Après des sorties en Asie à l’occasion d’un tour de démonstration, Stefano Bortoli faisait sa première apparition devant la presse occidentale à l’occasion de la présentation des résultats d’ATR, le 31 janvier à Paris. Lui qui est devenu le troisième président exécutif du constructeur franco-italien en moins de trois ans – du fait du court mandat de son prédécesseur Christian Scherer appelé à rejoindre Airbus au bout d’un an seulement – a fait preuve d’une certaine sobriété pour présenter des chiffres, certes solides, mais inférieurs aux prévisions. Ceux-ci semblent refléter l’avènement d’un « marché de niche » pour l’aviation régionale, stable, mais offrant des possibilités de croissance relativement limitées en dehors du renouvellement des flottes.
Au cours de l’année 2018, ATR a ainsi livré 76 appareils, ce qui s’inscrit dans la lignée de l’année 2017 (78 appareils neufs et deux d’occasion). Le constructeur rate néanmoins de quelques marches son objectif de 80 livraisons, annoncé il y a un an. Cela représente un chiffre d’affaires de l’ordre de 1,8 milliard de dollars, stable par rapport aux deux dernières années.
Au final, trois nouveaux opérateurs auront intégré des ATR dans leur flotte au cours de l’année écoulée. Le plus notable est Silver Airways, avec lequel le constructeur signe son retour (fortement attendu) aux États-Unis pour la première fois depuis 1995.
ATR peut néanmoins se targuer d’avoir réussi à relever un défi de taille, à savoir trouver de nouveaux clients pour sept appareils originellement destinés à Iran Air – sur douze livraisons prévues cette année – dont l’exportation a été bloquée par les sanctions prises par l’administration Trump à l’encontre de l’Iran. « Nous y sommes arrivés juste à temps, se félicite ainsi Stefano Bortoli. Nous avons livré le denier avion le 28 décembre. »
Le président exécutif a par ailleurs indiqué que treize des vingt avions commandés par Iran Air avait pu être livrés (huit en 2017 et cinq en 2018), ainsi qu’un stock de pièces de rechange, avant l’entrée en vigueur de l’embargo américain. Le reste de la commande ne pourra pas être exécutée en l’absence d’une évolution de la situation, tout comme la fourniture de services d’assistance.
Côté ventes, le constructeur a engrangé 52 commandes fermes en 2018, auprès d’une quinzaine de clients plutôt bien répartis dans les différentes régions du monde – ce qui n’a pas toujours été le cas pour ATR, dont le centre de gravité s’est souvent situé en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est ces dernières années.
De même, 20 de ces commandes concernaient le modèle 42-600, jusque-là parent pauvre du 72-600. Stefano Bortoli déclare qu’il faudra tout de même attendre quelques années pour voir s’il s’agit d’une tendance de fond ou d’un « exploit » (en français dans le discours).
Cette année 2018 marque néanmoins un recul net par rapport à l’année précédente, où ATR avait signé une très belle performance avec 113 commandes fermes et 40 options. De même, le résultat est en-dessous de l’objectif, fixé à 80 appareils en vue de préserver un ratio commandes/livraisons (« book-to-bill ») autour de 1.
Stefano Bartoli ne s’alarme pas de ce ralentissement et argue que ce ratio est supérieur à 1 sur les vingt-quatre derniers mois : 165 commandes fermes pour 154 livraisons d’avions neufs. « Notre performance est solide et constante en termes de chiffres, a-t-il ainsi déclaré. Je ne suis pas négativement impressionné par ces 52 commandes ». Il met aussi en avant les 208 commandes en réserve au 31 décembre 2018, soit « près de trois ans de production ». Il termine en précisant que seuls 16 % de ses appareils sont destinés à des loueurs, conformément à la stratégie d’ATR de limiter leur poids dans le carnet de commandes depuis quelques années.
ATR a signé son retour aux Etats-Unis avec Silver Airways, dont l’un des avions est ici exposé au salon de Farnborough 2018. © ATR
Un marché stable
Malgré ces déclarations, force est de constater qu’ATR n’annonce plus de hausse de cadences comme ce fut le cas il y a encore quelques années. En 2015, Patrick de Castelbajac, alors patron d’ATR, parlait de passer à 90 livraisons en 2016 et 100 en l’année suivante. Aujourd’hui, la tendance est à une stabilisation autour de 80 machines. C’est d’ailleurs l’objectif pour 2019. Et l’objectif de commandes est identique, toujours dans l’optique de conserver un ratio commandes/livraisons autour de 1.
Malgré les nombreux succès d’ATR ces dernières années, Stefano Bartoli décrit ainsi le transport régional comme « un marché de niche », qui devrait représenter 3 000 livraisons d’avions neufs d’ici 2037. L’objectif semble donc davantage de renforcer la position dominante d’ATR sur le marché existant, notamment à travers les renouvellements de flottes, que de développer de nouveaux débouchés et faire croître le marché global.
La situation actuelle, qui pourrait bientôt aboutir à un monopole d’ATR sur le marché des turbopropulseurs, semble donc davantage convenir à Stefano Bortoli que celle d’il y a vingt ans où cinq constructeurs s’affrontaient pour un nombre d’appareils comparables. En effet, après Dornier, Embraer et Fokker, Bombardier a stoppé son activité sur les turbopropulseurs avec la vente de son programme Q400 à Viking Air. Il faudra néanmoins attendre la finalisation de la transaction au second semestre 2019 pour connaître l’avenir du programme.
Une croissance à trouver ailleurs
Le président exécutif mentionne néanmoins quelques relais de croissance, notamment en Chine. L’Empire du Milieu répond en effet aux deux coeurs de cible d’ATR : le désengorgement des mégalopoles et le développement des lignes entre les villes secondaires. Mais pour l’instant, le constructeur n’a toujours pas réussi à convertir les deux lettres d’intention signées avec les groupes chinois Shaanxi Tianju Investment Group et Xuzhou Hantong Aviation Development au salon du Bourget 2017.
ATR veut aussi étendre ses possibilités en se positionnant sur le marché des pistes courtes, notamment dans les archipels d’îles où la place est limitée. Il travaille pour cela sur la version à décollage et atterrissage courts (STOL) 42-600S, qui pourrait se poser en moins de 800 m. Une campagne d’essais touche actuellement à sa fin et un lancement officiel pourrait intervenir cette année. De même, le constructeur poursuit le développement de la version cargo 72-600F avec FedEx, en vue d’un premier vol en 2020.
Si l’augmentation des livraisons n’est donc plus un objectif pour se développer, ATR compte en revanche sur la croissance des services. Une tendance qui se retrouve dans tous les secteurs de l’aviation commerciale. Stefano Bortoli a ainsi pu afficher une croissance de 15 % des clients pour son Contrat de maintenance globale (GMA) à l’heure de vol.
Et à l’instar de la politique d’innovation incrémentale mise en place pour les programmes depuis plusieurs années, ATR entend bien continuer à améliorer son offre et développer de nouvelles prestations dans les services.