Un motoriste, des acteurs de l’agroalimentaire, de la chimie et du transport de gaz, des pôles de compétitivité, une université et une CCI, c’est une équipe en apparence hétéroclite qui s’est réunie le 10 mars à Bordes (Nouvelle-Aquitaine). Elle avait pourtant un but unique : poser les bases de la création d’une filière d’approvisionnement en biocarburants aéronautiques de bout en bout avec des acteurs locaux du Sud-Ouest de la France. Les dix participants ont pour cela signé une lettre d’intention pour lancer une étude faisabilité technologique et économique.
Ce projet, initié par Safran Helicopter Engines avec le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine, doit leur permettre de répondre à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire le 27 janvier, dans le cadre de l’Engagement pour la croissance verte (ECV). Celui-ci fixe des objectifs de substitution à court-terme du kérosène fossile par des biocarburants durables, de l’ordre de 2% en 2025 et 5% en 2030 (ce qui représente environ 400 000 tonnes de biocarburants), afin d’engager un mouvement plus large et atteindre les 50% à l’horizon 2050 voulus dans la stratégie nationale bas-carbone.
Les signataires sont donc au nombre de dix pour l’instant : Safran Helicopter Engines, Euralis, Teréga, ACD (Aquitaine Chimie Durable), Chemparc, Agri Sud Ouest Innovation, Xylofutur, la CCI Pau Béarn, l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et Aerospace Valley. Total et le Groupe Avril pourraient les rejoindre dans un deuxième temps avec un avenant à la lettre d’intention. Il reste encore jusqu’au 30 juin à l’équipe pour se mettre en ordre de bataille, date limite pour répondre à l’AMI.
Construire une filière
La consommation de biocarburants est aujourd’hui négligeable dans l’aéronautique en France comme dans le reste du monde, notamment à cause d’un coût prohibitif. Comme le rappelle Stéphane Thion, directeur des carburants durables pour l’aviation chez Total, cela coûte trois plus cher que du kérosène classique. Pour Franck Saudo, président de Safran Helicopter Engines, le défi est donc d’arriver à constituer une filière industrielle à même de faire baisser ce coût, en assurant la disponibilité, la distribution et la consommation de biocarburants aéronautiques durables.
Cette filière devra mettre en place des processus vertueux à même de garantir le caractère durable de ces carburants de nouvelle génération, c’est-à-dire un bilan carbone faible sur l’ensemble de leur cycle de vie. En effet, comme l’explique Nicolas Jeuland, expert senior sur les futurs carburants de Safran, la différence avec le kérosène classique se joue sur la production, le stockage et l’acheminement (avec une baisse des émissions pouvant aller de 65 à 90% par rapport au Jet A-1) et non sur la combustion (baisse de quelques pourcents).
Pour assurer cette maîtrise de bout en bout, Safran Helicopter Engines a donc décidé de donner au projet une dimension locale. Et Franck Saudio estime que « le Sud-Ouest est un endroit favorable pour cette constitution car tous les maillons de la chaîne sont sur place ». Il est rejoint par Yann Barbaux, président du pôle de compétitivité Aerospace Valley : « Nous avons les compétences énergétiques et aéronautiques sur ce territoire. »
Bien choisir
Le choix du biocarburant qui sera mis en oeuvre par cette filière n’a pas encore été arrêté. Jusqu’ici six types ont été approuvés et six autres sont en développement à travers le monde pour une utilisation « drop in », qui permet de mélanger jusqu’à 50% de biocarburant avec du kérosène classique sans modification sur l’aéronef. Les partenaires vont devoir mettre leurs compétences en commun pour faire le meilleur choix économique, technique et environnemental et surtout éviter « la fausse bonne idée ».
Coopérative agricole, Euralis pourrait ainsi proposer différentes sources disponibles pour faire de la biomasse sans affecter la production alimentaire ou recourir à de la déforestation. Dans le même temps, l’expertise de Safran Helicopter Engines contribuerait à établir des critères techniques, avec l’étude de l’impact des différents carburants sur les performances et la durée de vie de ses moteurs, etc. Safran Aerosystems pourrait aussi participer pour les systèmes de carburant.
Enfin, le projet comprend un débouché direct pour la filière. Safran Helicopter Engines devrait ainsi s’engager sur l’achat d’un volume de carburant pour ses essais moteurs, qui sont aujourd’hui l’une de ses principales sources d’émissions de CO2. Safran Aircraft Engines pourrait lui emboîter le pas si l’expérience est concluante. Il manque encore néanmoins un gros consommateur, plus exactement une compagnie aérienne, pour garantir un volume d’achat suffisant afin que la filière puisse atteindre sa masse critique.
Vers le moyen et long terme
Si le projet est concluant, de nouvelles opportunités pourraient s’ouvrir petit à petit. Certains réfléchissent déjà à des moteurs qui puissent optimiser leurs performances en fonction des différents types de carburant. Ce serait alors un changement radical avec l’aéronautique actuelle qui se construit depuis plus de 50 ans autour d’un carburant quasiment universel, le Jet A-1.
Enfin, chacun des participants semble bien conscient que les biocarburants ne suffiront pas à atteindre l’objectif de réduire de 50% les émissions de CO2 du transport aérien d’ici 2050 par rapport à 2005. Ils ne sont qu’un élément parmi d’autres qui contribueront à diminuer à court terme le bilan carbone des avions actuels dont certains voleront encore 30 ou 40 ans. A plus long terme, l’aéronautique doit étudier l’utilisation possible de l’électrique, de l’hybride électrique, de l’hydrogène, du biométhane, ou encore du gaz naturel. Ce qui passera nécessairement par des ruptures technologiques pour la conception des avions.