Le secteur de l’aviation régionale est particulièrement en danger durant cette crise sanitaire. En déclin depuis plusieurs années, il est constitué d’acteurs très fragiles comme l’ont prouvé la faillite de Flybe en mars, celle toute récente de l’entité française de CityJet et la menace qui pèse sur HOP! D’un autre côté, la structure même des flottes lui donne aujourd’hui un avantage puisque les avions les moins capacitaires sont les premiers à être remis en service, le niveau de la demande et les restrictions sur les voyages ne permettant pas de redémarrer de façon viable les gros-porteurs ou les appareils de grande capacité. Le cabinet IBA livre sa vision de l’évolution du secteur et l’impact sur les mouvements de flotte et la valeur des appareils régionaux pour les deux prochaines années.
Selon lui, la crise du covid-19 aura pour effet principal de suspendre le renouvellement des flottes régionales, à l’image de ce que vit l’intégralité du transport aérien. Les mouvements de flotte devraient donc être limités. Les livraisons le sont déjà puisque seuls treize jets régionaux et quatorze biturbopropulseurs ont été réceptionnés depuis le début de 2020. Dans un contexte où les carnets de commandes avaient tendance à se vider – hormis pour l’ARJ21 livré au compte-goutte sur le marché chinois, l’incertitude domine chez Embraer et Mitsubishi Aircraft, le programme CRJ s’arrête et le marché absorbe le trop-plein de livraisons d’ATR depuis 2014 -, plusieurs reports de livraison ont été annoncés (comme chez Azul, qui n’attend plus ses E2 avant 2024). Par ailleurs, plusieurs projets de renouvellement ont été mis en suspens, par exemple chez Aeromexico et BA Cityflyer.
IBA n’anticipe pas de perte majeure de valeur pour les flottes jeunes. En revanche, les appareils régionaux à mi-vie (environ douze ans de service) devraient fortement se déprécier. C’est le Q400 qui va perdre le plus de valeur. En effet, l’offre est pléthorique sur le marché de seconde main : la faillite de Flybe a remis 54 appareils sur le marché (10% de la flotte mondiale), celle de LGW en Allemagne une quinzaine, tandis qu’airBaltic et Austrian se séparent de leur flotte, soit 26 appareils au total. Le Q400 pourrait perdre le quart de sa valeur et ses taux de location pourraient être divisés par deux.
Une menace pèse également sur l’E190, dont la disponibilité va augmenter avec les nombreuses expirations de contrats de leasing sur les cinq prochaines années et le remplacement des appareils de JetBlue par des Airbus A220. En revanche, si les CRJ700 et 900 voient leurs loyers se réduire, leur valeur est fortement dépendante du marché nord-américain : si celui-ci résiste, la famille aussi. Le CRJ1000 présente un cas un petit peu particulier : étant moins performants que les autres jets régionaux, ses perspectives ne sont pas bonnes sur le marché de seconde main, estime IBA.
Une opportunité de réviser la scope clause ?
Sur le plus grand marché régional, les Etats-Unis, IBA ressent une pression sur les appareils de 50 places, qui se matérialise notamment par la décision d’American Airlines de retirer ses CRJ200 et le non-renouvellement du contrat de Delta Air Lines avec SkyWest sur 55 CRJ200. Mais au-delà de cela, une menace pèse sur l’aviation régionale : la scope clause.
Pour rappel, négociée par les syndicats de pilotes, cette clause limite la capacité des grandes compagnies américaines sur le réseau régional : elles ne peuvent pas utiliser des appareils de plus de 76 places et d’une masse maximale au décollage supérieure à 39 tonnes. D’autres limitations s’ajoutent, qui diffèrent selon les trois majors.
Chez American Airlines, le nombre d’avions régionaux ne peut pas dépasser 75% du nombre d’avions « mainline ». Or, cette proportion est déjà atteinte. Si American Airlines devait réduire sa flotte mainline, cela aurait nécessairement des répercussions sur la flotte régionale, qui pourrait devoir se réduire de plus d’une centaine d’appareils. Pour Delta Air Lines, la limite est fixée à 450 appareils (125 de cinquante places et 325 de plus grande capacité), limite qui est déjà atteinte ou quasiment. Seule United Airlines a encore un petit peu de marge puisque sa flotte d’avions de 50 places peut atteindre 90% de sa flotte mainline.
Tous les groupes dans le monde sont conscients depuis plusieurs semaines qu’ils sortiront amoindris de la crise. Aux Etats-Unis, la situation n’est pas différente et le soutien dont bénéficient les compagnies aériennes dans le cadre du CARES Act risque de ne faire que repousser l’échéance où elles devront réduire leurs effectifs, notamment de personnel navigant. Ces décisions difficiles entraîneront un relâchement de la pénurie de pilotes, qui justifiait jusqu’à présent le maintien de la scope clause inchangée pour protéger les pilotes « mainline ». Selon IBA, cette tension affaiblie sur le marché du travail pourrait présenter une opportunité de réviser la scope clause et de redonner un petit peu d’élan au marché régional – et de marge de manoeuvre aux avionneurs du secteur.