Avec la suspension du développement du Citation Hemisphere de Cessna (Textron Aviation), le Silvercrest de Safran Aircraft Engines vient de perdre son dernier client. Cette annonce, faite le 17 juillet, vient ainsi clore une collaboration entamée en 2016 avec la sélection du moteur français pour le biréacteur d’affaires américain, le contrat initial entre les deux parties ayant été résilié. Elle intervient surtout moins de deux ans après l’annulation du programme Falcon 5X de Dassault Aviation. Et il ne faut pas oublier que Cessna avait déjà fait faux bond à Safran Aircraft Engines en 2015. Le constructeur américain avait alors délaissé le Silvercrest au profit du HTF7700L d’Honeywell pour équiper son Citation Longitude.
Là où le bât blesse, c’est que ce sont les performances du moteur qui ont été à chaque fois pointées du doigt par les constructeurs – avec un bémol pour le Longitude pour lequel le Silvercrest apparaissait avant tout surdimensionné. Safran Aircraft Engines a en effet rencontré des problèmes à répétition dans son développement qui l’ont empêché d’atteindre les spécifications demandées dans les temps, ce qui a entraîné d’importants retards de calendrier. Dassault a ainsi dû reporter de trois ans la certification du Falcon 5X, avant de se résoudre à l’annuler fin 2017.
Et la situation se répète donc pour l’Hemisphere. « Les moteurs n’ont pas encore démontré les performances exigées pour le design de l’avion, nous avons mis le programme en attente », a déclaré Scott Donnelly, PDG du groupe Textron, lors de la présentation de ses résultats du deuxième trimestre, toujours le 17 juillet. Interrogé plus en détail sur le sujet, Textron Aviation s’est contenté d’une déclaration formelle guère plus loquace : « Après un long processus d’examen, la société a déterminé que le moteur Silvercrest de Safran n’avait pas encore satisfait aux spécifications de performances requises pour la conception de l’avion. Le programme Hémisphère est en suspens et nous n’y travaillons plus. »
Décision à contretemps
Cette décision intervient alors que Safran Aircraft Enigines semblait sur le point de résoudre le dernier problème majeur en date dans le développement du Silvercrest, à savoir le manque de réactivité du compresseur haute pression (HP) dans certaines limites de l’enveloppe de vol. Annoncé en octobre 2017, ce nouveau « couac » avait précipité l’annulation du Falcon 5X. Si Dassault Aviation n’a pas attendu, Textron Aviation a affiché plusieurs fois sa confiance dans le programme depuis et validé en 2018 un plan de validation des performances avec Safran Aircraft Engines.
Les ingénieurs du Silvecrest ont donc développé un nouveau design de compresseur HP. Celui-ci a été testé en mai et juin, « conformément au plan défini l’an dernier » déclare-t-on chez le motoriste. De même, ce dernier affirme que « les résultats des essais au sol du nouveau compresseur haute pression ont démontré un niveau de performance supérieur aux attentes », que « le développement du moteur Silvercrest a réalisé depuis 12 mois les progrès attendus », et enfin que « des essais complémentaires sont prévus prochainement afin de confirmer les améliorations apportées au moteur et de finaliser le processus de validation de ses performances et de sa durabilité. »
Difficile donc de comprendre pourquoi, après avoir patienté un an et demi, Textron Aviation a soudainement décidé de suspendre son programme Hemisphere. Bien qu’informé dans les temps de ces résultats (enfin) positifs, l’avionneur américain n’en a visiblement pas tenu compte et n’a pas souhaité attendre la tenue des derniers essais. Cela laisse à croire que le Silvercrest était condamné d’avance. La situation n’en est que plus brutale pour Safran Aircraft Engines.
Interrogé sur les potentielles autres raisons – performances de l’avion, marché moins favorable que prévu, etc. – qui pourraient avoir été prises en compte dans son choix, Textron Aviation a refusé de répondre et s’est contenté de parler des performances du Silvercrest. De son côté Safran Aircraft Engines n’a pas voulu évoquer le calendrier décisionnel de l’avionneur, le marché ou les performances de l’avion, mais a insisté sur le fait que c’était « la combinaison avion/moteur (qui) ne permettait pas d’atteindre les objectifs assignés au programme ».
Un avenir compromis
Quoi qu’il en soit, la décision de Textron Aviation semble sonner le glas du Silvercrest. Safran entend bien prouver les performances complètes du moteur et maintenir les discussions avec Cessna et d’autres clients potentiels, mais il est fort probable que le Silvercrest doive se contenter d’une carrière de démonstrateur technologique.
Du côté de l’avionneur, Scott Donnelly a certes déclaré que « dans l’avenir, si ce moteur – ou quoi que ce soit d’autre qui a été prouvé – rencontre les performances attendues, nous réétudierons certainement la situation », mais l’ouverture semble bien étroite. D’autant que le PDG a (cette fois) bien précisé que la décision de retourner sur un programme d’avion à large cabine dépendrait aussi « de l’état du marché et du paysage concurrentiel ». Et il ne faut pas écarter la possibilité que cela se fasse, à l’instar du Falcon 6X, avec un autre motoriste.