Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ambitieux développement du télescope spatial James Webb (JWST) est long, coûteux et semé d’embûches. Le programme connaît tout de même des avancées ces derniers temps, dont certaines majeures. Le 28 août, à Redondo Beach (Californie), les équipes de Northrop Grumman et de la NASA ont achevé l’assemblage des deux moitiés du JWST : le module d’observation OTIS – qui combine l’Elément optique du télescope (OTE) et le Module d’instrumentation scientifique intégrée (ISIM) – et le vaisseau spatial SCE – qui comprend le bus électronique et le bouclier solaire. Il reste néanmoins beaucoup à faire avant le départ pour le Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou et le lancement sur Ariane 5, prévu début 2021.
Soulever un élément avec une masse de 3,6 tonnes et une longueur de 3,3 m et le positionner avec une précision de l’ordre du dixième de millimètre n’est pas une mince affaire. Au cours de cette opération critique, les ingénieurs ont ainsi hissé l’OTIS et l’ont placé sur le SCE, en les alignant au travers de six interfaces. Ils ont ensuite assuré les connections mécaniques entre les deux ensembles, qui ne sont devenus qu’un.
« Ce jalon marque une réalisation majeure pour nous tous chez Northrop Grumman et à la NASA », s’est félicité Scott Willoughby, vice-président et directeur du programme JWST chez Northrop Grumman. « Le fait de voir l’observatoire complet pour la première fois renforce encore notre engagement envers le succès de la mission. Il y a encore du travail à faire, mais c’est un grand sentiment de voir quelque chose qui était autrefois un concept, devenir réalité. »
Un pont roulant était nécessaire pour soulever les 3,6 tonnes de l’OTIS. © NASA / C. Gunn
Finalisation de l’intégration et essais
Parmi le travail encore à faire, les équipes de l’industriel et de l’agence spatiale vont compléter l’intégration du JWST dans les prochains jours, en connectant électriquement ces deux éléments. Cette étape sera suivie d’une phase de tests pour s’assurer que le bus électronique du SCE alimente et contrôle bien tous les éléments de l’OTIS, en particulier les différents instruments scientifiques. De premières connexions ont d’ailleurs déjà eu lieu. Mi-août, Northrop Grumman avait annoncé avoir réalisé le premier déploiement de la structure de soutien du miroir secondaire (SMSS) du télescope, manoeuvre entièrement contrôlée par le bus électronique du SCE.
Une fois l’intégration achevée, une des étapes cruciales sera un essai de déploiement complet du bouclier solaire. Celui-ci se compose de cinq couches de métal afin de protéger le télescope et les instruments de la chaleur et des rayonnements infrarouges venus du Soleil, ainsi que de la Terre et de la Lune. Il est donc vital au bon fonctionnement du JWST.
Le JWST effectuera ensuite des essais environnementaux, vibratoires et acoustiques, pour s’assurer de son bon fonctionnement une fois dans l’espace. Ils auront lieu l’an prochain, toujours chez Northrop Grumman à Redondo Beach. Des tests similaires y ont déjà été menés sur les différents éléments séparément jusqu’en mai dernier. Au cours de cette phase, l’OTIS et le SCE sont aussi passés en chambre à vide thermique, ce qui ne sera pas le cas pour le système complet.
L’ensemble du travail sur le JWST se passe en salle blanche pour éviter toute contamination biologique. © NASA / C. Gunn
De Kourou aux origines de l’univers
Si tout se passe correctement, le JWST devrait partir pour la Guyane française en fin d’année prochaine. Il sera intégré sur une Ariane 5 ECA, conformément au contrat signé en 2015 par l’ESA – partenaire du programme au même titre que l’Agence spatiale canadienne (ASC) – avec Arianespace. Le lancement est prévu le 30 mars. L’ensemble de 6,2 tonnes sera placé en orbite de transfert vers le point de Lagrange 2 (L2) du système Soleil-Terre, situé à plus de 1,5 million de kilomètres de notre planète, où il se positionnera après un voyage d’un mois. A titre de comparaison, Hubble est situé en orbite terrestre basse à 570 km de la Terre.
Le JWST sera alors mis en orbite autour de ce point L2, d’où il opérera pour une durée comprise entre cinq et dix ans. Avec ses trois miroirs, dont le principal de 6,5 m de diamètre (contre 2,4 m pour Hubble), et ses quatre caméras et spectrographes, le télescope sera à même d’observer des objets parmi les plus anciens de l’univers. Il pourra remonter à la création des premières galaxies et suivre leurs évolutions, ou encore étudier la formation de nouvelles étoiles et de leurs systèmes.
Ce sera l’aboutissement d’un projet lancé il y a trente ans et qui a connu de multiples reports. En 1997, le lancement était prévu en 2007, avant de glisser progressivement d’année en année. La NASA finit par procéder à une refonte du programme en 2011, nécessaire au vu de la difficulté à concevoir les instruments et de la flambée des coûts. Le budget était en effet passé de 1 à 8 milliards de dollars au cours de cette période. La date de 2018 est alors retenue pour le lancement. Finalement, entre 2017 et 2018, elle glisse encore trois fois et finit par être fixée en 2021. Si ce calendrier est (enfin) tenu, le General Accounting Office (GAO), équivalent américain de la Cour des comptes, estime que le programme aura coûté 9,7 milliards de dollars.
En vingt ans, le JWST aura vu son budget être multiplier par dix. © NASA / C. Gunn