Les compagnies aériennes ne veulent pas se sentir impuissantes à soutenir le développement d’une industrie du carburant durable d’aviation (SAF). Poursuivant son lobbying auprès des gouvernements et continuant à clamer les besoins de ses membres, l’association internationale du transport aérien (IATA) travaille à la création d’un « Registre SAF », qui devrait être lancé au premier trimestre 2025.
« Il n’existe pas de marché du SAF aujourd’hui », explique Marie Owens Thomsen, directrice Durabilité et chief economist de l’IATA. « Il nous faut développer un nouveau système qui permette à toutes les compagnies aériennes d’avoir accès au carburant plus durable et aux producteurs de vendre à tout le monde, afin de les motiver à accélérer le développement de la production, mais qui permette aussi de mesurer les progrès. »
L’idée est donc de sortir des discussions bilatérales qui caractérisent le marché aujourd’hui pour globaliser le marché. Par extension, le Registre SAF doit offrir un système fiable de suivi de la qualité et de la quantité de SAF utilisé, de mesure des émissions et de l’ampleur de ce qui a été effectivement décarboné.
Plus en détail, le Registre doit permettre aux compagnies aériennes d’acheter des SAF, peu importe le lieu de production, en ayant des informations claires sur les attributs environnementaux qui permettront de déclarer les réductions d’émissions de façon précise. Il sera neutre en ce qui concerne les règlements ou les types de SAF. Un travail est en cours avec des organisations de certification et des producteurs de carburant pour normaliser les données en vue d’un traitement efficient. Il aidera également les compagnies à respecter les règlements (CORSIA, ETS) et fournira des protections contre la double comptabilité et la double réclamation.
« Nous allons fournir une méthodologie de suivi et une plateforme de rapport. Notre système ne produira peut-être pas de miracle mais il n’y aura aucun miracle si nous ne le mettons pas en place », estime Marie Owens Thomsen.
Actuellement, dix-sept compagnies aériennes, un groupe de compagnies, six autorités nationales, trois OEM et un producteur de carburant apportent leur soutien à la création du Registre.
Des besoins immenses
La structuration d’un marché du carburant durable d’aviation apparaît indispensable aux yeux de l’IATA : les SAF représenteront en effet 65 % de l’effort de décarbonation dans le cadre de l’objectif d’élimination des émissions nettes de carbone de l’aviation d’ici 2050. Or cela implique qu’il faudra plus qu’accélérer la production. Si le volume de carburant durable va tripler en 2024 par rapport à 2023 (de 500 0000 tonnes à 1,5 million de tonnes), cela ne permettra de couvrir que 0,53 % des besoins cette année. La marche à franchir est très haute : il faudra multiplier par 1 000 la production des SAF d’ici 2050, pour atteindre 500 millions de tonnes produites par an et couvrir l’ensemble des besoins des compagnies aériennes.
L’IATA traque déjà tous les projets annoncés de production pour déterminer les disponibilités à venir. L’association recense ainsi environ 140 projets de plus de 100 producteurs dans 31 pays (principalement en Europe et en Amérique), qui pourraient porter la capacité de production à 51 millions de tonnes annuelles en 2030 si tous aboutissaient. La plupart d’entre eux (78 %) se base sur la transformation d’huiles végétales usagées (HEFA), ce qui induit la nécessité de promouvoir d’autres méthodes de production. La piste du co-traitement (valorisation des déchets par les raffineries, parallèlement au traitement du pétrole brut) mériterait par ailleurs d’être davantage explorée, selon l’IATA, car elle représente une solution de transition qui permettrait d’accroître rapidement la production.
Cependant, la motivation manque. Marie Owens Thomsen explique qu’il est plus facile et moins cher de forer pour trouver du pétrole que de mettre en place les processus de production du carburant durable. Et la production de carburant pour l’aviation est loin d’être une priorité : seuls 3 % des carburants durables produits sont des SAF.
L’implication des gouvernements est donc essentielle pour accélérer le déploiement : augmentation de 5 % à 30 % de la proportion du co-traitement, et mesures incitatives pour améliorer le mix de production des installations de carburants renouvelables ou pour stimuler les investissements, à la manière de ce qui a été mis en place aux Etats-Unis.