Quelque peu en panne il y a quelques années, la recherche sur le givre a retrouvé depuis une nouvelle vigueur sous l’impulsion de l’Onera et la DGAC. Symbole de ce dynamisme retrouvé, les deux partenaires viennent de poser la première pierre d’un tout nouveau moyen d’essais dédié, le 15 mars au sein du centre Onera de Toulouse, situé dans le complexe scientifique de Rangueil. Il s’agit d’une soufflerie givrante, dont les caractéristiques en feront un outil unique en Europe pour lutter contre ce phénomène, l’un des plus dangereux de l’aviation. Ses débuts opérationnels sont prévus dès le début 2020.
C’est donc sous le patronage de Bruno Sainjon, PDG de l’Onera, et de Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile, que les travaux pour cette nouvelle soufflerie ont été officiellement lancés. Elle va permettre de projeter des grosses gouttes en état de surfusion (SLD) – état instable dans lequel l’eau reste à l’état liquide à une température inférieure à son point de solidification – sur divers sujets d’essais. Lors du contact avec l’objet en question, les gouttes vont changer d’état et se solidifier, créant ainsi le givre recherché.
Cela va permettre à l’Onera de mieux comprendre la formation de givre dans diverses conditions et améliorer ses modélisations de ce phénomène physique complexe, explique Bruno Sainjon. Elle va aussi pouvoir tester différents matériaux, revêtements et formes glaçophobes et hydrophobes pour voir leur impact sur la formation du givre. Bien que la soufflerie soit orientée pour la recherche, elle pourra aussi servir à tester certaines technologies plus avancées comme des systèmes de dégivrage. Elle se veut ainsi souple d’utilisation, peu coûteuse et ouverte tant aux équipes de chercheurs qu’aux industriels de l’aéronautique.
Caractéristiques uniques
Situé dans un bâtiment de trois étages en cours d’aménagement, le nouvel ensemble s’appuiera sur une structure d’environ 16 mètres de hauteur qui nécessitera de percer le plafond. La soufflerie en elle-même, placée à la verticale, s’élèvera jusqu’à une douzaine de mètres. Elle s’articulera autour d’un ventilateur de 52 kW, d’un échangeur thermique relié à un groupe froid en extérieur de 62 kW alimenté avec du gaz R448A à bas potentiel de réchauffement planétaire (GWP ou PRP), de pompes à vide pouvant assurer une dépression dans l’installation jusqu’à 0,2 bar, d’un système de redressement du flux d’air, de deux systèmes d’injection de gouttes différents, d’un convergent de 8 mètres de long, d’une veine d’essais relativement modeste (100 x 200 mm), d’un diffuseur pour ralentir doucement le flux d’air sans créer de rupture de charge et d’un récupérateur de gouttes.
La soufflerie doit ainsi permettre d’accélérer l’air jusqu’à 150 m/s et de le refroidir jusqu’à moins 40°C, avec une pression équivalente à 11 000 m d’altitude. Et le choix d’un convergent vertical – et donc du positionnement de la soufflerie – va permettre d’accélérer de grosses gouttes, allant jusqu’à 300 µm, tout en préservant leur équilibre dynamique et thermique. Autrement, cela aurait nécessité une installation beaucoup plus imposante et donc plus coûteuse.
Deux injecteurs différents seront donc disponibles. Un dit « monodisperse », afin d’assurer un train de gouttes sur un même point. Il servira notamment à de la recherche « plus fondamentale ». L’autre sera « polydisperse », avec un jet d’air pour créer un brouillard de gouttes plus petites et de s’approcher des conditions que peut rencontrer un avion lors de la traversée d’un nuage en haute altitude. Cette capacité est actuellement encore en cours de définition. Enfin la veine d’essais sera dotée de quatre parois transparentes amovibles, afin de faciliter la mise en place d’instruments, notamment optiques.
