Un an après Skywise, Airbus a dévoilé SmartForce, son équivalent pour le monde militaire, lors du salon de Farnborough mi-juillet. Développé par Airbus Defense & Space, en partenariat avec Airbus Helicopters, SmartForce reprend le concept de plateforme de services numériques basés sur l’utilisation des données développé dans Skywise et l’adapte aux besoins spécifiques des clients étatiques. Stephan Miegel, vice-président principal en charge des Services pour les aéronefs militaires d’Airbus Defense & Space, a accepté de répondre aux questions du Journal de l’Aviation et nous en dit plus sur cet agent de la révolution numérique.
Qu’est-ce que SmartForce ? Un dérivé de Skywise ou un produit totalement nouveau ?
SmartForce est une suite d’outils et de services, majoritairement centrés sur la maintenance, que nous introduisons sur le marché. Naturellement, nous étendons ce qui est déjà fait sur Skywise et nous apportons cette technologie dans le monde militaire. Il s’agit de la même aspiration d’améliorer la disponibilité des aéronefs et de réduire les coûts de maintenance que Skywise.
Il y a quelques différences entre les clients commerciaux et militaires bien sûr. Les clients commerciaux sont très centrés sur les coûts avec la volonté de voir combien d’économies ils peuvent réaliser, tandis que les clients militaires sont davantage intéressés par l’accroissement de la disponibilité de leurs appareils et non pas, bien sûr, dans l’optique de générer plus de revenus. Mis à part ça, disponibilité en hausse et coûts en baisse sont le type d’objectifs que nous recherchons.
Quelles sont les applications possibles de SmartForce ?
Il y a plusieurs produits sous le nom de famille SmartForce. Cela commence avec une offre simple de diagnostic : vous avez accès à une source unique et fiable [Single source of truth] pour toutes les données que les aéronefs génèrent, et vous pouvez les explorer en profondeur pour avoir des informations sur la durée de vie, le taux de défaillance, les pannes possibles, etc. Les clients peuvent comparer leurs produits à ceux des autres utilisateurs. Bien sûr, cela demande de ne pas montrer qui sont les clients et quelles données sont reliées à qui. C’est probablement l’application la plus facile.
Puis il y a la planification de maintenance. Il s’agit de voir quels types d’événements de maintenance arrivent ? Comment pouvez-vous les agréger ? Comment pouvez-vous optimiser les séquences de maintenance programmée comme des Check C, non pas toutes au même moment, mais en fonction de l’activité des aéronefs ?
Enfin, il y a ce que nous recherchons véritablement, avec de très grandes perspectives : la maintenance prédictive. Beaucoup en parlent aujourd’hui, et nous voulons aussi être en mesure de prédire les pannes possibles qui pourraient toucher les aéronefs dans le futur. Cela nous permettra de véritablement planifier la maintenance d’une défaillance à venir à un moment de notre convenance. Si vous savez que l’équipement X risque de tomber en panne au cours des quinze prochaines heures de vol, vous avez le choix entre le changer immédiatement, ce qui peut faire perdre une partie de potentiel du composant, ou continuer à l’exploiter et planifier l’échange lors de la prochaine séquence de maintenance comme un Check A.
Vous obtenez ainsi une meilleure préparation aux missions et une plus grande certitude quant à la capacité d’exécution des missions de votre flotte. C’est un des grands avantages de la maintenance prédictive.
Les opérations commerciales sont très régulières contrairement aux opérations militaires, notamment en OPEX. Pensez-vous que vous pourrez intégrer cela à vos schémas ?
Oui, car pour tout ce qui concerne la certification et la maintenance de votre appareil, vous devez appliquer les mêmes règles à l’étranger que celles que vous avez à la maison. D’une manière générale, si ce n’est pas réellement un sujet de combat, tout ce que vous gagnerez pour ces missions sera comparable à ce que vous gagnez à la maison.
