Depuis un peu plus d’un an et demi, Air France Industries KLM Engineering & Maintenance (AFI KLM E&M) s’est lancé dans un projet de grande ampleur, à savoir la maintenance des carters de soufflante des moteurs GE90, et plus précisément de sa partie statique à savoir le « fan stator module » (FSM). La division MRO du groupe Air France-KLM entend ainsi faire face au vieillissement de ces moteurs, qui entraîne de nouvelles opérations de maintenance notamment pour le traitement de la corrosion. Un problème qui n’était jusque-là traité que par GE Aviation en coopération avec Nordam au Pays de Galles. Ce projet FSM est mené au sein d’Helios, atelier dédié aux aérostructures, en partenariat avec l’activité Moteurs d’AFI KLM E&M.
« Nous arrivons désormais dans la phase opérationnelle du projet, explique Yan Müntz, responsable Aérostructures au sein de la direction Matériels et Services d’AFI. L’inauguration a lieu le 24 janvier. » En effet, après une phase de rodage de deux mois, le plateau FSM a débuté son activité au sein du bâtiment Helios à Roissy-en-France, à proximité de l’aéroport Roissy-CDG. Il dispose désormais de deux équipes complètes de techniciens et traite ses premiers modules statiques de carters de soufflante de la part de l’activité Moteurs voisine – celle-ci conservant l’entretien des parties rotatives.
Le premier FSM de GE90-115B opérationnel (qui équipe les Boeing 777-300) est arrivé en novembre, sachant que l’atelier peut aussi traiter des GE90-94B (777-200). La problématique est plus accentuée sur le GE-115B, plus répandu et qui contient un panneau acoustique en composites, note Sylvain Mounissamy, chef du projet, arrivé à l’été 2017 à l’activité Moteurs.
Des moyens lourds sont déployés pour le transport et le positionnement des modules. © L. Barnier / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Plusieurs niveaux d’inspection
Livré par l’activité Moteurs, le FSM est mis à l’horizontale sur un chariot spécifique afin de subir une première phase d’inspection pour identifier le niveau d’intervention requis, comme l’explique Sébastien Flin, responsable d’unité de production et manager de l’une des équipes du plateau. Helios doit d’ailleurs recevoir des colonnes de levage qui permettront d’ajuster la hauteur du module pour faciliter son examen. Le FSM part ensuite au lavage avec l’aide de Satys.
En fonction des dégradations constatées, le module peut passer au sablage pour être décapé, voire séparé en deux (partie avant et arrière) pour permettre une inspection « plus en profondeur », détaille Sébastien Flin. Celle-ci est menée en détails selon une liste établie par la documentation technique, pour établir s’il est dans les normes ou définir les réparations nécessaires. Une vingtaine de problèmes récurrents ont ainsi été identifiés.
Sylvain Mounissamy cite ainsi la pénétration et la stagnation d’eau dans la partie basse du carter, sous la couche intérieure du module. Ce phénomène provoque de la corrosion et entraîne notamment un décollement du panneau acoustique en composites sur les GE90-115B. « C’est invisible lors d’une inspection visuelle, précise-t-il. Nous réalisons donc une inspection non destructive par ultrasons phased-array [système fourni par GE Aviation et donc déjà étalonné, NDLR] pour identifier le décollement. Si un défaut est détecté, il faut retirer l’ensemble du panneau en composites pour traiter le problème. »
Les équipes peuvent alors passer à la phase réparation proprement dite. Elle est réalisée soit en interne comme le ponçage de la corrosion ou la remise en état du revêtement abradable et du panneau acoustique en composites, soit en collaboration pour les interventions lourdes, soit au sein d’autres équipes en fonction des compétences nécessaires. Certaines pièces comme les harnais électriques pourront ainsi partir chez CRMA, à Elancourt.
Combler le manque de capacités
AFI KLM E&M vise 35 modules traités en 2019, avant de monter en puissance pour atteindre 50 à 60 modules par an à l’horizon 2022, sachant qu’ils demandent chacun entre 500 et 1 000 heures de travail. La division MRO du groupe Air France-KLM entend ainsi couvrir 30 % de la demande mondiale.
Naturellement, le projet FSM est principalement destiné à couvrir les besoins d’Air France et de KLM (qui ont déjà envoyé un module chacun), mais aussi ceux des compagnies qui disposent d’un contrat de soutien moteurs complet incluant cette prestation, à commencer par Air Canada et Air China. C’est la compagnie canadienne qui a d’ailleurs envoyé le premier carter opérationnel actuellement en cours de traitement chez Helios.
La mise en place de cette nouvelle capacité va permettre de soulager GE Aviation. Le motoriste et son partenaire Nordam n’arrivent aujourd’hui à couvrir qu’un tiers de la demande mondiale, alors que la demande augmente. En effet, les premiers 777-200ER ont désormais une vingtaine d’années, alors que le 777-300ER fête les quinze ans de son entrée en service en 2019. « Lorsque nous envoyions des moteurs au Pays de Galles, ils prenaient la file d’attente et il fallait parfois attendre près de 200 jours pour les récupérer », détaille Yan Müntz.
