Selon le cabinet de conseil AlixPartners, les profits de l’industrie aéronautique viennent d’atteindre le chiffre inédit de 40,5 milliards de dollars en 2017. Ce record consacre le retour des constructeurs, qui se taillent la part du lion avec plus d’un quart de ce total. Ils rééquilibrent ainsi l’équation avec leurs fournisseurs, à la faveur de leurs initiatives sur la baisse des coûts de production, le développement des services ou encore l’intégration verticale. Pour autant, ces mêmes constructeurs ont encore du chemin à parcourir sur le plan de la profitabilité.
Avec une hausse de 32 %, les profits de l’industrie ont littéralement bondi en 2017 par rapport à 2016. Alain Guillot, directeur général d’AlixPartners et responsable du département Aéronautique & Défense en France, n’hésite pas à parler d’un « niveau historique ». Cette augmentation intervient après deux années de baisse significative (de l’ordre de 10 % par an en moyenne). Elles apparaissent presque aujourd’hui comme un épiphénomène au vu de la croissance globale des profits, qui ont plus que doublé depuis 2009.
Cette croissance est largement tirée par la hausse des revenus de l’industrie, en augmentation constante entre 2009 et 2017. Ils sont ainsi passés de 208 à 341 milliards de dollars. La profitabilité tend en revanche à stagner autour de 10,5 % de marge opérationnelle (EBIT). Certes, celle-ci connait des pics comme en 2014 (12,1 %) et 2017 (11,9 %) – ce qui se traduit logiquement par de fortes hausses de profits, respectivement à 38 et 40,5 milliards de dollars – mais reste somme toute assez stable sur la période.
La part des constructeurs
Le rebond de 2017 peut être très largement attribué à la performance des avionneurs, à commencer par Airbus et Boeing. Alors qu’ils avaient gagné moins de 5 milliards de dollars en 2016, derrière les motoristes, les équipementiers et les loueurs, ils sont devenus la principale source de profits du secteur avec 11 milliards de dollars engrangés en 2017. « C’est un hausse de 140 % », constate Alain Guillot.
Pour le consultant, cette résurgence des constructeurs est en partie due à la réduction des pertes – avec l’amortissement progressif de l’investissement – de plusieurs programmes majeurs tels que le Boeing 787, les Airbus A350 et A380 et le Bombardier CSeries (devenu l’Airbus A220). Avec la montée en maturité de ces programmes, leur niveau de charges non-récurrentes a été divisé par 8 entre 2016 et 2017, pour se situer à 400 millions de dollars.
Le cabinet note aussi que les initiatives drastiques prises par les constructeurs envers leurs chaînes d’approvisionnement respectives pour réduire les coûts de production commencent à payer. L’étude mentionne ainsi le plan Scope+ d’Airbus et le Partnership for Success de Boeing. Il faut y d’ailleurs y ajouter les stratégies d’internalisation de certaines activités (comme Airbus avec les nacelles des PW1100G pour les A320neo), l’intégration verticale d’autres (à l’instar du rachat de KLX par Boeing pour la distribution de pièces détachées) ou le contournement de certains acteurs majeurs.
Sur ce dernier point, Pascal Fabre, directeur général chez AlixPartners, cite l’exemple de Boeing qui a fait appel à la « petite » société canadienne Héroux-Devtek pour le train d’atterrissage du 777X. En contrepartie, l’avionneur a négocié la gestion des pièces détachées.
L’essentiel de ces efforts est d’ailleurs porté vers le développement des services. Les avionneurs veulent multiplier par trois leur chiffre d’affaires sur secteur au cours des dix prochaines années. Il passerait ainsi à 66 milliards de dollars, dont 50 milliards pour Boeing et 10 milliards pour Airbus, Embraer et Bombardier se partageant le reste.
Cela sonne comme une véritable stratégie de reprise en main face à des équipementiers de plus en plus puissants au gré de la consolidation du marché et des nombreuses fusions-acquisitions actuelles. On peut aussi noter l’intégration horizontale actuelle, avec les partenariats Airbus Bombardier sur le CSeries et Boeing-Embraer sur les E-Jets, mais il est trop tôt pour juger de l’impact.
Boeing vise un chiffre d’affaires de 50 milliards de dollars dans les services d’ici 2027. © Boeing
Une profitabilité toujours à la traine
Ces diverses améliorations permettent donc aujourd’hui aux constructeurs de représenter plus du quart des profits de l’industrie, contre seulement 17 % il y a une dizaine d’années. Seuls les loueurs peuvent se targuer d’atteindre un niveau de gains comparables (11 milliards de dollars également). Alain Guillot note néanmoins que leur taux de profitabilité reste largement en-deçà de ceux des autres acteurs de l’industrie. Les avionneurs affichent un EBIT de 8 %, là où les motoristes sont à 16 % et les loueurs à 27 %. Ils doivent donc avant tout leur prédominance à leur très important volume de chiffre d’affaires.
Au vu des très impressionnants carnets de commandes d’Airbus comme de Boeing pour les dix prochaines années, avec plusieurs années de production assurées, il est fort possible que les avionneurs continuent de peser lourd dans la balance des profits à venir. L’importance du nombre d’avions à livrer leur confère d’ailleurs une résilience certaine en cas de crise, quitte à rééchelonner leurs livraisons. Un confort dont ne peuvent pas se targuer la plupart des fournisseurs.
Airbus, Boeing et consorts devraient néanmoins continuer à travailler pour améliorer leurs marges. La plus grande source de progrès semble venir de la numérisation. Celle-ci offre des opportunités en termes de services – notamment Airbus qui semble le plus avancé avec Skywise selon Pascal Fabre – mais aussi de transformation et d’optimisation internes. Les prochaines années devraient donc continuer à voir d’importants investissements, notamment dans le pilotage numérique et l’automatisation des moyens de production. A la clef, des gains de compétitivité de l’ordre de 3 % très rapidement, et jusqu’à 20 % en cas de transformation complète.