« Vous êtes en train de perdre le combat sur l’environnement dans l’opinion publique ! » En une phrase, Richard Quest, journaliste sur CNN mais à cette occasion modérateur de panel à l’assemblée générale de l’IATA, a mis l’association devant l’un de ses échecs : celui de la communication autour de ses actions pour réduire ses émissions. Car c’est un sujet sur lequel les compagnies aériennes discutent, travaillent et agissent depuis dix ans. Or, personne en dehors du secteur de l’aéronautique ne semble être au courant.
Jusqu’à récemment, cette discrétion ne posait pas réellement de problème. Mais depuis quelques mois, le transport aérien est ébranlé par une multiplication d’attaques concernant son empreinte écologique – Carsten Spohr, le CEO du groupe Lufthansa, rappelle que le secteur compte pour environ 2,5% des émissions mondiales de CO2. La « honte de voler » et le phénomène Greta Thunberg descendent de Suède sur l’Europe, les appels à l’instauration d’une taxe kérosène se multiplient, comme s’affirme la volonté, historique en France, de promouvoir le train face à l’avion. Si les manifestations les plus radicales de ce mouvement sont pour le moment cantonnées à l’Europe du Nord et occidentale, l’inquiétude est telle au sein de l’IATA que le sujet a occupé toutes les discussions durant les trois jours qu’ont duré son assemblée générale et le symposium sur le transport aérien (WATS).
CORSIA, ce grand inconnu
Touchée au coeur et habitée par un sentiment d’injustice, l’IATA a adopté comme toute première résolution de communiquer mieux et davantage autour de ses actions en faveur de la réduction des émissions, notamment autour de CORSIA, auprès des décideurs. « C’est une question de réputation. Nous ne voulons pas être considérés comme l’industrie du tabac », déplore Alexandre de Juniac, le directeur général de l’IATA.
Aidée par les avancées des avionneurs et des motoristes, les compagnies s’attachent à renouveler leurs flottes dans un souci d’économies autant que d’écologie, leurs appareils les plus anciens étant remplacés par des avions 15% à 20% plus efficaces en termes de consommation carburant. Equipements cabine plus légers, manuels de pilotes remplacés par des tablettes, roulage sur un moteur, approches lissées… autant de solutions qui servent ce double objectif. Aujourd’hui, un avion rejette deux fois moins de CO2 dans l’atmosphère qu’en 1990.
Mais l’industrie est allée plus loin en s’imposant des objectifs à l’échelle mondiale et aller au-delà des actions individuelles qui montrent la voie, avec son adhésion pleine et entière au programme CORSIA (Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation, un système mondial de tarification du CO2) qu’elle a initié en 2009 et que l’OACI a entériné en 2016. « Nous sommes la seule industrie au monde à s’être donné des objectifs de réduction », rappelle Carsten Spohr, le nouveau chairman de l’IATA. Les standards, qui s’appliquent dans les 192 pays membres de cette organisation des Nations unies, sont entrés en vigueur le 1er janvier.
Ceux-ci sont d’abord de compenser les émissions, par exemple en finançant des projets sociaux ou environnementaux. L’IATA estime que les investissements dans ces projets représenteront 40 milliards de dollars entre 2021 et 2035 et que 2,5 milliards de tonnes de CO2 seront ainsi compensées. L’objectif numéro un est de stabiliser les émissions de l’aviation au niveau de 2020, quelle que soit la croissance du trafic.
L’IATA voit plus loin et veut fortement réduire ses émissions pour qu’elles atteignent en 2050 la moitié de leur niveau de 2005, là encore quelle que soit l’augmentation du trafic. Si la stagnation au niveau de 2020 sera facile à réaliser, l’objectif de 2050 est beaucoup plus ambitieux, avait déclaré Alexandre de Juniac quelques jours avant l’assemblée générale au cours d’un déplacement à Paris et un discours devant l’Usaire. « Nous allons sur-compenser », rappelle-t-il. « L’aviation fait le job mais nous avons besoin de l’aide des gouvernements. »
Mais que font les Etats ?
Goh Choon Phong, le CEO de Singapore Airlines, comme les autres membres de l’IATA, approuve : « Il faut impliquer toute l’industrie, les compagnies n’y arriveront pas seules. Nous devons analyser ce que nous pouvons faire ensemble. » Industriels de l’aéronautique, aéroports, contrôle aérien, fournisseurs, compagnies, tout le monde a son rôle à jouer. « J’aimerais que toute la chaîne du transport aérien en fasse autant que les compagnies », regrette Alexandre de Juniac.
Avionneurs et motoristes travaillent en ce sens, essaient de trouver de nouvelles configurations révolutionnaires et plus efficaces mais surtout d’évoluer vers des avions hybrides. Des universités / instituts technologiques font également des recherches dans divers domaines pour rendre l’aviation plus écologique. Ces recherches devraient être davantage soutenues par les gouvernements, selon l’IATA.
Une meilleure régulation doit également être mise en place, ce qui relève largement des compétences des gouvernements. Tout le monde a en tête le bilan catastrophique de 2018 en Europe où les grèves et les pénuries de main d’oeuvre dans le contrôle aérien, la fragmentation du ciel ainsi que la congestion en aéroport ont abouti à 19 millions de minutes de retard, avec leur lot de temps de roulage allongé, de routes allongées et d’émissions inutilement augmentées. La « simple » mise en place du ciel européen, retardée depuis 35 ans pour des questions de « souveraineté nationale », permettrait de réduire de 18 millions de tonnes par an les émissions de CO2 sur le continent. « Il y a eu très peu d’investissements pour améliorer la gestion du trafic aérien, la technologie a trente ans de retard. C’est aussi de la responsabilité des gouvernements de la rendre performante. »
L’IATA appelle enfin de ses voeux un déploiement à plus grande échelle des biocarburants – et vise 2% d’utilisation par les compagnies au niveau mondial d’ici 2025. Certains aéroports et certaines compagnies se sont déjà engagés sur cette voie, notamment en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas ou à Los Angeles. Mais la production reste anecdotique par rapport aux besoins et surtout très onéreuse. Akbar Al Baker, président de Qatar Airways (qui peut utiliser du Gas to liquid, produit avec le soutien du Qatar), explique : « Il faut aller plus loin et investir dans la recherche de nouveaux types de carburants. Or c’est exorbitant. Il n’y aura une avancée dans les biocarburants que lorsqu’on réussira à abaisser les coûts. Pour cela, il faut un investissement collectif dans la recherche. » Selon l’association, le recours aux biocarburants à une échelle industrielle permettrait de réduire les émissions de jusqu’à 80%.
Evoluant dans un secteur très taxé et faisant désormais face à la menace d’une taxe kérosène, portée notamment par la France, Akbar Al Baker poursuit : « les Etats devraient investir autant que ce qu’ils prélèvent. » D’autant que les prélèvements ne profitent pas toujours au développement durable du transport aérien. S’insurgeant contre cette taxe sur le kérosène (qui va à l’encontre de la Convention de Chicago), Alexandre de Juniac explique : « la motivation à évoluer vers une aviation plus propre n’est pas une question de taxe mais de conviction. Les gouvernements devraient promouvoir la recherche et les biocarburants et non mettre en place des taxes punitives qui ne servent pas la cause de l’environnement. C’est de l’hypocrisie environnementale. »