Tous les voyants sont au vert pour l’Espagne cet été. Les prévisions de croissance du PIB sont très positives (+2,7%) et les compagnies aériennes ont planifié une importante croissance de leurs capacités dans et vers le pays, redevenu l’eldorado des touristes soucieux d’éviter l’instabilité de l’Afrique du Nord et de la Turquie. Une bouffée d’oxygène pour les industries du transport aérien et du tourisme, après des années de traversée du désert. Mais celle-ci est-elle pérenne ?
Le transport aérien espagnol a en effet beaucoup souffert depuis 2007, avec deux périodes de régression du nombre de passagers en 2007-2009 puis en 2011-2012. Cependant, le secteur semble avoir repris du poil de la bête. En 2015, les aéroports ont vu transiter 207,4 millions de passagers, en progression de 5,9% par rapport à 2014. Les compagnies les plus actives dans le pays, Ryanair (35,16 millions de passagers), Vueling (29,57 millions de passagers), Air Europa (15,58 millions de passagers) et Iberia (15,02 millions de passagers), planifient toutes une croissance solide de leurs capacités cet été, tandis que Transavia et Thomas Cook Airlines passent franchement à l’offensive, avec une augmentation de leur offre frôlant les 40% par rapport à l’année dernière. Dernier signe : après une lourde restructuration, Iberia recommence à penser expansion et le groupe IAG a passé des commandes d’avions pour sa filiale.
« Nous sommes comme le malade qui sort de l’hôpital »
Mais le transport aérien espagnol revient de loin et cette croissance de 2015 et des mois à venir est à relativiser. « Nous sommes comme le malade qui sort de l’hôpital : nous allons mieux mais il faut regarder d’où nous venons », a expliqué Trevor Martin, directeur réseau et recettes d’Iberia Express, le 14 mars lors du forum Connect. Miguel Oliver, directeur planification d’Iberia Regional – Air Nostrum, ajoute que « la croissance est importante parce que le trafic domestique se redresse. C’est lui qui s’était effondré pendant la crise. Nous avons simplement retrouvé les niveaux d’il y a cinq ans. »
Tous deux se réjouissent de la reprise mais restent prudents. Miguel Oliver indique que « c’est une très bonne année mais je pense que la situation ne va pas durer. J’ai de sérieux doutes sur le fait que le prix du pétrole reste aussi bas et la concurrence va se renforcer. » Comme en témoigne déjà les ouvertures de routes et les augmentations de fréquences des low-cost européennes.
Trevor Martin souligne par ailleurs qu’il reste des problèmes structurels qui peuvent remettre en cause toute cette avancée du jour au lendemain. L’absence de gouvernement, par exemple. « Pour le moment, les redevances aéroportuaires sont gelées jusqu’en 2021 mais qui sait ce qui sera décidé par un nouveau gouvernement. » Et il met en garde : « de toute façon, nous ne pouvons pas croître plus vite que le PIB pendant longtemps. » En attendant, la filiale low-cost d’Iberia se donne les moyens d’accompagner cette croissance en augmentant ses capacités et en lançant quatorze nouvelles routes cet été. Elle a accueilli son premier A321 en février et en attend un autre pour juin. « C’est une grande modification pour nous, qui avons toujours eu des A320. Mais c’est important pour améliorer les coûts au siège, par exemple entre Madrid et les Canaries. »
Le directeur planification de Vueling, Gabriel Schmilovich Isgut, intervenait également dans cette table ronde de Connect et a davantage pointé du doigt la capacité hôtelière de l’Espagne, qui n’est pas illimitée. Pour autant, la low-cost ne compte pas remettre son expansion en question, même si l’ampleur de sa croissance sur les prochaines années n’est pas encore déterminée. Pour optimiser ses opérations et réduire sa saisonnalité, elle s’est positionnée sur des marchés de niche (comme Banjul et, plus récemment, Accra) qui s’intègrent parfaitement au programme de vols puisqu’ils sont desservis en vols de nuit. Mais elle prévoit également de se renforcer en France – où elle a rouvert une base à CDG – et aux Pays-Bas.
Capacité d’accueil limitée, absence de politique claire en termes de transport aérien et croissance trop rapide pour durer, le transport aérien espagnol n’a certainement pas définitivement tourné la page de la crise. Mais il profite actuellement d’un fort vent arrière, conséquence des difficultés géopolitiques en Turquie, en Egypte et en Tunisie, dont veulent profiter toutes les compagnies européennes. S’ils restent sceptiques sur la solidité du marché, les transporteurs espagnols se doivent de se positionner eux aussi dans le courant-jet pour maintenir leurs parts de marché et redresser leur situation, tout en se préparant pour un éventuel retour des jours difficiles.