« On n’a pas le temps de penser qu’on est vraiment en danger, c’est une démarche de survie et il faut dire merci à l’entraînement. C’est un mécanisme de s’éjecter d’un avion », confie un ancien pilote de chasse, qui s’est éjecté d’un Jaguar. Les « éjectés » parlent d’une « confiance totale dans le matériel », le fameux siège éjectable, qui, du Mk4 – qui a équipé Jaguar, Vautour ou encore Mirage IV – au MkF16F, intégré au Rafale, n’a cessé d’être amélioré, afin d’assurer une éjection dans les meilleures conditions possibles.
Quatre-vingt dix kilogrammes, 3 500 pièces, canon bitubes et moteur fusée, stabilisation en quatre points, trousse de secours, eau, nourriture, canot de sauvetage, balise, le MkF16Fest un véritable concentré d’ingéniosité et de technologie. Le dernier-né de Martin Baker, spécifiquement adapté au Rafale, fait partie d’une famille de sièges qui équipent également les Eurofighter, ou encore les F-35. Equipement à part entière, indépendant de l’avion, le MkF16F est assemblé par SEMMB (Société d’exploitation des matériels Martin Baker) sur son site d’Argenteuil, en région parisienne.
La procédure d’éjection se résume à deux secondes, pendant lesquelles des mécanismes, précis comme de l’horlogerie, sont mis en oeuvre. La séquence débute au moment où le pilote tire sur la poignée d’éjection. « Le cordon pyrotechnique le long de la verrière la découpe au moment où le siège part », explique-t-on chez SEMMB. Le pilote est alors plaqué contre son dossier, ses membres retenus par un système de sangles, tant au niveau des jambes que des bras, afin d’éviter tout risque d’écartèlement, dû à la vitesse de sortie de l’avion et du vent relatif. Sur le Rafale, le maintien de bras est intégré en partie sur le gilet de combat, en partie sur le siège, en plus des jambières.
A 0.20 secondes, la fusée est actionnée, en « appoint » du canon et l’accélération subie par le pilote peut aller jusqu’à 18G. Cette limite, qui a été abaissée par rapport aux précédents modèles, répond à des critères physiologiques définis par la médecine, au-delà desquels la probabilité de blessure « augmente d’une manière exponentielle », comme le décrit un ancien éjecté, qui travaille actuellement chez SEMMB. L’accélération très brutale, qui sur des sièges plus anciens pouvait aller jusqu’à 22G, « un vrai coup de pied aux fesses ». Le général (2S) William Kurtz, ancien aviateur et PDG de SEMMB depuis le 1er juillet dernier, explique qu’il y a toujours « besoin d’accélération, de sortir rapidement de l’avion », mais que les calculs de progression du départ fusée permettent une continuité « beaucoup plus fluide », qui permet au pilote de vivre un traumatisme moins fort et un choc moins violent. « Les deux canons donnent la même force, mais avec une assise plus confortable. » Les femmes ayant une tolérance physiologique moins importante par rapport à cette accélération, des améliorations ont par exemple été apportées aux sièges d’Alphajet. Sur Rafale, qui ne compte à l’heure actuelle qu’une seule pilote, il n’existe de fait pas de siège spécifique pour l’instant, l’éventualité n’ayant pas fait partie du cahier des charges à l’époque.
La fin de la phase fusée signe le début de la phase de décélération et le début de la phase de stabilisation, avec le déploiement du parachute stabilisateur. Au moment où le siège sort de l’avion, une capsule barométrique de mesure d’altitude et des anémomètres permettent de mesurer la vitesse de sortie, afin de déterminer le moment de séparation du siège et du pilote. « Le système de décélération est intégré, il n’y aura pas de désolidarisation avant une certaine décélération et une certaine altitude, de façon à ce que le pilote ne reste pas dans des sphères trop fraîches », détaille William Kurtz. Cette limite est fixée à environ 18 000 pieds. « Au-dessus, il fait froid, il y a moins d’oxygène », ajoute le responsable du support technique. Un apport d’oxygène est également disponible pour éviter tout risque d’hypoxie.
