Déployée au Moyen-Orient et au Sahel, au-delà des contrats opérationnels, l’armée de l’air fait également face à une forte charge d’activité sur le territoire national, en devant assurer un niveau de formation des personnels et de régénération des matériels capable de maintenir dans le temps le niveau d’engagement.
Pour le major général de l’armée de l’air, le général Philippe Adam, une armée en opérations est une armée efficace. Chargé de la mise en oeuvre de la stratégie et de s’assurer que l’armée de l’air soit toujours capable de délivrer l’effet opérationnel demandé par l’échelon politique, le MGAA nous expose un état des lieux des défis qui restent à relever par les aviateurs.
Comment appréhendez-vous le fort niveau d’engagement opérationnel de l’armée de l’air ?
Les opérations sont le moteur essentiel d’une armée. L’armée de l’air est une armée en opérations, avec des personnels qui se sont engagés pour cela. C’est motivant pour tout le monde et ils comprennent d’autant mieux la raison de leur engagement. Notre travail commence à porter ses fruits au Levant, nous répondons globalement aux attentes des politiques.
Le fort engagement génère une grande motivation chez les aviateurs, mais il est également source de certaines problématiques. Il y a des effets collatéraux à gérer, comme sur l’entretien des matériels par exemple. Nous sommes en train de travailler sur la maintenance des avions, qui volent énormément. Les industriels nous aident bien, les choses s’améliorent, notamment sur les équipements déployés sur les avions de chasse. Le volume important des opérations fait que les systèmes sont plus sollicités que la moyenne et il faut de fait se caler avec les bons cycles de maintenance, faire correspondre la partie industrielle avec la réalité du terrain.
En Jordanie, les Mirage 2000 engagés engrangent une centaine d’heures de vol par mois, alors que la moyenne annuelle « normale » se situe autour des 300 heures de vol. De fait, nous travaillons en partenariat avec l’industriel pour adapter et revoir les cycles de maintenance, pour réaménager au plus juste le taux de maintenance, afin avoir des avions en capacité de faire des opérations et éviter un goulot d’étranglement dans le soutien industriel dans les deux ans. Plusieurs étapes ont été atteintes, ce qui va déjà offrir une meilleure productivité de nos avions dans les années à venir. Nous travaillons avec le Service industriel de l’aéronautique et l’industrie pour aller encore au-delà. Nous adaptons également un peu les programmes de MCO que Dassault Aviation propose à l’export, pour des pays qui comportent moins de structure industrielle et qui sont pleins d’enseignements pour l’armée de l’air.
De quelle manière les OPEX impactent-elles le maintien des compétences des pilotes ?
Pour les pilotes, les missions en Syrie et en Irak sont surtout liées au soutien aérien rapproché, ce qui représente une partie seulement du spectre qu’ils sont censés réaliser. Il ne faut pas que ce spectre diminue et il faut que nos pilotes continuent à être opérables dans tous les domaines. Ce qui nous amène parfois à changer notre fusil d’épaule. L’armée de l’air devait aller jusqu’à Cold Lake pour l’exercice Maple Flag au Canada avec des Mirage 2000D par exemple (exercice comprenant notamment des scenarii de COMAO (Combined air operation) se déroulant fin mai-début juin et pour lequel l’armée de l’air devait initialement déployer quatre Mirage 2000D et quatre Mirage 2000-5, NDLR). Compte-tenu du suremploi des Mirage 2000D et des contraintes logistiques dues au déploiement outre-Atlantique, la décision a été prise de se re-greffer sur Frisian Flag (exercice se déroulant actuellement aux Pays-Bas, NDLR), ce qui nous permet d’avoir un cadre plus proche qui permet la régénération des pilotes et de leurs qualifications. Ce travail constant demande beaucoup de réactivité.
Globalement, toutes les armées de l’air du monde sont dans les mêmes problématiques et ce qui est appréciable, c’est de constater que nous recevons beaucoup d’aide des autres pays pour essayer de trouver des solutions. C’est l’illustration d’un changement de mode d’action. Il faut trouver des exercices et des moyens pour nos pilotes, il faut de l’entraide. De manière plus générale, notre travail se fait beaucoup en interalliés, il faut beaucoup de coordination en étant inventifs.
Dans un autre registre, nous diminuons actuellement le nombre de pilotes qui avaient été affectés dans des structures de commandement, afin de les remettre en escadron, l’idée étant de remettre en avant les manettes en termes de formation. Il faut plus de pilotes pour former les jeunes en escadron, qui seraient utiles actuellement en opération.
Qu’en est-il des équipages drones déployés au Sahel et aux commandes des Harfang et des MQ-9 Reaper ?
Les équipages de drones sont surengagés, parfois jusqu’à six mois par an. Mais l’armée de l’air souhaite malgré tout maintenir le concept d’équipage, à proximité du théâtre, à la différence du modèle américain. Il est pour l’instant exclu de piloter des Reaper en opérations depuis Cognac, puisque nous n’avons actuellement pas la possibilité technique de le faire.
