Lancé en « urgences opérations », le plan d’acquisition de corps de bombes de 250kg a permis à la France de maintenir le niveau des stocks de munitions, alors qu’un rapport d’information publié par deux députés de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale fin 2015 faisait état d’une baisse des réserves françaises. Interrogé en janvier 2016, l’état-major des armées indiquait ne pas être « en manque de munitions », mais plutôt « en phase de re-complètement » des lots. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait par ailleurs rassuré les députés de la commission Défense en juillet, indiquant : « il n’y a aucune inquiétude à avoir en la matière, nous avons ce qu’il nous faut et reformons nos stocks ».
La discrétion autour de l’identité des fournisseurs est restée de mise jusqu’à récemment, le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen ayant précédemment « botté en touche » au cours d’une séance de questions au gouvernement en juillet dernier. A la question du député Philippe Meunier, qui s’interrogeait sur la gestion du stock de bombes et les mesures en cours pour les renforcer, Jean-Marie Le Guen s’est contenté de répondre : « Vous ne manquerez pas de poser cette question à Jean-Yves Le Drian », renvoyant le député aux travaux d’audition en commission. Auditionné en octobre dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2017, le ministre de la Défense a répondu en partie, indiquant que « la défense a acquis les corps de bombe » de la SAMP (Société des ateliers mécaniques de Pont-sur-Sambre), « dernier acteur français du secteur », comme l’indiquait Challenges en août dernier, qui précisait par ailleurs que l’industriel est en conflit avec la DGA et n’a pas reçu de commande française depuis 2009.
Cela étant, la plus grande partie du stock de corps de bombes a été acquise « sur étagère » auprès d’alliés étrangers, et ce « dès début 2015 » selon le général Jean Rondel, sous-chef activité de l’état-major de l’armée de l’air. Il s’agissait alors de « puiser dans leurs stocks », directement sur le théâtre d’opération, notamment auprès des Canadiens, mais également d’autres nations européennes (non-citées). Une mesure qui a « évité de descendre à des niveaux trop bas », avant de faire appel aux ressources américaines.
Par ailleurs, la Suède a fait part en décembre 2015 de sa capacité à « aider la France avec du matériel militaire », en vertu de l’article 42 (7) du Traité de l’Union européenne et à la demande de la France. La décision avait été approuvée par le parlement suédois en mai 2016. Pas plus les ministères suédois que français de la Défense, ni la DGA, n’avaient souhaité détailler la nature des équipements au Journal de l’Aviation, évoquant le « secret défense ». Un rapport de la Cour des comptes sur les OPEX entre 2012 et 2015 confirme qu’il s’agissait bien (entre autres) de corps de bombes : « il a été jugé nécessaire de recourir récemment à l’achat sur étagère de corps de bombes […] aux États-Unis (et dans d’autres pays alliés ou partenaires tels que le Canada et la Suède) ».
Les munitions tirées par les chasseurs dans le cadre de l’opération Chammal en Syrie et en Irak comprennent majoritairement des bombes guidées GBU-12, GBU-49 et AASM, ainsi que des missiles de croisière SCALP et, depuis octobre 2015 pour la première fois en opération, des bombes « à faibles dommages collatéraux » BLU-126. Le dernier point des opérations de l’état-major des armées du 10 novembre faisait état de 981 frappes au Moyen-Orient, pour « plus de 1 600 bombes et missiles » tirés par les Rafale et Mirage 2000, selon le décompte effectué à la mi-octobre par le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général André Lanata. Le tir de missiles SCALP a par ailleurs « été accru en raison de la perspective inéluctable de leur démantèlement en 2016 pour cause d’obsolescence programmée », confirmant ainsi les hypothèses évoquées dans les médias depuis le début de l’année. Au total, l’armée de l’air aurait tiré un peu plus de 70 des missiles de MBDA destinés aux « cibles à haute valeur ajoutée », les premiers ayant été largués en décembre 2015.
Concernant les kits de guidage, des mesures ont également été prises en 2015 pour ne pas faire face à une pénurie des stocks, les kits de guidage laser ont été fournis par les États-Unis, les kits de guidage de l’AASM (GPS, IR ou laser) commandés auprès de Sagem, avec une nouvelle commande de la DGA attendue avant la fin de l’année. La « consommation » de kits de guidage laser sur le théâtre irako-syrien serait par ailleurs moindre par rapport au guidage GPS, en raison de l’absence/de la présence très discrète et réduite de JTAC (contrôleurs aériens avancés) au sol pour coordonner les frappes aériennes.
Selon la Cour des comptes, la dépense en munitions par l’armée de l’air a été multiplié par 26 entre 2012 et 2015, passant de 2,4 millions d’euros en 2012 à 63,5 en 2015, l’augmentation étant particulièrement nette entre 2014 et 2015 (de 8 millions à 63,5) en raison du déclenchement de l’opération Chammal. Pour l’année 2015, l’armée de l’air et la marine nationale totalisent un engagement de 83,3 millions d’euros de munitions tirées dans le cadre de Chammal.
Enfin, et ce n’est pas une surprise, « l’usage des munitions a des conséquences de nature politique », expose la Cour des comptes. C’est ainsi que la régulation mensuelle de l’emploi de ces munitions par le CPCO, prévue pour préserver les stocks et garantir « l’endurance de la partie française au sein de la coalition » a été revue fortement à la hausse après les attentats du 13 novembre, « pour mieux passer le message de la détermination de son engagement contre le terrorisme ».
Alors que se pose la question de la dépendance de nations alliées – mais surtout des États-Unis – pour la fourniture de ces équipements sensibles, le général Lanata a livré une piste de réflexion lors de son audition par les députés : « Peut-être qu’aujourd’hui, au moment où notre consommation augmente, il serait intéressant de se reposer la question d’une capacité de production nationale ». Une réflexion qu’il n’est d’ailleurs pas le seul à avoir…