Comme chaque année, l’Association des constructeurs de l’aviation générale et d’affaires (GAMA) a publié son « état de l’industrie ». Et cette édition 2018, présentée le 20 février, s’illustre par une hausse des livraisons, mais une baisse de la valeur unitaire des appareils. Cela semble confirmer le recul du très haut de gamme face à des modules plus modestes. Un phénomène entrevu depuis deux ans, mais qui pourrait trouver ses origines dans des événements plus lointains.
« C’est la première année depuis 2013 que les livraisons sont en hausse dans tous les segments », s’est félicité Pete Bunce, PDG de la GAMA. En effet, les constructeurs d’avions légers et d’affaires affichent une belle croissance de 4,7% par rapport à 2017, avec 2 443 avions livrés. C’est la deuxième année de hausse consécutive après le recul connu en 2016. Loin de retrouver les niveaux fastes de 2007, c’est tout de même la deuxième meilleure année de la décennie après 2014.
Le segment des pistons conserve son entrain (+5%), et atteint les 1 139 livraisons. Les jets d’affaires confirment leur reprise (+3,8%), avec 703 appareils. Enfin, les turbopropulseurs inversent la tendance après la chute surprise de 2017. Avec 5,2% de croissance, c’est le segment le plus dynamique. Surtout, avec 601 livraisons, il signe une des meilleures performances de son histoire, après 2013 et juste derrière 2014. Il faut néanmoins noter que le bilan de la GAMA prend pour la première fois en compte les Twin Otter produits par Viking Air, soit neuf appareils en 2018.
Une valeur unitaire en baisse
L’évolution des revenus tirés de ces livraisons contraste avec ce tableau. Les revenus de la vente de ces avions sont estimés à 20,6 milliards de dollars – somme calculée par la GAMA d’après les informations publiques à sa disposition et hors appareils VVIP d’Airbus et Boeing. C’est-à-dire une croissance de 1,5% par rapport à 2017, plus faible que la hausse du nombre de livraisons.
Là où la valeur moyenne d’un avion livré en 2015 était estimée à 10,4 millions de dollars, elle n’est plus que de 8,4 millions en 2018. Cette tendance est largement impulsée par les jets, appareils les plus chers, dont le prix moyen n’a cessé de reculer depuis six ans. Il est ainsi passé 31,1 millions de dollars en 2013 à 25,4 millions l’an dernier. La tendance est moins claire pour les turbopropulseurs, dont la valeur moyenne a largement fluctuée depuis dix ans.
Pete Bunce y voit les effets d’un marché dopé par l’introduction de nouveaux appareils sur le segment des jets légers depuis deux ans. On peut ainsi citer l’arrivée du SF50 de Cirrus Aircraft, la montée en puissance du HA-420 HondaJet de Honda Aircraft Company, ou encore les débuts du PC-24, bien que celui-ci appartienne au segment des appareils de moyenne gamme.
Les constructeurs ont dû se résoudre à baisser leurs cadences. © Dassault Aviation / P. Stroppa
Le haut de gamme s’affaiblit
Pourtant, force est de constater que ces chiffres illustrent aussi un recul du segment haut de gamme dans les jets d’affaires. Alors qu’ils étaient considérés il y a encore quelques années comme la seule valeur sûre dans un marché durement touché par les crises financières successives (2008 et 2011 notamment), du fait de la fortune de leurs acheteurs potentiels, ils marquent désormais le pas.
Bombardier voit ainsi ses fleurons, les Global 5000 et 6000, reculer depuis 2014. Le nombre de leurs livraisons a même été divisé par deux depuis cette date, passant de 80 à 41 exemplaires, tandis que le segment de moyenne gamme tend à se maintenir malgré quelques remous. Le constructeur a sans doute subi quelques reports de décisions d’achat en attendant l’entrée en service du Global 7500, effective fin 2018, et la modernisation à venir du reste de la famille Global, mais la tendance semble plus lourde.
Le constat est totalement identique chez les deux autres spécialistes du segment, à la différence qu’ils construisent exclusivement des appareils haut de gamme. Chez Gulfstream, la réussite des G650 et G650ER s’amenuise après de belles années et seul le G280, plus petit, se maintient. C’est désormais au G500, tout juste entré en service, et au G600 de prendre le relais.
Et Dassault Aviation est sur la même pente. Le constructeur français ne donne plus le détail entre ses différents modèles, mais la baisse globale est continue depuis 2013. Le nombre de livraisons est passé de 77 à 41 appareils. Les reports puis l’abandon du Falcon 5X n’ont pas facilité les affaires des vendeurs, et il faut attendre encore trois ans avant que le Falcon 6X n’entre en service.
Des origines profondes
Cette évolution peut aussi être vue comme une conséquence à retardement des dégradations violentes du marché après 2008 et 2011. Après avoir investi fortement dans leurs outils de production pour faire face à l’emballement du milieu des années 2000, les constructeurs ont dû faire face aux crises financières, à la baisse des ventes, aux reports de livraisons et aux annulations de commandes. Plusieurs d’entre eux ont pourtant maintenu pendant plusieurs années un fort niveau de production, pensant qu’il fallait laisser passer l’orage pour mieux repartir. Ce fut notamment le cas sur le segment haut de gamme.
Cette inadéquation par rapport aux réalités du marché a entraîné une violente guerre des prix, quitte à brader certains avions pour ne pas multiplier les « white tails » (avions sans propriétaire). Cet affrontement a d’ailleurs contribué à faire baisser la valeur des appareils. Du fait de la confidentialité de ces données, les calculs faits par la GAMA n’ont pu retranscrire pleinement son impact.
Après avoir maintenu artificiellement le marché à un fort niveau, les constructeurs ont fini par se décider à réduire leurs cadences afin de préserver, voire de sauver, leur rentabilité. Ce changement de cap, intervenu dans la plupart des cas entre 2013 et 2015, se traduit depuis par la baisse progressive des livraisons que nous connaissons actuellement. Aussi peut-on penser qu’elles ne font que revenir à niveau normal.
Le G500 a fait son apparition avec ses premières livraisons en 2018. © Gulfstream
Espoir de croissance
Cette baisse de cadences devrait s’avérer salutaire pour les constructeurs haut de gamme. Certes la croissance ne revient pas aussi vite que sur les modèles plus petits, mais cette situation permet d’assainir quelque peu le marché.
Longtemps élevé du fait des crises financières, le nombre d’avions d’occasion disponibles retrouve enfin son niveau d’avant crise. Dans son étude annuelle, publiée en octobre 2018, Honeywell estime ainsi que moins de 9% de la flotte mondiale installée de jets est à vendre. Couplé avec la baisse de la production, cela contribue à faire remonter les prix.
Le groupe américain se montre d’ailleurs très confiant pour les dix prochaines années. Entre le tarissement du marché d’occasion et la croissance économique actuelle, notamment en Amérique du Nord (à condition qu’elle soit durable), Honeywell table sur un besoin pour 7 700 jets d’affaires neufs entre 2019 et 2028. Sur ce total, il estime que les modèles allant du super-moyen au VVIP représenteront 62% des livraisons et 87% de la valeur totale. Cela représente un marché potentiel de 251 milliards de dollars, ce qui donnerait grossièrement une valeur moyenne de l’ordre de 33 millions par appareil.
Il faudra sûrement quelques années avant d’espérer retrouver les niveaux de livraisons du début des années 2010 – ceux de 2007-2008 étant probablement à oublier définitivement – mais les courbes pourraient donc s’inverser prochainement pour le haut de gamme, notamment sous l’impulsion de la nouvelle génération qui se dessine actuellement.