Alors que l’innovation a été mise au coeur de la Loi de programmation militaire (LPM 2019-2025), un rapport d’information sénatorial tire la sonnette d’alarme sur le financement de la recherche amont de défense. Parmi plusieurs sujets de préoccupations, il met notamment en garde contre une répartition inadaptée des subventions malgré une hausse globale des budgets. Cela toucherait tout particulièrement l’Onera, qui ne pourrait bientôt plus avoir les moyens de ses ambitions.
Ce rapport d’information a été remis le 10 juillet par les sénateurs de l’opposition Cédric Perrin (groupe LR) et Jean-Noël Guérini (groupe RDSE), tous deux membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Ils y expriment de « vives inquiétudes sur la situation de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales ». Ils notent ainsi « que l’amélioration de sa situation financière se poursuit, mais selon des perspectives qui ne sont pas totalement satisfaisantes ».
Les deux sénateurs s’alarment du niveau de subventions de l’Onera fixé par l’actuel Contrat d’objectifs et de performance (COP 2017-2021), signé fin 2016 avec la DGA, son organisme de tutelle. Cet accord « apparaît en décalage avec la nouvelle priorité accordée à l’innovation de défense » et attribue un montant qui « semble trop faible aux regards des enjeux mais aussi des efforts consentis dans ce domaine par de nombreux autres pays, dont l’Allemagne notamment ».
Une perte de vitesse par rapport à l’Allemagne
Le niveau de subventions accordées par la DGA stagne ainsi depuis 2015 à 105 millions d’euros, hors financements exceptionnels (comme ce fut le cas pour la préservation de la soufflerie S1 de Modane). Le rapport cite à l’inverse l’exemple du DLR allemand, dont le niveau de subventions fédérales est passé de 110 à 170 millions d’euros ces dernières années – même s’il faut mettre quelques bémols à cette comparaison, aucune date n’ayant été précisé et le périmètre n’étant pas vraiment analogue (la part de la défense dans les activités du DLR est inférieure à celle de l’Onera).
Il n’empêche que le DLR a vu ses crédits étatiques pour la recherche aéronautique (hors spatial) augmenter d’un tiers entre 2013 et 2017 pour s’établir à 178 millions d’euros. Cela a compensé la stagnation des commandes privées. A l’inverse, l’Onera a fini ses quatre derniers exercices dans le vert essentiellement grâce à l’amélioration de ses performances « commerciales ». Une situation qui, selon le rapport, « le conduit, par construction, à affecter ses ressources humaines à ces marchés en priorité, la recherche fondamentale et théorique ne pouvant être que seconde ».
Bruno Sainjon, PDG de l’Onera, avait déjà averti sur cet état de fait en début d’année, déclarant alors que ses équipes étaient « sous tension », avec la remontée en puissance significative des commandes commerciales depuis quatre ans. Il soulignait notamment la difficulté croissante pour les bureaux d’études attachés aux souffleries de faire face à de nouveaux contrats, en particulier à l’international (25 % des prises de commandes), en raison du manque de ressources humaines.
Les négociations demandées par Florence Parly tardent à se concrétiser. © V. Besnard / ECPAD
Des marges de manoeuvre congrues
Les sénateurs citent aussi un précédent rapport pour souligner que « l’étroitesse des marges de l’établissement produit des effets négatifs qui fragilisent, à terme, ses perspectives ». Une étroitesse qui est illustrée par les résultats de l’an dernier : malgré une hausse des commandes de 12% en 2018 par rapport à 2017, son bénéfice net comptable a été divisé par trois. L’Onera se doit donc de maîtriser au plus juste ses dépenses.
C’est notamment le cas sur les salaires, avec des « niveaux de rémunération proposés aux personnels de l’établissement, quasiment tous contractuels de droit privé, (qui) sont de plus en plus en décalage avec les rémunérations offertes dans le secteur privé ». Les deux sénateurs craignent ainsi une fuite des compétences, qui fragiliserait lourdement l’Onera.
Ces différents éléments font dire aux deux sénateurs que « si elle devait trop durer, cette situation pourrait empêcher le maintien de l’ONERA au meilleur niveau technique mondial dans son secteur ». Ils préconisent donc de réviser le COP sans attendre 2021, « d’une part pour prendre acte de la nouvelle priorité donnée à l’innovation, et d’autre part pour lui donner les marges de manoeuvre nécessaires dans le domaine de la gestion de ses ressources humaines ». Cela engagerait notamment un réexamen du niveau de subventions.
Une attente pour l’instant vaine
Cette possibilité avait déjà été évoquée par Bruno Sainjon en janvier, à l’occasion de la visite de Florence Parly sur le site de l’Onera à Palaiseau. La ministre des Armées avait alors demandé à la DGA d’ouvrir des négociations avec lui sur « le rôle renforcé que pourra jouer l’Onera dans la remontée en puissance de nos armées ». Elle entendait ainsi affirmer sa volonté d’inscrire l’innovation au coeur de la LPM et de déployer sa future stratégie spatiale de défense.
Ces discussions devaient concerner l’attribution de nouveaux moyens et une possible hausse de la subvention accordée par la DGA. Et Bruno Sainjon souhaitait qu’elles concernent aussi les règles d’emploi et les conditions de rémunérations. De quoi entraîner la signature d’un nouveau COP. Mais depuis, alors que le dialogue devait s’engager dès fin janvier, l’Onera ne voit toujours rien de concret venir.