Aux dires de certains, il n’y aurait jamais eu autant de monde présent sur le pont d’envol du Charles de Gaulle qu’en ce 16 mars 2016. Le dernier Super Étendard Modernisé (SEM), l’exemplaire 1, a été catapulté dans l’après-midi, juste avant le retour du porte-avions à son port base de Toulon. A son bord, le commandant de la flottille 17F, aux ordres du commandant du bâtiment, le capitaine de vaisseau Eric Malbrunot. La fin d’une ère pour le Super Étendard, après 42 années au service de l’aéronavale.
« Je suis un peu triste, mais pas nostalgique », confie un pilote de la flottille 17F, en ajoutant : « On commence à s’habituer à la machine, à être à l’aise, mais c’est la fin d’une époque. Il ne faut pas tomber dans la nostalgie justement, c’est un avion qui a été magique pour des générations de pilotes et de techniciens. Il était à côté du Crouze (F-8P Crusader, NDLR) à la pointe de la marine, mais maintenant il faut faire place au Rafale. Il faut le garder en mémoire, lui rendre un bel hommage, ce qu’on a fait rien qu’en faisant cette dernière mission opérationnelle, on a prouvé qu’il était encore vaillant ».
Les huit derniers SEM embarqués à bord du porte-avions pour le déploiement Arromanches 2 ont effectué environ 1 000 heures de vol en quatre mois, à un rythme relativement soutenu, soit un vol tous les trois jours par pilote pour la partie opérationnelle. « On a effectué les missions qu’on nous a demandées, on sortait tous les jours avec au moins une patrouille par jour », détaille le pilote. Le but pour les 120 personnels de la flottille, dix pilotes, 110 mécaniciens, dont deux officiers renseignement, c’était bien de tenir dans la durée, à l’image de l’ensemble du groupe aérien embarqué (voir Un bilan opérationnel « très positif » pour le porte-avions Charles de Gaulle ). « La machine est endurante, l’homme un peu moins », rappelle le pilote de SEM.
Du côté des mécaniciens, si certains sont du même avis et ne laissent pas de place à la tristesse, pour d’autres, qui ont fait l’intégralité de leur carrière sur le Super Étendard Modernisé, la remise en question est parfois plus difficile. « Il y a des techniciens qui ne souhaitent pas être transformés sur Rafale et/ou qui s’estiment trop âgés. On a de toute manière besoin d’une petite équipe pour démanteler les SEM, d’autres seront ré-orientés vers les hélicoptères ou la patrouille maritime », explique le capitaine Alexandre, commandant adjoint technique de la 17F.
Tous s’accordent à dire que le SEM est un avion « fiable et robuste », même s’il a « l’âge de ses artères ». Du côté des « cochers » (pilotes, NDLR) on loue la compétence des mécaniciens, qui travaillent « de manière exceptionnelle », avec le résultat d’une disponibilité « remarquable » pour un avion de cette génération. « Je partais complètement serein », déclare l’un des pilotes de la 17F. Le fait d’être un monomoteur n’aurait visiblement pas causé d’inquiétudes outre-mesure, les pilotes faisant état d’un moteur « ultra-fiable et très protégé ». Les limitations en termes d’emport d’armement – dues aux contraintes à l’appontage – n’ont pas empêché les chasseurs d’ancienne génération d’effectuer des missions quasiment comparables à celles des Rafale.
« On n’a eu aucune panne liée à l’âge de l’avion ou au fait que ce soit sa fin de vie », déclare le capitaine Alexandre. Pannes électriques en vol, fuite hydraulique, appontage dur, ce type de « pépin » n’a pourtant pas empêché les avions d’afficher un taux de disponibilité de l’ordre de 88%. Et si l’utilisation du pod de désignation laser Damoclès a semble-t-il posé quelques difficultés, l’Atlis II a quant à lui continué à faire ses preuves sur SEM, notamment lors des missions de nuit.
Le passage du Super Étendard Modernisé se fait progressivement et a été anticipé bien en amont. Les pilotes et les mécaniciens se font transformer sur Rafale au gré des flux RH, afin de pouvoir être opérationnels à la rentrée prochaine et de gérer au mieux la fin de vie du SEM tout en alimentant le cursus Rafale. « On va s’appuyer sur ce qu’ont fait les anciennes flottilles, on a beaucoup de retours d’expérience de pilotes déjà transformés, qui permet d’identifier tous les pièges à éviter sur un avion à commandes électriques, bimoteur », explique l’un des pilotes de la 17F. Premier piège, les commandes de vol : « L’avion nous parle, on connaissait très bien le domaine de vol de notre avion, on savait très bien quand on allait titiller les bordures », énonce le pilote, alors que le Rafale « s’auto-limite et exploite le domaine de vol tout seul ». Le passage d’un mono- à un biréacteur ne se fera pas sans quelques adaptations non plus, tout comme la manière d’effectuer les missions : « Le Rafale est très bien fait, très bien pensé pour assister le pilote dans le pilotage, pour qu’il puisse se concentrer sur le système d’armes et passer plus de temps ‘la tête dans la cabine’. Sur le SEM c’est plutôt de l’ordre de 70% de pilotage et 30% de cabine, alors que c’est l’inverse sur Rafale. »
Deux jeunes pilotes sont venus faire leur transformation sur Super Étendard Modernisé et pour « vieillir à l’appontage », à l’image de ce qui avait cours à la fin de vie du Mirage F1 dans l’armée de l’air. L’objectif était tout autant de gérer le flux RH sur la formation Rafale que de « se faire la main » sur un avion vieillissant. « Ils n’ont pas perdu de temps car ils ont quand même acquis une certaine expérience, même avec un avion d’ancienne génération. » Du côté des mécaniciens, de jeunes « patrons d’appareil » ont également été intégrés cette année, la moitié par choix, l’autre moitié en fonction des places disponibles. Comme le démontre le commandant adjoint technique de la 17F, l’expérience est concluante : « Tout le monde s’accorde à dire qu’on apprend les bases de la mécanique plus facilement que sur Rafale. Ça permet vraiment d’apprendre progressivement et le passage sur Rafale se fera sans aucun souci ».
Sur les huit Super Étendard Modernisés qui ont participé à ce dernier déploiement, trois sont arrivés en bout de potentiel, dont un qui n’a finalement pas été remis en état après un appontage dur. Les cinq autres ont encore un potentiel d’environ 1 000 heures de vol et vont rester sur la base de la 17F, à Landivisiau. « On continue les entraînements au niveau des qualifications, on va pousser jusqu’au bout », explique le pilote. Certains personnels navigants vont partir sur Rafale dans la foulée, mais la formation et l’entraînement à la qualification de chef de patrouille ne s’arrête pas. Des travaux d’infrastructures sur la base vont permettre d’accueillir les premiers Rafale à l’été.
Quant aux commémorations en l’honneur du SEM, elles vont s’articuler autour de meetings, dont le programme n’est pas encore complètement calé, avec une cérémonie qui devrait avoir lieu le 12 juillet prochain, avant, peut-être, un dernier passage remarqué au-dessus des Champs-Élysées à l’occasion du défilé du 14 juillet. Dans tous les cas, tous les SEM ne seront pas démantelés, grâce à un « beau travail de valorisation ». « C’est un avion mythique, il a un sacré historique et je pense que tout le personnel de la 17 en est fier », conclut le capitaine Alexandre.