L’avenir de l’aviation, c’est l’hélice. C’est en ces termes que l’on pourrait finalement résumer l’inauguration officielle du nouveau centre d’excellence Hélices de Ratier-Figeac le 29 octobre dernier sur son site historique de Figeac (Lot), en présence du Premier ministre Jean Castex, et alors que les impératifs de décarbonation du transport aérien se font de plus en plus présents.
L’équipementier français de la branche Propeller Systems de Collins Aerospace (groupe Raytheon Technologies) a poussé les murs depuis deux ans en construisant deux nouveaux bâtiments pour préparer ses hélices du futur, aussi bien pour l’aviation commerciale que pour l’aviation militaire.
« L’objectif est de de pouvoir proposer des hélices plus efficaces, moins chères et plus facilement réparables » annonce Jean-François Chanut, le directeur général de Propeller Systems pour Collins Aerospace et président de Ratier-Figeac, en marge de la cérémonie d’inauguration du nouveau centre d’excellence Hélices. « Plus précisément, il s’agit de concevoir et produire des systèmes avec plus d’efficacité propulsive, c’est-à-dire qui auront besoin de moins de puissance pour la même traction, synonyme de réduction de consommation en carburant et donc d’émissions, avec plus d’efficacité en termes de bruits générés, et qui seront constitués d’éléments facilement réparables plutôt que remplaçables » poursuit-il.
Fruit d’un investissement total de 32 millions d’euros, le centre d’excellence Hélices est constitué de deux nouveaux bâtiments pour une surface totale de 3000 m2. Ces nouvelles installations sont opérationnelles depuis la fin de l’année dernière. Un premier bâtiment est dédié à la production, l’autre regroupant quant à lui les activités de recherche et de développement de technologies, des moyens de test et de qualification, de certification et de pré-industrialisation. Ce dernier accueille déjà une centaine d’ingénieurs pour préparer la nouvelle génération d’hélices, y compris des ingénieurs support pour intégrer en amont les futurs besoins en après-ventes des futurs produits.
Les marchés visés concernent aussi bien des avions plus capacitaires que les avions turbopropulsés d’aujourd’hui (+ de 90 sièges), des avions régionaux de moins de 40 sièges, la mobilité urbaine, ainsi que les besoins de propulsion hybride, électrique, voire à Hydrogène. Mais en coulisse, on a bien senti que Ratier-Figeac était aussi en train de se positionner vers une prochaine génération d’avions régionaux turbopropulsés qui pourrait finalement venir beaucoup plus rapidement que prévu.
(de gauche à droite) Jean-François Chanut, Jean Castex et Vincent Labarthe, Vice-Président de la Région Occitanie et Président de la Communauté du Grand Figeac, lors de l’inauguration centre d’excellence Hélices de Ratier-Figeac. Photo © Collins Aerospace
Se préparer au rebond
Logiquement, Ratier-Figeac a aussi été emporté par la crise du transport aérien liée à la pandémie et ses effets directs sur la production d’avions commerciaux et régionaux. Les activités civiles (première monte et MRO), qui représentaient 60% de son chiffre d’affaires en 2019, sont désormais plutôt dans les 43%. L’équipementier a cependant remonté la pente assez rapidement et son chiffre d’affaires ne devrait finalement afficher qu’une baisse de l’ordre de 5 à 10% cette année par rapport à 2019, une véritable prouesse tirée par le secteur de la défense.
Jean-François Chanut a d’ailleurs tenu à préciser que Ratier-Figeac a réussi à traverser la crise sans avoir eu recours à l’obtention d’un PGE (Prêt garanti par l’État) et sans avoir lancé de plan de sauvegarde de l’emploi. Le dispositif APLD (Activité partielle de longue durée) a été suspendu à partir du mois de septembre et seules quelques dizaines d’employés en contrat d’intérim ou en CDD ont été contraints de quitter l’entreprise au plus fort de la crise. Les effectifs de l’entreprise lotoise sont d’ailleurs progressivement en train de se reconstituer (plus de 1250 personnes aujourd’hui), avec de nouveaux recrutements menés depuis l’été dernier. Les besoins immédiats concernent plus d’une trentaine de personnes dans la production aujourd’hui.
