Négociations autour du futur budget européen et donc de l’avenir des programmes de recherche aéronautique Clean Sky et Sesar, World ATM Congress de Madrid, critiques sur le manque d’effectivité du Ciel unique européen (SES), etc., c’est au milieu d’une actualité chargée que Florian Guillermet, directeur exécutif de l’entreprise commune Sesar JU, accorde un entretien au Journal de l’Aviation. Il y explique les grandes étapes franchies et les nouveaux contours de Sesar, programme de R&D qui constitue le pilier technologique du SES pour améliorer la gestion du trafic aérien (ATM) en Europe.
Vous venez de présenter la troisième édition du catalogue de solutions Sesar, qui présente les projets prêts pour une industrialisation. Quelles sont les évolutions par rapport aux deux premières versions, publiées respectivement en 2016 et 2017 ?
Nous voulions un nouveau catalogue pour le congrès de Madrid du mois de mars. Il couvre l’ensemble des solutions identifiées dans Sesar 1, dont les dernières ont été livrées fin 2017, ainsi que les solutions actuellement en cours de développement dans la première vague de projets de Sesar 2020. Celles-ci doivent arriver à maturité fin 2019, avec tout de même un petit degré d’incertitude pour la finalisation de certaines d’entre elles, car nous ne pouvons pas tout anticiper.
Il y a aussi une visibilité sur les projets à venir dans la seconde vague, qui démarrera début 2020 et se terminera en 2022. Cela couvrira l’ensemble des développements identifiés dans la version initiale du Plan directeur de l’ATM européen, le fameux « Master Plan ».
Prévoyiez-vous toujours de sélectionner environ 80 solutions dans Sesar 2020 (2016-2024), sachant qu’il y en avait 63 dans Sesar 1 (2008-2016) ?
Nous sommes toujours autour des mêmes nombres, sachant qu’il y a deux solutions déjà livrées, d’autres en cours de R&D et donc sécurisées, et enfin des projets davantage identifiés comme des solutions potentielles et où nous sommes dépendants des propositions à venir, de leur pertinence et de la maturité atteinte.
Nous faisons passer chaque projet Sesar par une « maturity gate », une phase de contrôle réalisée de manière indépendante, qui définit s’il apporte le niveau de performances attendu et s’il peut-être intégré au catalogue de solutions. Cette liste va donc certainement se réduire, avec un chiffre final qui se situera probablement autour de 50 à 60 solutions industrialisables.
Le World ATM Congress de Madrid a été l’occasion pour Sesar JU d’afficher ses axes de travail, comme le U-Space. © Sesar JU
Leurs objectifs diffèrent-ils de ceux retenus dans Sesar 1 ?
Les axes de performances, dits « key performance areas », ont peu évolué. Sesar 2020 est très centré sur la fourniture de capacités additionnelles dans le système européen, pour faire face à la croissance du trafic et répondre à la crise des retards. Nous essayons néanmoins de mettre l’accent sur l’adaptabilité, c’est-à-dire l’aptitude d’un système à se dimensionner à la hausse ou à la baisse en fonction des évolutions de trafic, ainsi que sur la résilience, pour la gestion des modes dégradés et des facteurs externes notamment dans une problématique de cyber-sécurité.
Nous allons aussi chercher des solutions plus innovantes que dans Sesar 1, avec une intégration plus importante de la recherche amont et le raccourcissement des cycles de développement afin d’éviter d’implémenter des technologies déjà obsolètes.
A ce propos, Sesar 2020 comprend une phase de recherche exploratoire en amont la phase de recherche industrielle et de validation. Comment celle-ci est-elle intégrée ?
Le programme de recherche industrielle est alimenté par deux sources. La première vient directement du Master Plan, qui encadre la R&D conformément au mandat initial de Sesar. La deuxième est issue des avancées technologiques et scientifiques qui émergent à travers la recherche exploratoire, où sont engagés des universitaires, des centres de recherche, etc. Nous en avons fait transiter certain nombre vers la phase recherche industrielle avec la définition de la deuxième vague de projets de Sesar 2020.
Une mise à jour du Master Plan sera remise à la Commission dans les prochaines semaines pour prendre en compte ces évolutions, après une large campagne de consultation de nos partenaires durant l’année 2018.
Avez-vous atteint votre objectif d’ouverture à davantage d’acteurs par rapport à Sesar 1 ? La Commission vous a notamment demandé une meilleure intégration des universités l’an dernier.
