Dissimulation des risques induits par le MCAS, possibilité d’éviter le deuxième accident, dysfonctionnements du processus de certification, défaillances dans la culture de sécurité chez Boeing… Dennis Muilenburg n’a pas été épargné lors de ses auditions sur les accidents du 737 MAX au Congrès américain, le 29 et 30 octobre. Pendant plusieurs heures, le PDG de Boeing a fait face aux questions des sénateurs et représentants des commissions des transports, qui se sont parfois plus apparentées à des réquisitoires qu’à des interrogations. Accompagné de John Hamilton, ingénieur en chef de Boeing Avions commerciaux, il a affirmé que les modifications en cours feraient du 737 MAX « l’un des avions les plus sûrs à avoir jamais volé », sans pour autant faire toute la lumière sur un certain nombre d’éléments accablants pour Boeing.
Dennis Muilenburg s’est exprimé sur les améliorations apportées dans la conception du MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System), qui est au coeur des investigations. Le patron de Boeing a reconnu plusieurs erreurs, la première étant l’activation du système à partir d’un seul capteur d’incidence. Le MCAS prendra désormais en compte les mesures des deux capteurs avant de s’activer. Les 737 MAX seront aussi équipés en série d’un système d’alerte en cas de divergence dans les données d’angle d’attaque (AOA) fournies par ces capteurs – un dispositif qui n’était jusque-là qu’en option. Boeing va aussi proposer, en option cette fois, un indicateur d’angle d’attaque. Ce dernier est très peu répandu dans l’aviation commerciale, notamment en raison de la difficulté des pilotes à l’interpréter efficacement.
La deuxième modification faite par Boeing sera la limitation du MCAS à une seule activation par vol. L’avionneur veut ainsi prévenir des situations comme celles intervenues lors des deux accidents du 737 MAX avec des activations répétées du système à intervalles réduits, qui ont contribué à l’issue fatale. Dennis Muilenburg a établi que le MCAS ne pourrait pas non plus effectuer plus d’entrées sur les systèmes de commandes de vol (FCC) que le pilote ne puisse en contrer seul avec les commandes manuelles. De même, il a affirmé que « les pilotes continueront à pouvoir outrepasser le MCAS à n’importe quel moment ».
Compte tenu de ces modifications, la version définitive du MCAS devrait bientôt être prête. « Nous sommes dans la phase finale », a ainsi déclaré Dennis Muilenburg. Il ajouté que ses équipes avaient réalisé plus de 100 000 heures de travail d’ingénierie et de tests, mené 814 vols d’essais en collaboration avec la FAA et conduit nombre de sessions en simulateurs avec des représentants de 99 compagnies et de 41 autorités de régulations mondiales. Cette nouvelle version va être soumise à l’approbation de la FAA, ce qui devra ouvrir la voie à des vols de certification et la publication d’une directive de navigabilité (AD). Toujours selon le patron de Boeing, cela pourrait encore prendre plusieurs semaines, voire quelques mois.
Un processus qui avance péniblement
Interrogé sur la durée de ce développement, débuté à la suite du premier accident en octobre 2018, Dennis Muilenburg a déclaré que le travail initial avait porté uniquement sur le MCAS, mais que d’autres points d’amélioration de la sécurité avaient été identifiés vers le milieu de l’année 2019. Bien que ceux-ci ne soient pas inclus dans le processus de certification, il a ajouté avoir préféré, en accord avec la FAA, prendre le temps de les traiter avant la remise en service du MAX. Cela va conduire à de nouvelles améliorations logicielles des FCC.
Ces réponses n’ont pas pour autant apaisé les sénateurs et représentants. Plusieurs d’entre eux, le sénateur Ted Cruz en tête, ont accusé Boeing d’avoir dissimulé des informations à la FAA sur des possibilités de dysfonctionnements du MCAS avant même son entrée en service. Ils se sont notamment appuyés sur des échanges écrits entre des employés de Boeing – dont Mark Forkner, ancien chef-pilote technique du programme – sur des défaillances possibles du MCAS, tenus en novembre 2016 mais transmis il n’y a que quelques semaines à la FAA.
Dennis Muilenburg a tenté de se dédouaner en affirmant qu’il n’avait pas eu connaissance de ces messages dans le détail et qu’il avait demandé leur transmission aux autorités il y a plusieurs mois dans le cadre des investigations en cours. De son côté, John Hamilton a déclaré qu’il n’était pas clair si Mark Forkner parlait du fonctionnement du MCAS en simulateur ou du système réel.
Des responsabilités à assumer
Les élus ont demandé pourquoi Boeing n’avait pas pris la décision de clouer la flotte au sol après le premier accident. Dennis Muilenberg a répondu qu’il ne disposait pas de données suffisantes à ce moment-là – où l’accent été mis sur les problèmes de maintenance et la réponse inadaptée des pilotes à la situation. Le constructeur avait pourtant demandé la publication d’un bulletin de service (SB) par la FAA dès novembre 2018, suivi d’une AD, pour alerter les pilotes sur une possible activation intempestive du MCAS suite à des données d’AOA et mettre en place une procédure en conséquence.
Les sénateurs et représentants ont enfin pointé le fait que Boeing ait demandé à la FAA que le MCAS ne soit pas intégré au manuel d’exploitation de l’équipage (FCOM) du 737 MAX, ne permettant ainsi pas aux pilotes d’avoir une compréhension complète de la situation. Cet élément s’est inscrit dans des interrogations plus larges à propos des relations entre Boeing et la FAA, du processus de certification et en particulier la délégation d’autorité pour la certification dans le cadre de la procédure ODA (Organization Designation Authorization).
Mal à l’aise et parfois hésitant, sans jamais paraître entièrement sincère, Dennis Muilenburg n’aura donc pas brillé pendant ces deux auditions. Il apparaît encore un peu plus fragilisé au moment où le conseil d’administration de Boeing pourrait bien finir par décider qu’il est le fusible à faire sauter pour sortir de cette crise.