Ce besoin croissant a facilité la démarche d’AFI KLM E&M auprès de GE Aviation. Le motoriste américain a ainsi apporté son soutien au projet.
Un gabarit spécifique a été mis en place chez Helios pour la réparation des panneaux acoustiques en composites. © L. Barnier / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Un calendrier serré
La mise en place du projet FSM s’est réalisée à un rythme soutenu pour AFI KLM E&M. C’est un changement dans les préconisations faites par GE Aviation pour la maintenance des GE90 qui a précipité les événements se rappelle Sylvain Mounissamy : « Ce sous-ensemble n’avait pas de politique d’entretien en soi, seulement de l’entretien ponctuel. Aux alentours de fin 2016, GE Aviation a mis en place une politique qui requérait une inspection beaucoup plus poussée pour la maintenance préventive à mettre en oeuvre (Preventive maintenance inspection). »
GE Aviation préconise pour l’instant ces inspections toutes les 50 000 heures pour les GE90-115B et les 60 000 heures pour les GE90-94B, selon le principe du « soft time » lors de périodes de maintenance programmée. Cela correspond à la deuxième visite en atelier (une toutes les 30 000 heures) et n’arrivera probablement qu’une fois dans la vie de chaque moteur. « Si l’OEM avait décidé d’imposer l’application de celle-ci (« hard time »), nous aurions dû bloquer des avions par manque de pièces, prévient Sylvain Mounissamy. Nous avons donc monté une structure projet pour développer cette activité à très court terme.»
AFI KLM E&M s’est donc lancée dans l’aventure à l’été 2017, ce qui n’a pas été de tout repos comme le rappelle Yan Müntz : « Ce projet a nécessité tout un programme d’investissement conséquent en moyens industriels lourds [le montant total est estimé entre six et sept millions d’euros, NDLR]. Il a fallu réaménager l’espace au sein du bâtiment Helios pour pouvoir les accueillir. » Près de 800 m² ont ainsi été dégagés pour le plateau FSM, qui a été situé en face de l’entrée du bâtiment et au plus près des cabines de lavage et de ponçage, de façon à limiter au maximum les mouvements de ces sous-ensembles de plus de trois mètres de diamètre au sein du bâtiment. Une cabine de sablage est aussi en cours d’installation, pour une mise en service en avril.
Il a fallu trouver 800 m² supplémentaires pour le stockage des pièces. AFI KLM E&M a donc décidé de construire un nouveau hangar de près de 3 000 m² qui accueillera les stocks FSM, ainsi que ceux des autres plateaux qui étaient jusque-là contenus à l’intérieur du bâtiment principal. Le chantier s’achèvera en juillet, précise Sébastien Flin.
Mixage des compétences
« Et puis, il y a tout le volet humain, pour identifier des techniciens et les faire monter en compétences, continue Yan Müntz. L’activité moteur n’ayant pas forcément les capacités en réparation de composites pour effectuer les opérations sur les FSM et l’activité Aérostructures étant par définition plutôt portée sur le sujet, il a été décidé de faire des équipes mixtes avec des techniciens de deux activités. »
Les premiers techniciens ont été recrutés chez Helios à partir de juin 2018 sur la base du volontariat. Ils ont alors été mis en immersion au sein de l’activité Moteurs avec leurs nouveaux collègues afin de se familiariser avec les équipements traités. Un programme de formation a ensuite été mis en place avec GE Aviation, avec l’envoi de l’ensemble des techniciens au Pays de Galles pendant deux semaines pour travailler sur les opérations de maintenance du FSM, l’outillage ou encore la documentation.
L’activité a finalement débuté sur le plateau FSM au mois de novembre 2018, après l’installation de la zone de travail ainsi que l’arrivée de la première partie de l’équipe et des outillages. Deux premiers carters sont arrivés dès octobre pour permettre aux équipes de se faire la main, de tester les processus et de roder les fonctionnements.
Une cabine de sablage sera installée d’ici avril pour permettre des inspections plus poussée. © L. Barnier / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Mise en place du plateau
Les effectifs sont aujourd’hui de douze techniciens. Cinq viennent des moteurs, cinq d’Helios et deux de l’externe, précise Sylvain Mounissamy. Chaque équipe de six personnes est encadrée par un manager, qui s’occupe aussi d’un autre groupe au sein d’un plateau adjacent en charge des inverseurs de poussée. L’activité fonctionne ainsi en 2/8. Le nombre de techniciens devrait monter à seize « le plus rapidement possible » avec des recrutements encore en cours, dont certains en externe. Et la cible finale est de 24 personnes, sur un bâtiment Helios qui compte déjà 250 personnes. Il faut y ajouter l’apport de deux agents du bureau technique et d’un logisticien.
La mise en place de ce projet s’est faite en collaboration avec la société de conseil Accelean, déjà présente depuis deux ans chez Helios pour l’amélioration de la performance opérationnelle. Il a notamment aidé à déterminer la manière de piloter le chantier en collaboration avec les managers des deux équipes. Et Accelean a contribué à mettre en place le volet « conduite du changement », qui correspondait « à la volonté de profiter de ce chantier pour revoir nos modes d’organisation avec la mise en place d’une structure plus légère et efficace », précise enfin Yan Müntz.