Deux cent aéronefs, 5 000 « marins du ciel », la force de l’aéronautique navale de la Marine nationale est plus que centenaire. Commandée par le contre-amiral Bruno Thouvenin depuis l’été 2014, elle assure quatre missions aéromaritimes : la dissuasion nucléaire, la connaissance et anticipation, la projection de puissance et la défense maritime du territoire. L’ancien pilote de Super Étendard aborde avec le Journal de l’Aviation les grands enjeux actuels et futurs de l’aéronavale.
Le porte-avions Charles de Gaulle effectue actuellement son dernier déploiement opérationnel avant son second arrêt technique majeur. Comment la gestion des personnels de l’aéronavale va-t-elle s’articuler pendant les 18 mois que doit durer le chantier ?
Les travaux concernent à la fois l’entretien habituel du porte-avions, mais également la rénovation à mi-vie, qui comprend tout le système de combat et les systèmes de transmission. Côté aéronautique, le chantier concerne l’aide à l’appontage et la plateforme des officiers appontages. Pour les personnels, il s’agit de maintenir les savoir-faire tactiques. La gestion du temps va se répartir en deux grandes périodes : l’année 2017 et le premier semestre 2018.
La Marine nationale a un contrat opérationnel qui prévoit en cas d’indisponibilité longue durée du porte-avions la participation aux opérations depuis la terre, à l’image de ce qui avait été fait en 2008 en Afghanistan par les Super Étendard modernisés. Ce sera au CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations, NDLR) de définir où seront déployés les marins du ciel. Nous allons également prendre des créneaux de PPS (posture permanente de sûreté) pour le compte de l’armée de l’air et pourrions doubler notre participation en 2017. De plus, l’organisation du Nato Tiger Meet à Landivisiau en juin 2017 permettra de garder un savoir-faire global du groupe aérien.
La seconde phase, au premier semestre 2018, devrait nous amener à travailler avec nos camarades américains, d’aller sur un porte-avions de l’US Navy en groupe constitué, à l’image de ce que nous avions fait en 2008 avec un petit groupe de Rafale et de Hawkeye. L’idée est que tous les pilotes confirmés à l’appontage puissent venir sur le porte-avions, ainsi que les techniciens. Les discussions sont en cours, les signes sont encourageants et le sujet est bien suivi au niveau des chefs d’état-major des deux marines. Cela permettra de « remettre en route » les équipages et les techniciens et quand le Charles de Gaulle sera de nouveau opérationnel, le noyau dur du groupe aérien embarqué sera prêt à partir.
L’immobilisation du porte-avions sera également l’occasion de récupérer le retard accumulé en formation tactique. La priorité depuis un an et demi était de qualifier les pilotes à l’appontage, avec un remarquable travail effectué en permanence, même en opérations, lors des déploiements Arromanches 1, 2 et 3. Les jeune pilotes continuent à progresser dans le travail sur porte-avions, ils n’ont pas forcément de qualification opérationnelle, mais il est prévu de leur faire acquérir des qualifications tactiques pendant l’arrêt technique. Comme ils auront déjà été confirmés à l’appontage, ils seront prêts en 2018.
Les tensions sur les matériels aéronautiques sont connues, quelles sont les difficultés auxquelles fait face l’aéronavale ?
L’aéronautique navale doit gérer environ 200 aéronefs, de 17 parcs différents. Il y a donc un savoir-faire à garder, tant pour les équipages que pour les techniciens de proximité et le « back office ». Cette multiplicité est parfois un peu compliquée à gérer, aggravée par des générations de matériels franchement différentes : les Alouette sont cinquantenaires, alors que les Rafale et les Caïman sont les derniers arrivés.
A l’image du Lynx ASM et du NH90 ASM, les matériels sont complètements différents, ça n’a rien à voir, il faut donc garder en permanence des personnels qualifiés sur les matériels anciens et en former d’autres sur des matériels nouveaux.
Ce constat fait, il faut ajouter à cela les difficultés rencontrées en termes de disponibilité des aéronefs. Certaines flottes sont plus touchées que d’autres. Il y a par exemple une vraie tension sur le segment ATL2, avec un parc à 23 appareils, mais la disponibilité n’est pas très très bonne, même si ça varie en fonction des périodes. Des mesures ont cependant été prises et vont donner leurs fruits.
Sur les Caïman, 17 ont été livrés, nous sommes dans un processus de montée en puissance et avons de quoi armer quatre détachements, en plus des deux sites d’alerte SECMAR (Secours maritime) de Lanvéoc et de Cherbourg. La situation est cependant très tendue, car nous n’arrivons pas à produire les heures de vol dont nous avons besoin pour monter les équipages et les détachements techniques. Il faut arriver à faire de l’instruction, du dépannage, des missions, et comme les visites techniques sont plus longues que prévues, nous avons beaucoup moins d’aéronefs que prévus et sommes donc en retard.
