Douze Rafale pour l’Egypte, vingt-quatre appareils pour le Qatar, une potentielle commande de 36 avions pour l’Inde, l’année 2015 a été faste pour Dassault Aviation et son chasseur, réputé « invendable » et uniquement opéré par l’armée de l’air et la Marine nationale. Si l’avionneur produisait jusque-là un Rafale par mois, soit 11 exemplaires par an, la donne va changer dans les prochaines années, afin de pouvoir faire face à la demande des pays clients. La montée en cadence, annoncée depuis quelques mois, est en cours.
« La décision a été prise il y a maintenant presque un an, après les contrats égyptien et qatari, il fallait se positionner pour être capable de répondre favorablement à l’Inde et à d’autres commandes potentielles », expose Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation. L’augmentation progressive a permis d’atteindre « un palier proche de la cadence 2 », précise-t-il, avant de marquer une pause « pour examiner les perspectives ». L’idée étant d’établir une montée en cadence de manière linéaire, en évitant le plus possible d’éventuelles ruptures. « Ce que je ne voudrais pas, c’est donner trop d’à-coups. Il faut organiser une montée progressive qui sera confirmée par la signature des contrats. S’ils n’arrivent pas, nous ralentirons, s’ils arrivent, on accélèrera. Ce n’est pas très facile pour nous et pour la supply chain, mais nous préférons ça plutôt que de dire ‘on y va à fond’, trop produire et freiner ensuite brusquement. »
Dassault Aviation souhaite de fait éviter de trop grands écarts, tant en termes de production que d’effectifs. « Nous pourrions monter à plus de cadence 3 sans trop de difficultés, mais il y a évidemment le risque que l’activité diminue par la suite. Ce qui inquiète toujours l’industriel, c’est la variation et la fluctuation des cadences. Avant d’embaucher et de renforcer les infrastructures, il faut s’assurer que l’activité est bien là », confie Eric Trappier. L’avionneur a tout de même entamé une phase de recrutement il y a six mois, mais « de manière raisonnable, pour ne pas avoir à licencier ensuite ». Pas « d’embauches massives », au regard du rééquilibrage qui a été opéré entre les branches militaire et civile, Dassault y va « par petites touches » et devrait faire le point après la stabilisation des cadences : « Nous n’allons pas forcément avoir deux contrats tus les ans, il faut donc équilibrer ».
Du côté de chez Snecma, qui produit les réacteurs M88 qui équipent le Rafale, la tendance est également à l’optimisme. « C’est toujours agréable d’avoir plus de moteurs à produire. Si augmenter le business ça vous angoisse, ne soyez pas entrepreneurs. Moi ce qui m’angoisse, c’est d’éteindre la lumière parce que je vais fermer boutique », déclare Didier Desnoyer, directeur de la division des moteurs militaires. Et s’il y a « une certaine pression » et des difficultés qui surgissent « au quotidien » afin de réussir à suivre cette montée en cadence, le patron des moteurs militaires ne semble pas trop inquiet quant à la capacité de l’industriel à assurer l’augmentation de la production : « Nous allons réussir, il n’y a pas de doute ».
Le processus d’embauches a également été enclenché chez Snecma, qui s’occupe par ailleurs de former les monteurs nouvellement arrivés, grâce à la création d’une école de formation à Villaroche, où se trouve la ligne d’assemblage des M88, une mesure qui permettra de fait de « disposer rapidement de monteurs supplémentaires ».
Tout comme Dassault Aviation doit s’assurer que ses partenaires et sous-traitants vont pouvoir suivre la cadence, Snecma accompagne également ses fournisseurs. « La montée en cadence ne se fera pas uniquement en augmentant nos effectifs, nous devons également vérifier que nos fournisseurs ont bien les capacités nécessaires, non seulement en termes de quantité, mais aussi de qualité », explique Didier Desnoyer, qui précise que les contrôles peuvent aller jusqu’à la machine outils : « si elle est défectueuse, il manque donc une pièce et ça peut bloquer l’assemblage final du moteur ». Snecma va même plus loin, notamment avec certains fournisseurs qui ne produisent que des éléments pour le M88 : « Nous les accompagnons dans leurs investissements afin qu’ils puissent se doter des moyens industriels nécessaires ».
Concernant le MRO des M88, un accord datant de 2010 prévoit notamment que l’AIA (Atelier industriel de l’aéronautique) et Snecma se partagent les opérations, avec une dominance « France » pour l’AIA, tandis que Snecma aurait ainsi le « lead » sur l’export. « Nous travaillons donc avec l’AIA pour avoir un vision industrielle à long terme sur les questions de MRO. L’AIA a des capacités, nous avons des capacités, il faut voir à présent comment gérer ça », indique Didier Desnoyer. « Nous nous préparons pour les contrats à l’export, certains pays voudront faire leur propre MRO pour des raisons d’indépendance nationale, d’autres ne voudront pas. En tant que constructeur, nous devons fournir le service complet. Nous nous engageons sur le MRO lourd, après, où il sera fait, ça dépendra des discussions avec l’AIA. » Une charge de travail qui pourrait de fait « peser » un peu plus à Châtellerault, le site MRO de Snecma, qui est « en train de grossir sur les activités militaires ».
Chez SEMMB, la Société d’exploitation des matériels Martin Baker, qui est responsable d’assemblage des sièges éjectables du Rafale, l’inquiétude ne se fait pas vraiment sentir non plus. « Nous avons une moyenne de production annuelle de 20 sièges par an, nous allons commencer à infléchir la montée, dans le but de renter dans le cadre proposé par Dassault Aviation avec le triplement des cadences début 2018 », indique le général (2S) William Kurtz, PDG de SEMMB. Trois salariés ont été embauchés dans le cadre de cette montée en cadence, portant à 50 le nombre d’employés travaillant sur le site d’Argenteuil. « Pour l’instant ça nous permet devoir venir. Si on doit passer à des cadences 4 ou 5, oui, nous aurons besoin de recruter, mais pour l’instant, au regard du plan de charge, notre personnel nous permettra d’arriver au rendez-vous », explique-t-on au sein de l’atelier.
Il s’agit de fait plus d’une « réorganisation de l’atelier, de l’agencement et du planning », comme l’explique le chef d’atelier : « nous disposons d’une organisation souple, nous sommes une petite entité qui sait anticiper, nous avons beaucoup de latitude. Les opérateurs qui font aujourd’hui de la maintenance seront peut-être amenés à faire de l’assemblage ». Et si pour l’instant les horaires de travail s’étendent de 7h du matin jusqu’à 18h30, en fonction de l’heure d’embauche, il n’est « pas encore d’actualité » de changer cette organisation pour passer à un cycle de 2×8. Pas besoin non plus d’investir dans des machines supplémentaire ni de modifier la structure, quelques ateliers « spare » pourront toujours être ajoutés en cas de besoin. « Le vrai travail, c’est de motiver nos fournisseurs et qu’ils nous suivent bien », selon le chef d’atelier. « Martin Baker (le principal fournisseur, NDLR) participe bien au plan de charge et comprend les enjeux pour la société. C’est doublement intéressant, entre le triplement de la cadence, le triplement de la fourniture des pièces et donc l’augmentation du chiffre d’affaires ».
De l’avis du PDG de Dassault, cette montée en cadence ne devrait donc pas poser de difficultés insolubles aux partenaires et sous-traitants, comme il le présente : « Pour l’instant, tout le monde a suivi, ça se passe plutôt bien. En réalité, même si c’est compliqué, nous avons eu une réactivité assez forte ».