En termes de formation, les travaux en cours à Cognac vont permettre de construire une structure de formation, à l’image de ce qui se fait dans un escadron de chasse. Il s’agirait ainsi d’avoir dans l’escadron de drones un tiers de personnels ab initio, un tiers de confirmés et un tiers en opération. Une armée de l’air qui existe, c’est une armée de l’air qui a ses propres structures de formation. A partir du moment où vous êtes dépendants pour la formation, vous êtes rapidement coincés. L’année dernière par exemple, un seul équipage a été envoyé à Holloman aux États-Unis, c’est trop peu et ça nous pousse à avoir nos propres capacités de formation, que nous aurons donc début 2017.
Pour l’instant, les pilotes de drones sont d’anciens pilotes de chasse, avec quelques personnels qui ont été formés ab initio. Il s’agira ensuite d’élargir le vivier à d’autres personnels, comme les pilotes de transport par exemple. L’idée c’est d’avoir une affection en escadron de drones, puis d’aller « irriguer » l’armée de l’air dans une autre unité avec la culture drones, en vertu de parcours et d’expériences croisés.
L’armée de l’air travaille par ailleurs avec l’Italie et est en contact avec le Royaume-Uni ainsi que l’Espagne pour éventuellement mutualiser certaines structures et/ou pratiques dans le domaine de la formation sur Reaper.
En sus du rythme soutenu des opérations, l’armée de l’air doit également accompagner la Marine nationale dans son passage au « tout Rafale » ainsi que les succès à l’export…
Nous anticipons en ce moment la transformation de nos pilotes à l’escadron de transformation de Saint-Dizier, afin de préparer au mieux l’utilisation des Rafale qui sera faite pour le soutex (soutien à l’exportation), en mettant dans le circuit de la transformation les pilotes de la Marine nationale et de l’armée de l’air. L’escadron de transformation de Saint-Dizier va devoir intégrer la transformation des pilotes de l’aéronavale qui passent sur Rafale, le second escadron nucléaire de l’armée de l’air et les pilotes qataris qui vont arriver progressivement à partir de la fin de cette année.
Nous sommes sur un travail mois par mois avec notamment le déploiement d’une partie de l’activité de transformation à Landivisiau, afin d’utiliser les avions de la marine et les équipements, sans quoi l’escadron de Saint-Dizier arriverait à saturation.
En ce qui concerne le Qatar, contrairement aux autres pays où souvent on envoie les têtes de chaîne pour former les autres pilotes ensuite, dans le cas présent, nous allons former un escadron entier. Le Qatar n’a pas acheté uniquement des avions, il achète également le savoir-faire de l’armée de l’air. Le volume de pilotes sera relativement faible à la fin de l’année, mais il sera plus important en milieu d’année prochaine. La première formation théorique se fera au Centre de formation Rafale de Mont-de-Marsan, avant de poursuivre à Saint-Dizier, puis de revenir à Mont-de-Marsan. Là ils seront formés à manier l’avion mais aussi à tirer de l’armement. L’escadron disposera de son propre bâtiment et sera co-localisé avec le 2/30 « Normandie-Niémen » pour mutualiser le soutien technique, mais il y aura malgré tout une séparation physique et des systèmes adaptés qui leur permettront de préparer leurs missions, sans avoir accès aux données propre à l’armée de l’air.
De manière plus générale, quels sont les défis auxquels fait face l’armée de l’air actuellement ?
Il y a un sujet qui est particulièrement intéressant, c’est la connectivité. On voit bien que globalement que tous les systèmes d’armes, au sol ou en vol, doivent communiquer. Si on n’a pas les bonnes versions du logiciel et le savoir-faire pour les mettre en oeuvre, ça ne fonctionne pas. Il ne faut pas rater le virage de la connectivité.
Au cours de la première guerre du Golfe, on attribuait l’objectif la veille pour le lendemain et on regardait le surlendemain ce qu’on avait fait. Les photos étaient prises par les Omera 40 qui équipaient les Jaguar, des Nord 262 assuraient ensuite le transfert des photos qui étaient ensuite développées. En Bosnie, des Alphajet faisaient le trajet de l’Italie à Paris pour ramener les photos. Le tempo n’était alors pas le même. Cette procédure-là a complètement changé, aujourd’hui tout va beaucoup plus vite en termes de renseignement et de BDA (Battle damage assessment, évaluation des dommages, NDLR), la technique évolue et avance très vite. Cela suppose donc qu’on ait des équipements sur les avions pour des transmissions satellitaires, que tous nos aéronefs doivent être équipés de moyens pour être capables de dialoguer par moyens satellitaires.
L’enjeu est donc notamment de faire plus de recrutement de personnels spécialisés dans les SIC (systèmes d’information et de communication, NDLR), mais ce sont des métiers avec beaucoup d’offres, il y a un vrai besoin et nous avons du mal à recruter. De même pour le volet cyber, qui ne touche pas uniquement le militaire.