autant plus homérique que le moteur est la principale amélioration de cette nouvelle génération d’avions par rapport aux précédentes : la demi-mesure n’est donc pas permise.
Certes, les motoristes chinois et russe entendent bien imiter leurs compatriotes avionneurs. Ils développent ainsi des motorisations domestiques en plus des motorisations occidentales standards, mais la tâche s’annonce dure pour un impact limité. Il faudra encore attendre de longues années pour que le CJ-1000A d’AECC soit opérationnel sur C919, et encore plus pour qu’il séduise un client hors des frontières chinoises. Plus expérimenté, le russe Aviadvigatel devrait mettre en service son PD-14 sur le MC-21 plus rapidement, mais là encore il aura bien du mal à l’exporter. En attendant, le LEAP-1C reste le meilleur argument du C919 comme le PW1400G est celui du MC-21.
Il ne reste donc que Rolls-Royce. Longtemps présent sur les moyen-courriers avec le RB.183 Tay pour le Boeing 727 ou encore le V2500 pour l’A320 et le MD-90 (au sein du consortium International Aero Engines), le motoriste britannique a abandonné cette voie depuis plusieurs années. En 2011 il a décidé de se recentrer sur les moteurs à forte puissance et a vendu ses parts dans IAE à Pratt & Whitney. Dans la foulée, il a également abandonné ses projets de nouvelle coentreprise avec le motoriste américain. Ces années perdues seraient difficilement rattrapables, mais le jeu en vaut sûrement la chandelle.