Oui, même si cela peut toujours être amélioré. Nous nous rendons compte qu’au fur et à mesure que nous ouvrons nos projets, de plus en plus d’acteurs sont intéressés par ce domaine. Typiquement, sur notre dernier appel de recherche amont, nous avons retenu à peu près 80 participants venus du monde universitaire et de la recherche en dehors des partenaires Sesar.
Est-ce que cela se retrouve aussi au niveau des phases, de recherche industrielle et validation et de démonstration à très grande échelle ?
Nous avons rouvert le partenariat dans Sesar 2020, qui a évolué de manière significative avec des acteurs déjà présents dans Sesar 1 et de nouveaux membres. Nous sommes ainsi passés de 15 à 19.
Nous avons désormais une importante collaboration avec les centres de recherche allemand (DLR) et néerlandais (NLR), à travers le consortium AT-One qui apporte un lien entre les activités de recherche amont et de recherche industrielle. C’est un axe fort de développement de Sesar 2020.
Dassault Aviation nous a aussi rejoint avec des projets de démonstrations très avancés, tout comme le fournisseur de services de la navigation aérienne (ANSP) suisse Skyguide en pointe dans les techniques de virtualisation, et le consortium B4 composé d’ANSP d’Europe de l’Est, une zone géographique qui n’était pas couverte dans Sesar 1.
En dehors du partenariat, nous avons aussi un panel très varié de nouveaux acteurs liés à la question du U-Space – la gestion du trafic aérien des drones – qui ne viennent pas de l’aéronautique.
Airbus et easyJet participent aux démonstrations à grande échelle, avec un premier A320neo équipé d’un FANS-C. © Airbus / P. Masclet
Comment se déroule le déploiement des solutions de Sesar 1 ?
Lors du congrès de Madrid, nos collègues de Sesar Deployment Manager ont présenté une centaine de projets maintenant achevés et qui contribuent clairement à la performance. Un certain nombre d’entre eux s’inscrivaient néanmoins dans la continuité de programmes existants et n’étaient pas forcément au coeur des transformations liées à Sesar, d’autres sont encore en cours jusqu’en 2026. C’est donc un peu tôt pour avoir un avis définitif sur le sujet.
Il y a aussi de plus en plus de solutions adoptées par le marché, avec des investisseurs – ANSP, aéroports ou compagnies aériennes – qui les implémentent sans recourir à des fonds publics. Cela se fait beaucoup de manière locale sans forcément une synchronisation au niveau européen, mais cela apporte tout de même de la valeur ajoutée dans le système.
Avez-vous réussi à mieux prendre en compte les problématiques de livraison et de déploiement dans Sesar 2020 ? La Commission a également fait des recommandations en ce sens.
Nous avons mis l’accent sur les démonstrations à grande échelle, avec une problématique de pré-déploiement, pour prouver les bénéfices apportés par les solutions Sesar dans un environnement opérationnel impliquant notamment les compagnies européennes. Airbus a ainsi livré à easyJet des premiers appareils équipés pour les trajectoires 4D, qui vont participer à notre programme DIGITS développé à partir de Sesar 1.
Si tout ce passe bien au niveau budgétaire, notamment avec le Brexit, nous devrions lancer début 2020 un nouvel appel à projets pour des démonstrations à grande échelle. Ce seront les premières à utiliser les solutions de Sesar 2020.
Travaillez-vous déjà sur les suites à donner à Sesar 2020 ?
Nous envisageons les derniers projets vers fin 2022-début 2023, avant la fin de l’organisation en 2024. Nous sommes aujourd’hui dans les discussions institutionnelles pour la définition du prochain cadre budgétaire de l’Union européenne, et l’avenir de Sesar est clairement dépendant de ces négociations en cours.
Nous avons identifié des futurs sujets de R&D et de démonstration à grande échelle à travers deux démarches. Il y a d’abord la mise à jour du Master Plan, avec des problématiques fortes de transformation numérique et d’intégration de nouveaux entrants comme les drones ou les opérations suborbitales.
Ensuite, nous avons rendu publique une étude sur les architectures d’espace aérien, qui regarde comment articuler les dimensions technologique et opérationnelle avec l’organisation des services de navigation aérienne à l’échelle européenne, dans un horizon 2020-2030.
Il y a la nécessité de poursuivre les actions de recherche, et Sesar et Clean Sky ont de très bons arguments à faire valoir sur l’importance de l’échelle européenne, les bénéfices environnementaux et sociétaux.