Dans le cas des Panther, il y a également un peu de tension, parce que nous n’en avons pas assez pour armer tous les bâtiments, donc nous devons jongler en permanence pour les basculer d’un bateau à l’autre.
Il nous manque de l’ordre de 30% des détachements embarqués et la suractivité des personnels commence de fait à devenir préoccupante.
Il faut donc en permanence opérer un arbitrage de missions, c’est la seule solution que nous ayons trouvé pour l’instant. Ceci étant, avec les visites qui commencent doucement à rétrécir et la logistique qui tend à s’améliorer, nous avons stoppé la descente et sommes en train de remonter doucement la pente.
Quelles sont les tensions que vous identifiez sur les personnels ?
Depuis une dizaine d’années, les réformes ont re-concentré le personnel militaire sur le métier de combattant, avec des déflations effectuées en grande partie dans les fonctions soutien. La partie productive du personnel est parfois diminuée en raison des tâches de soutien, alourdies par un système normatif de plus en plus lourd. Si on transpose, cela fait moins de techniciens pour les visites, moins d’équipages pour la formation et des montées en puissance plus faibles.
Il y a de plus une vraie relance actuellement en France pour les techniciens. De fait, en termes de recrutement, nous sortons de nos bassins habituels de rayonnement et de recrutement, car nous allons chercher les jeunes dans les mêmes viviers de recrutement que les PME. L’aéronautique navale recrute environ 300 personnes par an, et même si le métier de marin du ciel a un aspect mythique, le mythe baisse parfois un peu au vu des rythmes de travail. Nous avons besoin d’aller expliquer nos métiers dans les écoles, une démarche qui n’est pas facile, car elle demande un investissement humain, au même moment où les personnels sont nécessaires sur le terrain, à bord des bâtiments. Nous avançons tout doucement, mais il faut aller dans ce sens-là et changer notre approche, à l’image de la création de bacs professionnels aéronautiques.
On en parle peu, mais la Marine nationale participe aussi au soutien à l’export du Rafale…
L’aéronautique navale a effectivement récupéré une partie du soutex Rafale, en concertation de longue date avec l’armée de l’air. Pour que l’armée de l’air puisse par exemple faire plus de formation, nous avons diminué la présence de nos jeunes pilotes à Saint-Dizier (où se trouve l’ETR Rafale, NDLR), pour « délocaliser » une bonne partie du syllabus dans nos flottilles de combat à Landivisiau. Nous avons également fourni des créneaux de simulateur à Landivisiau, afin de libérer un peu Saint-Dizier, tout comme nous avons permis à des détachements de l’ETR de venir en Bretagne, l’ouest du Finistère représentant une grande zone d’entraînement possible.
Ainsi, nous fournissons des Rafale, mais également des moniteurs, lorsque les détachements viennent de Saint-Dizier à Landivisiau. L’effet global est réparti et la Marine nationale participe ainsi au soutex de manière indirecte. Et lors de la signature d’un contrat supplémentaire, l’armée de l’air et la Marine nationale planchent ensemble pour savoir comment gérer au mieux.
Sur la thématique des perspectives futures, quels sont les enjeux d’un programme tel que l’hélicoptère interarmées léger (HIL) ?
Le HIL regroupe les expressions de besoins de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la marine. L’idée est d’essayer de faire un monotype, du point de vue de la formation des techniciens et des personnels volants, de la logistique et de la maintenance industrielle. Le problème est le suivant : Si un hélicoptère de l’ALAT doit pouvoir transporter plusieurs centaines de kilos, en altitude et dans un environnement chaud, il sera franchement motorisé ; l’armée de l’air a elle besoin d’un appareil capable de faire de la MASA (mesures actives de sûreté aérienne) porte ouverte pour filer un avion léger, il devra donc être profilé et aller vite ; et l’aéronavale focalise ses exigences sur la solidité des trains et de la coque pour pouvoir installer un harpon, la présence d’un treuil et bien évidemment un traitement anti-corrosion. Avec tous ces critères, l’industriel a du mal à répondre avec une seule plateforme. C’est donc un raisonnement technique et un choix d’arbitrage financier.
Pour l’aéronautique navale, il va falloir trouver des solutions intérimaires, surtout pour les Alouette, qui font de la formation, de l’éclairage en mer sur les frégates de surveillance, du transfert de matériel sur les pétroliers ravitailleurs, de la RESCUE autour du porte-avions… Les réflexions entre l’EMA et la DGA sont bonnes, on avait réussi à trouver comment faire en 2009/2010 entre le Super Frelon et le Caïman, avec l’achat puis le transfert d’EC225. Je ne suis pas inquiet, nous allons trouver des solutions.