La désolidarisation intervient environ 1 seconde et demie après que pilote a tiré la poignée d’éjection. C’est à ce moment-là que le parachute principal se déploie. S’ensuit la phase de descente vers le sol pour le pilote, tandis que le siège terminera sa chute de manière séparée.
Siège « 0/0 », le MkF16F, permet une éjection à 0 noeuds, offrant de fait la capacité à un pilote de s’extraire de l’avion quasiment à l’arrêt, comme cela a été le cas en 2008 sur la BAN de Lann-Bihoué, lorsqu’un pilote de la flottille 12F s’est éjecté après une sortie de piste à l’atterrissage. La vitesse maximale d’éjection du siège est indiquée à 625 noeuds, une fourchette haute, voire très haute. « Je ne connais pas beaucoup de pilotes qui le feraient, mais on sait que c’est possible, le siège a les caractéristiques qui le permettent », expose William Kurtz. La moyenne, le domaine « optimisé » que vont aller chercher les pilotes la plupart du temps, afin de réduire les secousses, se trouve autour de 250 noeuds.
Ces sièges à 350 000EUR pièce, dont le 250ème exemplaire est sorti d’usine en décembre dernier, font partie des 5 700 sièges assemblés par SEMMB depuis 1961. Filiale à part égale entre Safran et Martin Baker Aircraft et créée en 1959, SEMMB emploie actuellement 50 salariés sur son site d’Argenteuil. Ses activités se divisent entre la production de sièges et la maintenance, qui est partagée avec le SIAé (Service industriel de l’aéronautique).
SEMMB produit 20 sièges par an, qui doivent être prêts deux à trois mois avant la livraison de l’avion. La majeure partie des composants vient de Grande-Bretagne, de l’entité-mère Martin Baker (50%), mais aussi de Meggitt Aerospace, ou encore de Zodiac Aerospace (pour la partie textile et survie), Air Liquide et Dassault Aviation pour les principaux fournisseurs français. « Le temps de fabrication, qui comprend la constitution, l’assemblage et la vérification, est d’environ 200 heures », explique le chef d’atelier. « C’est de l’artisanat, tout est fait à la main », précise-t-il. Les opérateurs et techniciens « arrivent de tous horizons », la plupart proviennent d’autres usines de Safran, certains ont été recrutés à l’extérieur. « Ce que nous leur demandons, c’est surtout de la précision, du savoir-faire soigné dans l’assemblage des pièces. Par principe, ils ont de l’expérience dans la mécanique, parfois déjà dans l’aéronautique, mais ce n’est pas toujours le cas. Nous avons certains ouvriers qui viennent de l’électrotechnique par exemple », détaille le chef d’atelier.
De 47 employés, la société est récemment passée à 50 personnels, afin d’anticiper la montée en cadence liée aux contrats export du Rafale. Des perspectives qui ne semblent pas inquiéter outre-mesure le dirigeant et le chef d’atelier, qui évoquent une réorganisation et une nouvelle répartition de la charge de travail, en fonction des besoins, sans toutefois révolutionner le mode de fonctionnement de l’atelier (voir Place au ramp up pour le Rafale).
« Nous n’avons pas de grande marge de manoeuvre, nous nous devons de faire un sans-faute et ne pouvons pas nous permettre d’alléger telle ou telle opération », détaille le chef d’atelier. Un travail minutieux dans lequel les pilotes mettent toute leur confiance. « Elle [la confiance] est tellement présente dans le siège, qu’on se dit que dans tous les cas on va sortir. On fait abstraction de la mort probable dans l’avion, parce qu’on sait qu’il y a cette porte de sortie. La peur est plutôt dirigée vers l’ennemi ou l’appréhension de se prendre quelque chose à l’extérieur, mais on n’a pas peur de la machine », raconte le pilote de Jaguar éjecté. Une vision partagée par les pilotes de Rafale rencontrés au Sahel, en exercice sur le territoire national ou sur le porte-avions.