Cette combinaison conférera à la future installation des performances quasi-unique en Europe et à travers le monde, comme l’explique Pierre Berthoumieu, ingénieur de recherche et chef du projet. Dans un premier temps, seule une partie du potentiel de la soufflerie sera utilisé, notamment en termes de froid. Le chercheur réfléchit en effet déjà à la suite, avec la possibilité d’accélérer de l’eau déjà cristallisée plutôt que des gouttes, voire de la neige si la demande se fait sentir auprès des industriels.
Vue d’artiste de la future soufflerie givrante. © Onera
Un intérêt déjà confirmé
Ce projet de recherche fédérateur, tel qu’il est labellisé par l’Onera, apparaît comme un puissant vecteur, avec déjà six thèses engagées dans son sillage. Il va aussi permettre des collaborations renforcées entre différents services et laboratoires internes, que ce soit pour les essais de technologies ou la mise au point d’une métrologie adaptée.
Laurent Jacquin, directeur scientifique de la branche mécanique des fluides, a ainsi d’ores et déjà annoncé que la soufflerie serait soutenue par la direction scientifique générale de l’Onera avec des projets de recherches et que des fonds seraient investis dans le développement de certaines capacités. Plusieurs industriels, s’ils n’ont pas (encore) participé à ce projet, ont aussi fait montre d’un intérêt certain.
Les travaux de recherche de la soufflerie vont aussi s’inscrire dans le cadre européen, avec les appels à projets du programme de recherche Horizon 2020 pour lesquels l’Onera a été sélectionné en 2017. Il s’agit de MUSIC-HAIC sur la modélisation 3D des cristaux de glace à haute altitude, qu’il coordonne directement, d’ICE-GENESIS sur la modélisation du givrage en conditions neige et SLD, sous l’égide d’Airbus, ainsi que de SENS4ICE sur le développement de capteurs et d’architectures hybrides pour la détection et la qualification de givre, mené par le DLR allemand.
Bruno Sainjon indique ainsi que les expériences prévues dans le cadre de ces projets obligent l’Onera à un respect strict du calendrier, les premiers essais étant prévus au deuxième trimestre 2020. Il note aussi que cette coopération pourrait dépasser les frontières de l’Europe, le travail sur le givre étant l’un des points forts de la coopération entre l’Onera et la NASA, avec le bruit. Les deux organismes collaborent notamment à travers le projet SUNSET2 sur l’étude des dégradations de performances aérodynamiques à cause du givre.
Un besoin urgent depuis longtemps
Ce dynamisme contraste avec la situation connue jusqu’à la fin des années 2000. Le besoin d’études sur les SLD avaient pourtant était mis en lumière dès 1994, avec l’accident d’un ATR lors du vol 4184 d’American Eagle dû au givre accumulé sur l’appareil. Après s’être longtemps concentrée sur les petites gouttes (jusqu’à 20 µm) que l’on pensait représentatives des conditions atmosphériques à haute altitude, l’Onera a commencé à se pencher sur le sujet, d’abord à Modane à partir de 1995, puis avec la DGA Essais propulseurs à Saclay – avec les projets ECLIPPS en 2002 et EXTICE en 2005. Ces expériences ont montré la nécessité de développer un moyen d’essais dédié à l’étude des grosses gouttes (pour éviter qu’elles ne se déforment et se cassent sous l’effet de l’accélération).
La machine a été relancée à partir de 2012, avec la signature des conventions PHYSICE (2012-2016) et PHYSICE2 (2015-2018) sur l’étude du givrage avec la DGAC, qui investit alors plusieurs millions d’euros au nom de l’intérêt sécuritaire. C’est avec la deuxième convention que le projet de soufflerie givrante à Toulouse, jusque-là bloqué par la question du financement, voit le jour. La DGAC a en effet accepté de verser 500 000 euros sur les trois millions nécessaires à sa mise en place, ce qui a permis de lancer le processus dès 2016. Cela a également consacré le retour à des relations normalisées entre l’Onera et ses partenaires extérieurs comme la DGAC.
Simulation numérique de l’accrétion de cristaux de glace dans un turboréacteur réalisé avec le code de calcul CEDRE. © Onera