« En maintenant nos effectifs, nous avons maintenu nos compétences et nous avons préparé le rebond » a-t-il ajouté.
Car Ratier-Figeac a plus que maintenu ses investissements durant cette période difficile, que ce soit pour moderniser et augmenter ses capacités de production, ou dans la R&T pour préparer l’avenir. En 2021, ces investissements (hors R&T) se situent dans une fourchette de 20 à 25 millions de dollars, avec l’achat de nouvelles machines (rectifieuses, nouveaux fours pour traitements thermiques, machines d’usinage 5 axes, outils liés à la digitalisation de ses opérations, de l’ingénierie…). L’entreprise s’est aussi lancé dans la réfection des toitures de plusieurs de ses bâtiments qui s’étaleront sur deux à trois ans, et prépare même une nouvelle extension.
Pour ses investissements de R&T, l’hélicier s’est lancé depuis cet été dans un programme baptisé PHAROS destiné à développer de nouvelles briques technologiques pour ses besoins futurs, une initiative de 13 millions d’euros soutenue à 50% par la DGAC via France Relance.
Autre initiative pour l’équipementier ; le projet RUHR (Relocalisation d’Usinage pour les Hélices Ratier). « Nous avons lancé un investissement d’environ 6 millions d’euros sur trois ans pour intégrer à Figeac la conception et la fabrication de pièces que nous avions jusqu’à présent l’habitude d’acheter à un fournisseur à l’étranger » annonce Jean-François Chanut. Il s’agit de reconcevoir et de produire une pièce critique complexe pour le système de contrôle d’une hélice, un composant obtenu aujourd’hui par fonderie, mais qui sera à l’avenir usiné, avec à la clé la capacité de pouvoir développer de nouvelles pièces similaires pour des produits futurs, avec plus de valeur ajoutée pour Ratier-Figeac, « tout en restant compétitif sur le marché ».
Le directeur général de Propeller Systems pour Collins Aerospace explique aussi que les investissements en R&T s’appliqueront à la génération d’hélices actuelles via des améliorations incrémentales.
L’activité hélices tractée par la défense aujourd’hui
Jean-François Chanut a souligné que l’activité hélices avait été soutenue par l’après-ventes des hélices militaires et en particulier par les révisions des hélices de l’A400M, qui interviennent après 7 ans d’opérations (ou 10500 heures). Cette activité a commencé à monter en charge et va bien occuper les ateliers MRO de Ratier-Figeac durant les deux à trois prochaines années. Jean-François Chanut a également expliqué que le remplacement des pâles métalliques produite avant 1971 pour de nombreux avions de transport militaire C-130 Hercules avait également généré une activité supérieure à celle constaté d’habitude pour ce programme.
Du côté de la production d’hélices composites, Ratier-Figeac a maintenu un régime de l’ordre de 3000 pâles cette année (A400M, hélices NP2000 pour C-130H et E-2, ATR de la série 600, C295…), un niveau de production pratiquement identique à celui de 2018.
L’US Air Force a d’ailleurs passé une nouvelle commande à Collins Aerospace en septembre afin d’acquérir les systèmes d’hélices NP2000 nécessaires à la modernisation de 26 Hercules C-130H supplémentaires pour l’US Air National Guard et l’Air Force Reserve. Avec ce nouveau contrat, l’armée américaine va ainsi moderniser 83 C-130H sur les 140 prévus au total. Ratier-Figeac profite aussi du contrat signé avec Northrop Grumman l’année dernière pour équiper 39 nouveaux avions de surveillance E-2D Advanced Hawkeye (en première monte). Les systèmes NP2000 des nouveaux E-2 ont commencé a être livrés à l’avionneur américain à partir du mois de mai. Des lots d’hélices NP2000 fraichement produites étaient d’ailleurs prêts à être envoyés aux États-Unis lors de notre visite des installations de Ratier-Figeac le 29 octobre.
