Alors que Rafale et Super Étendard Modernisés se préparent à prendre les airs depuis le porte-avions Charles de Gaulle, l’E-2C Hawkeye fait tourner son rotodôme et ses deux hélices dans un bruit assourdissant. Catapulté en premier à une vitesse de 100 noeuds pour « préparer le terrain » dans l’espace aérien, il sera le dernier à apponter en fin de mission.
Le turbopropulseur aux ailes repliables est à la Marine nationale ce que l’E-3F est à l’armée de l’air, une redoutable plateforme de détection et de commandement aéroporté. Capable de détecter et de pister toute cible aérienne dans un rayon de 300 nautiques, l’E-2C n’a pas usurpé son surnom « d’oeil de faucon », notamment grâce à son rotodôme, estampillé d’une ancre de marine, qui abrite un radar à 360°. Pour remplir sa mission de détection et de transmission, le Hawkeye a à sa disposition, six postes VHF/UHF, dont trois cryptés, deux postes HF, des systèmes de liaison de données L11 et L16, une liaison SATCOM, un radar, un IFF et un système d’écoute électronique/détection passive. Un chat satellitaire, intégré depuis trois ans, permet de compléter le dispositif.
La mission de guet aérien est réalisée par un équipage composé de cinq personnels. Un pilote, un co-pilote et trois tacticiens en place arrière. Si tous ont des rôles différents, ils partagent tout de même des notions de mécanique, et sont capables d’assurer le ravitaillement de leur avion, tout en ayant chacun un rôle précis dans le domaine de la sécurité. Un équipage « autosuffisant ».
« A l’avant les deux personnes sont interchangeables, l’un des deux pilotes fait aussi du tactique et s’occupe de l’échange de situation tactique avec l’arrière et les autres bâtiments », explique l’un des pilotes de la flottille 4F, qui met en oeuvre les trois E-2C Hawkeye de la Marine nationale. Ces pilotes ne disposent pas de siège éjectable, mais d’un harnais, d’un radeau de sauvetage et d’un parachute. D’autres matériels de secours d’urgence pour l’équipage comprennent également une bouteille d’oxygène, portée avec la combinaison de vol et qui permet une autonomie de « quatre à cinq bouffées » en cas d’accident.
A l’arrière, les trois tacticiens se répartissent entre le RO (Radar officer), l’ACO (Air control officer) et le CICO (Combat information center officer). Au centre, le CICO, chef de mission, est en charge de la gestion des différentes radios et assure la coordination tactique. A sa droite, le RO, qui assure une partie tactique, tout en s’occupant du radar, des éventuelles pannes de l’avion ainsi que d’une partie du contrôle de chasse. A gauche du CICO, à l’arrière, l’ACO est responsable des liaisons de données et du contrôle de chasse.
« L’idée c’est de faire de la ‘transmission utile’, de pouvoir transmettre les informations pertinentes aux bonnes plateformes, d’où la nécessité d’avoir quelqu’un qui fait le tri en amont », détaille l’un des tacticiens, pour éviter que les calculateurs n’explosent sous la charge des informations à traiter. L’interface homme machine, « gros plus de cet avion », comme le souligne le tacticien, a été conçue de manière à faciliter le plus possible la réception, le tri et la transmission des informations recueillies. Une sorte « d’iPhone des années 80 », comme le décrit non sans un sourire le tacticien.
Pour contrer le bruit ronflant et continuel à l’intérieur de l’avion, dû notamment à l’énorme système de réfrigération, l’équipage jongle en permanence avec les fréquences pour communiquer à deux, trois interlocuteurs, parfois plus, tout en captant les signaux extérieurs. La tâche la plus ardue est réservée au CICO, le « point nodal » avec le pilote, il est de toutes les « boucles » et doit réussir à travailler en dissociant parfois jusqu’à dix radios. Toute la difficulté est donc de gérer l’ensemble des messages reçus et transmis, parfois en simultané, le tout dans un espace exigu – ce qui ne semble pourtant pas déranger outre mesure les personnels les plus grands de la flottille.
La plus-value de l’E2C réside dans sa capacité à produire une analyse immédiate de la situation. Un avantage renforcé par l’aptitude du radar à être opérationnel de manière extrêmement rapide. Là où l’ensemble des systèmes de l’AWACS n’atteignent leur pleine capacité opérationnelle qu’au bout d’une bonne heure, l’équipage du Hawkeye sait « dès le tour avion » si le radar va fonctionner ou non, en ayant la possibilité de le tester de manière réelle avant le catapultage.
© Helen Chachaty / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Plus ancienne flottille embarquée dont les origines remontent à 1918, la 4F fonctionne à flux tendu, ne disposant que de trois avions, dont un est en permanence en chantier de révision. La taille de la flotte ne permet de fait pas une filière dédiée au Hawkeye. L’affectation se fait en fonction des besoins et des flux RH de la Marine nationale et si certains pilotes peuvent se retrouver à la 4F après avoir échoué dans la filière chasse, il y a cependant « autant de cursus que de personnes ». Un nouveau pilote intègre la flottille tous les deux à trois ans et peut y rester jusqu’à 15 ans.
Pour les tacticiens, la formation se fait en continu, les plus jeunes débutent par le poste de RO, avant pouvoir passer ACO environ un an et demi plus tard. La montée en compétences et en gestion de mission vers le poste de CICO se fait ensuite sur une période d’environ deux ans.
Indissociable du porte-avions, l’E-2C, ainsi qu’une grande partie de la flottille 4F, est de tous les déploiements du Charles de Gaulle, dont il assure la protection. « Le Hawkeye, c’est l’oeil de la force », peut-on parfois entendre, une manière de rappeler le rôle essentiel de l’avion de guet aérien dans toute opération aéronavale.