Bien entendu, si nous parlons de l’A400M qui atterrit sur des terrains non préparés, cela générera des éléments supplémentaires. A l’inverse, si nous regardons de l’A330 MRTT, qui fait toujours les mêmes types d’opérations, nous pouvons grandement bénéficier de ce qui est déjà fait dans Skywise. Nous avons déjà une bonne base de données sur l’avion, mais en ce qui concerne les équipements militaires, nous devons désormais la construire.
SmartForce sera premièrement déployé pour l’A400M, l’A330 MRTT et l’Eurofighter côté avions, le NH90 et le Tigre côté hélicoptères. © Airbus Defence & Space
Quels types de plateformes sont-elles concernées par SmartForce ?
Nous voulons intégrer l’ensemble de nos plateformes, mais il est vrai que les dernières mises en service – A400M, A330 MRTT, mais aussi l’Eurofighter – nous donnent déjà des stocks de données de vols. Pour les autres appareils, comme le C295, nous développons des ajouts pour le système qui seront installés sur les appareils des nouveaux clients pour leur offrir la possibilité d’utiliser ce type de technologies. Pas à pas, nous allons essayer de le faire pour tous nos appareils.
Et en ce qui concerne les hélicoptères, dont certains sont de conception ancienne ? Allez-vous les équiper ou cela ne serait pas pertinent ?
Nous sommes fiers que SmartForce serve aux hélicoptères militaires tout comme aux avions à voilure fixe. Le premier appareil sur lequel nous allons nous appuyer sera certainement le NH90 ou peut-être le Tigre. Nous commencerons en même temps que l’A400M et l’A330 MRTT. Après nous verrons en fonction des futures améliorations de l’avionique que nous introduirons sur les autres types d’hélicoptères.
Intégrerez-vous des boîtiers de collecte de données comme FOMAX pour les A320 ?
Tout à fait. Comme vous le savez, les appareils actuels surveillent et génèrent bien plus de données que nous ne pouvons en extraire. Pour les appareils militaires, il faut en plus définir avec les clients quelles informations nous pouvons récupérer. Nous travaillons donc sur des petites boîtes noires comme FOMAX pour rendre ces données extractibles.
Quels clients voulez-vous toucher avec SmartForce ? Militaires, parapublics, etc. ?
Nous voulons toucher tous les utilisateurs de nos produits. Le véritable intérêt, particulièrement pour les clients gouvernementaux et militaires, est bien sûr de rejoindre tout le programme et de mettre leurs données ensemble dans un « data lake » pour les agréger avec celles d’un grand nombre d’utilisateurs. Lorsque vous regardez l’A330 MRTT, vous avez des clients avec quatre appareils, d’autres avec six, ce qui n’est pas comparable au monde civil. Mais si nous regroupons une flotte de cinquante MRTT, nous pouvons faire quelque chose.
Vos clients sont-ils d’accord pour partager ainsi leurs données ?
Tous les clients avec lesquels nous parlons voient les bénéfices. Certains d’entre eux se sont engagés avec nous dans des démonstrations technologiques et tous les résultats obtenus sont allés au-delà de leurs attentes. Ils nous fournissent beaucoup de soutien et ils attendent désormais le lancement industriel de SmartForce au troisième trimestre de cette année. Nous aurons alors un client de lancement.
Nous n’avons pas encore l’accord de tous nos clients, et tous ne feront pas partie de la première vague, mais tout le monde attend d’en apprendre plus sur SmartForce. Je suis convaincu que nous aurons beaucoup de soutien. Ce sera aussi une passerelle pour beaucoup de nos clients afin de faire leur propre transformation numérique.
Vous tournez vous aussi vers vos fournisseurs avec SmartForce ?
Pour l’instant, nous n’avons pas impliqué une large base, mais ce sera assurément la prochaine étape. Nous avons besoin d’intégrer leurs connaissances dans notre plateforme de données et leur rendre disponible pour qu’ils puissent aussi améliorer leurs propres produits.
Aurez-vous un développement commun avec Skywise dans les prochaines années ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Nous allons certainement essayer de bénéficier autant que possible du développement des outils et des services de Skywise mais, en fonction des demandes de nos clients, nous devrons peut-être mettre au point des produits spécifiques au monde militaire pour répondre à leurs besoins propres.