Comment concilier un trafic aérien qui pourrait presque quadrupler d’ici 2050, avec l’objectif de l’industrie aéronautique de diviser par deux les émissions nettes de C02 par rapport à 2005 ? C’est le noeud gordien auquel a décidé de s’attaquer Safran. Stéphane Cueille, directeur R&T et Innovation, a ainsi présenté la vision du groupe pour atteindre cet objectif, voire arriver à une aviation totalement décarbonée.
« Pour arriver à cet objectif, il faudra que la flotte en 2050 soit 90 % plus efficace – en termes d’émissions de CO2, par passager au kilomètre pour être précis – que celle avant 2015 et l’introduction de l’A320neo, prévient Stéphane Cueille. Cela veut dire que nous visons le zéro émission, sans compensation. La question est de savoir si c’est faisable. »
Plusieurs leviers à actionner
Safran semble le penser. Le groupe a pour cela identifié quatre leviers et quantifié leurs apports respectifs. Le premier est le renouvellement progressif de la flotte avec l’entrée en service d’avions de nouvelle génération. « Cela permet d’améliorer l’efficacité de la flotte de 1 à 1,5% par an », analyse Stéphane Cueille tout en précisant que cela ne suffit pas à compenser les 4 % de croissance annuelle moyenne du trafic.
Le directeur R&T et Innovation compte donc aussi sur l’amélioration de la gestion des opérations. « Avec ce type de solutions, nous pouvons gagner 10%, voire 20% en étant optimistes et en allant jusqu’à des solutions comme réduire la vitesse de la flotte, ce qui n’est pas sérieusement regardé aujourd’hui mais qui pourrait l’être à long terme. »
Le compte est donc encore loin d’être bon pour résoudre l’équation des 90%. Pour Stéphane Cueille, cela passera naturellement par l’innovation : « Il faut aller plus loin sur les technologies, avec des avions encore plus efficaces et il faudra substituer le kérosène par des sources d’énergie alternatives proches du zéro émission. » Ces deux derniers leviers passeront nécessairement par une sortie du processus d’innovation incrémentale actuel pour aller vers de véritables ruptures.
L’électrique n’est pas la solution miracle
Stéphane Cueille prévient d’emblée : « Il faut bien comprendre que pour l’essentiel de la flotte, la source d’énergie ne sera pas l’électrique. Les batteries et les systèmes électriques présentent un problème majeur de masse, qui font que ces solutions ne sont intéressantes que pour des vols de très courte distance en plein électrique et jusqu’à 500 km en hybride. » Ce qui représente à peine 10% des opérations.
Safran va donc travailler sur ces solutions, notamment via sa filiale Helicopter Engines, sans perdre de vue que cela n’adresse qu’une faible partie du problème. D’autant que la moitié des émissions provient des appareils long-courrier. « Il faudra donc des avions très avancés et efficaces avec des moteurs en rupture, mais qui restent thermiques, et passer à des carburants à très faibles émissions », préconise donc le directeur R&T et Innovation.
Stéphane Cueille établit ainsi la nécessité de réaliser une véritable rupture technologique à l’horizon 2030-2035, afin de « sauter une génération » en relation avec les avionneurs. Cela implique d’atteindre des gains de consommation de carburants supérieurs à 30%, au lieu des 15-20% habituels lors d’un changement de génération. Cela doit permettre de stopper la croissance des émissions de C02 malgré la progression du trafic.
Combiné avec l’intégration des nouvelles générations actuelles, ce saut technologique pourrait représenter la moitié de l’objectif de réduction des émissions de C02 en 2050. A l’inverse, si la prochaine génération d’avions ne met pas en place ce saut, cet objectif pourrait bien s’éloigner définitivement.
L’apport des nouveaux carburants
Ce saut doit aussi permettre de baisser le volume de carburant nécessaire à l’alimentation de la flotte et donc faciliter le développement de filières alternatives au kérosène. Parmi ces filières, les biocarburants issus de la biomasse sont d’ores et déjà disponibles et intégrables de façon transparente en les mélangeant jusqu’à 50% avec du kérosène. Le problème, explique Stéphane Cueille, c’est qu’ils coûtent deux à trois fois plus chers que le carburant classique et ne représentent donc que 0,1% de la consommation aérienne mondiale.
A un peu plus long terme, Safran considère le « Power-to-liquid » – qui consiste à utiliser de l’hydrogène et à le combiner avec du CO2 pour faire du kérosène – comme une solution intéressante. Actuellement en cours de maturation, ce carburant synthétique vert pourrait être disponible dès 2025-2030, mais les mêmes soucis de coûts et de stimulation de la demande que les biocarburants se posent.
En s’appuyant sur les filières les plus vertueuses, Safran estime que l’on pourra aller jusqu’à 80% d’efficacité carbone sur le cycle de vie pour les biocarburants et au-delà de 90% pour les carburants synthétiques verts. Toujours selon les calculs du groupe, l’utilisation de 100 millions de tonnes de biocarburants et de 180 millions de tonnes de carburants synthétiques verts pour seulement 70 millions de tonnes de kérosène classique en 2050, permettrait de remplir 40% de l’objectif de réduction des émissions de CO2.
Pour autant, Stéphane Cueille prévient qu’en raison de leur coût, ces filières de carburant alternatifs ne se développeront réellement que si un cadre incitatif, sinon contraignant, est mis en place pour inciter les compagnies à les utiliser.
En prenant en compte ces différents leviers, Safran pense donc que l’aviation peut atteindre ses objectifs en 2050. Sans quoi, il faudra passer à des solutions plus radicales, comme l’utilisation de l’hydrogène liquide, qui nécessiteront une bien plus large remise à plat des modèles actuels.