C’est une décennie de travail qui est sur le point d’aboutir. Lors du salon du Bourget, qui ouvrira ses portes le 17 juin, Thales présentera FlytX. Il s’agit de la version opérationnelle du cockpit du futur de l’électronicien français, issue des travaux réalisés au travers d’ODICIS, puis d’Avionics 2020. Un premier contrat sera enfin annoncé, mettant ainsi fin à une longue attente qui donnait de plus en plus l’aspect d’une Arlésienne au programme. Il s’agit du futur hélicoptère interarmées léger (HIL) des forces françaises, tout juste baptisé Guépard par Florence Parly, ministre des Armées, le 29 mai.
Avec ODICIS et Avionics 2020 – dévoilés eux aussi lors du salon du Bourget, respectivement au cours des éditions 2011 et 2013 – il s’agissait de faire la démonstration de concepts pour bâtir le cockpit du futur, explique Guillaume Lapeyronnie, responsable marketing de l’activité Avionique de vol. Cela a permis de développer un certain nombre de briques technologiques telles que les écrans tactiles, la modularité, la contextualisation des informations, etc., jusqu’à à arriver aujourd’hui à « un produit réel » sur le plan matériel et logiciel, c’est-à-dire FlytX. Thales y a néanmoins ajouté deux éléments supplémentaires désormais incontournables : la connectivité permanente et l’intelligence artificielle.
Une avionique compacte et repensée
FlytX répond ainsi à quatre critères. Il se veut tout d’abord compact. Il reprend ainsi le principe désormais habituel du « glass cockpit », avec une configuration de base à quatre écrans adaptable selon le type d’aéronefs. Surtout, il intègre les calculateurs directement dans ces écrans, qui peuvent alors héberger un certain nombre d’applications et ainsi remplacer une quinzaine d’instruments présents dans les avioniques actuelles, en particulier au niveau du pylône central (« control panel »). S’il reconnaît que toutes les commandes ne sont pas « virtualisables », Guillaume Lapeyronnie juge que c’est le cas pour 60 à 80% d’entre elles. Il estime que le gain de SWaP (taille, masse et puissance) est de l’ordre de 30 à 40% par rapport aux cockpits tout-écran actuels.
Le deuxième principe est une conception centrée autour de l’équipage (« crew centric »), afin de faciliter son travail et l’accès aux informations. Guillaume Lapeyronnie décrit FlytX comme une avionique « simple et intuitive » avec de nombreux bénéfices, dont une formation allégée, une baisse de la charge de travail, une amélioration de la compréhension de la situation par les pilotes.
La principale rupture se situe dans la façon d’apporter de l’information à l’équipage. Plutôt que d’aller chercher un par un les éléments utiles dans les différents systèmes, les pilotes bénéficient directement de données regroupées et contextualisées pour chaque point d’intérêt (aéroports, trafic, points de passage, etc.) et selon les phases de vol (décollage, croisière, approche, etc.). Des avancées permises notamment grâce à l’utilisation d’agents intelligents développés à partir de l’IA, détaille Vincent Megaides, vice-président en charge de la stratégie avionique. Cela va conduire à une toute nouvelle façon de penser à bord, mais Thales se montre confiant dans son acceptation au vu des nombreuses séances de travail en collaboration avec des pilotes.
Les écrans tactiles multipoints sont un autre élément de simplification du travail. Un important développement a été nécessaire pour adapter cette technologie à l’aéronautique, jusqu’ici davantage réservée aux appareils électroniques personnels. A en croire Thales, ces écrans peuvent être utilisés avec des gants (fréquents chez les pilotes d’hélicoptères) ou lors de fortes turbulences. Pour ce dernier point, l’électronicien français reprend la possibilité de s’accrocher avec les doigts au bord de l’écran, déjà retenue par Honeywell Aerospace pour la planche de bord Symmetry des Gulfstream G500/600.
FlytX, ici configuré pour un avion régional, a été conçu pour pouvoir être adapté à des appareils de tout type et de toute taille. © Thales
Des conceptions ouvertes
Le troisième élément est la personnalisation. « L’objectif n’est pas de fournir une solution fermée, mais flexible, affirme Guillaume Lapeyronnie. Les constructeurs doivent en faire leur propre solution et avoir de l’autonomie pour gérer l’évolution de leur produit. » FlytX répond ainsi au principe de l’avionique modulaire intégrée déjà présente sur les Airbus, qui permet l’agrégation de différents systèmes et ouvre des possibilités d’innovation incrémentale (sans obligation de faire re-certifier l’ensemble de l’avionique). Dans cette même logique, le futur cockpit de Thales pourra aussi héberger des applications développées par des fournisseurs tiers.
Le quatrième et dernier axe est la connectivité, qui sera hébergée de façon native au sein de FlytX. Le cockpit pourra ainsi communiquer avec des tablettes numériques utilisées comme EFB, qui pourront être affichées et directement contrôlées sur un des écrans tactiles (ségrégé du reste du système pour l’occasion), mais aussi directement avec le sol. Ce sera notamment le cas via le nouveau système de gestion de vol (FMS) PureFlyt, actuellement développé par Thales en parallèle de sa nouvelle avionique. Les informations de vol ou météorologiques extérieures pourront ainsi être consolidées directement au sein du système, détaille Vincent Megaides.
La prudence est de mise
Il reste néanmoins encore du travail à Thales pour arriver à un produit pleinement opérationnel. FlytX va continuer à monter en maturité pendant les deux prochaines années, notamment pour son intégration au sein d’un aéronef. L’objectif est de lancer une première phase de certification à partir de 2022. Le développement devrait se poursuivre au-delà de cette date, avec une feuille de route tracée jusqu’en 2025 et une ligne directrice jusqu’en 2030.
L’objectif sera d’intégrer pleinement la connectivité jusqu’à la rendre permanente, ainsi que l’intelligence artificielle. Le système FlytX s’inscrit ainsi en droite ligne de la révolution numérique menée par Thales depuis sept ans, affirme Vincent Megaides, dont le développement s’appuie sur quatre piliers- à savoir la connectivité, les mégadonnées (big data), l’intelligence artificielle et la cybersécurité.
Thales devra progresser prudemment, en particulier sur le plan de la connectivité permanente. Cette ouverture vers le monde extérieur – puis le monde ouvert – sera progressive, car elle ouvre assurément une brèche dans la sécurité du système. Thales affirme néanmoins que l’avionique sera dès le départ en mesure de garantir l’authenticité et l’intégrité des informations qui lui seront proposées. La connectivité devrait s’accroître progressivement à partir de 2022, après la certification initiale de FlytX.
C’est aussi le cas pour l’intelligence artificielle. De nouvelles fonctions telles que la reconnaissance vocale automatique seront progressivement intégrées. Aujourd’hui testée sur des domaines précis comme les changements automatiques de fréquences radios, elle pourrait être étendue par la suite à davantage de tâches.
Le calendrier de FlytX doit aussi coïncider avec celui du programme HIL. Florence Parly a en effet annoncé que celui-ci serait accéléré avec un lancement en 2021, dès la première phase de la Loi de programmation militaire (2019-2025), soit un an plus tôt que prévu. Les livraisons sont quant à elles avancées de deux ans, en 2026 au lieu de 2028.
Une version à deux écrans, ici configurée pour un hélicoptère, sera disponible pour les appareils de moindre taille. © Thales