Pour rappel, le système d’hélice NP2000 est doté de huit pales en composites et d’un système numérique de commande électronique (EPCS). Face aux traditionnelles hélices métalliques qu’elles viennent remplacer, les NP2000 peuvent ainsi générer une force de traction supérieure, de l’ordre de 20%, améliorant ainsi les performances des appareils au décollage. Cela permet, avec les mêmes moteurs, d’emporter plus de charge ou plus de carburant pour les missions. Ces nouvelles hélices apportent aussi une réduction des délais et des coûts de maintenance. Enfin, elles viennent réduire les vibrations et le bruit à bord (de l’ordre de 20 décibels), un avantage non négligeable pour les équipages lors de longues missions.
Un nouveau marché potentiel pourrait d’ailleurs concerner un jour la flotte de 14 C-130H de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) qui est progressivement en train d’être rénovée via un important programme de modernisation avionique mené par Collins Aerospace depuis 2 ans, et ce jusqu’en 2025. L’apport des nouvelles hélices NP2000 de Ratier-Figeac aurait ici tout son sens en venant aussi donner un coup de jeunesse aux performances de cette flotte qui continuera à voler une décennie supplémentaire, au minimum.
Un potentiel de croissance important sur les équipements d’avions de ligne aussi
Mais Ratier-Figeac entrevoit aussi la croissance sur le marché civil grâce aux équipements proposés sur différents programmes d’avions commerciaux et d’affaires, une activité plus méconnue, mais non moins particulièrement importante. Le célèbre fabricant d’hélices produit par exemple aussi des amortisseurs de portes (Airbus, Embraer) et des équipements de cockpit, une activité qui représente 20% de son chiffre d’affaires aujourd’hui.
La société équipe ainsi tous les postes de pilotage des avions Airbus depuis le programme A320, avec de nombreux blocs de commandes (sidesticks, manettes de gaz, levier de manoeuvre des volets…). Faisant suite au contrat dévoilé lors des 100 ans de Ratier à Figeac il y a trois ans, la société française va désormais produire les pédaliers (RBPU) de la famille A320neo (palonnier avec fonction freins). Cet équipement, bien visible dans les ateliers de production à Figeac lors de notre visite, est en cours de qualification par Airbus. Il correspond à toute une série d’améliorations incrémentales qui vont prochainement monter à bord des monocouloirs remotorisés d’Airbus et qui accompagneront la montée en cadences annoncée récemment par l’avionneur européen (65 exemplaires par mois d’ici l’été 2023, contre 43 aujourd’hui).
L’équipementier lotois est par ailleurs aussi présent sur différentes commandes de vol des nouveaux monocouloirs russes et chinois, les MC-21 d’Irkout et C919 de COMAC, avec notamment leurs mini-manches latéraux (actifs pour le premier). Ces deux programmes d’avions moyen-courriers sont aujourd’hui en phase finale de certification en Russie et en Chine, en vue des premières livraisons aux compagnies aériennes programmées pour l’année prochaine.
Enfin, Ratier-Figeac a été retenu par Boeing en 2016 pour les actionneurs de plans horizontaux (THSA – Trimmable Horizontal Stabilizer Actuators) du nouveau 777X, un système critique et complexe de grande dimension qui vient notamment contrôler l’incidence de l’appareil au fur et à mesure de son allègement en croisière. Les premiers THSA de la nouvelle génération de Triple Sept volent déjà à bord des appareils qui participent actuellement aux essais en vol. Évidemment le nouveau gros-porteur long-courrier de Boeing a clairement pris du retard ces dernières années, mais il représente assurément un axe de croissance majeur d’ici la moitié de la décennie.