Si l’inspection d’ouvrages s’est rapidement imposée comme l’une des applications évidentes pour les drones civils, l’idée met un peu plus de temps à percer pour l’inspection d’avions. Elle commence néanmoins à faire son chemin sous le coup de démonstrations ponctuelles et d’expérimentations industrielles un peu plus avancées. On pourrait bientôt la retrouver régulièrement en milieu industriel, avec Airbus qui travaille en partenariat avec Intel depuis 2015 par exemple, mais cela pourrait aussi être le cas en milieu opérationnel. C’est en tout cas l’objectif de Donecle, start-up toulousaine qui développe son drone et ses moyens d’inspection propres. Et cela suscite de l’intérêt : elle mène actuellement un programme pilote de grande envergure avec Air France Industries – KLM Engineering & Maintenance (AFI KLM E&M, cf. encadré).
« Une inspection visuelle est un processus ultra chronophage, commence Yann Bruner, directeur général de Donecle. Cela mobilise 20 millions d’heures de travail par an. Entre le coût de l’inspection et la perte de revenus due à l’immobilisation de l’appareil, une heure d’inspection non programmée peut revenir à 10 000 $. Et il faut huit heures en moyenne pour inspecter un avion. C’est l’équivalent de deux Paris-Toulouse. » Il appuie son propos en précisant que 90 à 95 % de ces inspections ne donnent pas lieu à des actions de maintenance par la suite.
Pour gagner du temps, Donecle s’est donc appliquée à mettre au point une solution plus rapide. La jeune société a entièrement développé « une plateforme volante, autonome et automatisée » de 80×80 cm. Yann Bruner estime ainsi pouvoir diviser par 20 le temps d’inspection, soit entre 20 et 30 minutes pour un appareil moyen-courrier avec un seul drone.
Le lidar plutôt que le GPS
Près de 80 % des inspections ayant lieu dans un hangar, Donecle a choisi de s’affranchir du GPS au profit de la télédétection par laser (lidar) pour percevoir son environnement et se guider. Pour cela, elle intègre la maquette numérique de l’avion à inspecter dans le système de navigation couplé au lidar. Posé à proximité de l’appareil, le drone va commencer par en scanner la structure pour le reconnaître. Cela va lui permettre de se positionner dans l’espace par rapport à l’avion, et d’évoluer autour de lui sans risque de collision. « Notre solution fonctionne aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur », se félicite Yann Bruner. Le lidar permet aussi de repérer toute intrusion dans la zone de travail et d’interrompre la mission temporairement – ou définitivement si la personne ou l’objet reste dans la zone.
En parallèle, la start-up a conçu son capteur. Pour l’instant, celui-ci s’appuie sur une caméra HD de 12 mégapixels. Placée en avant du drone et orientable à 180° sur le plan vertical, elle est capable d’inspecter aussi bien l’extrados que l’intrados des avions. Son couplage avec le système de navigation permet d’obtenir des photos géolocalisées et à l’échelle de l’appareil. Les images peuvent ainsi être superposées avec la maquette numérique pour savoir exactement quels éléments de la structure sont concernés par le défaut, ce qui n’est pas forcément possible à l’oeil nu.
La solution de Donecle doit pouvoir être mise en oeuvre par un seul opérateur, avec son drone et sa station au sol, en 5 minutes. Celui-ci pose son drone à proximité de l’avion et sélectionne le type de mission choisi. Le drone se positionne alors par rapport à l’avion, rejoint le point de départ de sa mission et débute son inspection automatiquement. L’opérateur n’a pas besoin de le contrôler, mais dispose d’un suivi en temps réel depuis sa station au sol. A partir des images envoyées par le drone, il peut décider d’éventuelles actions de maintenance à mener. C’est un travail de ce type qui est mené actuellement avec AFI KLM E&M pour l’inspection des marquages réglementaires (cf. encadré).
Première étape
Pour Yann Bruner, ceci n’est qu’une première étape et Donecle commence à peine à explorer les capacités de sa solution : « aujourd’hui, nous ne sommes encore qu’une aide à l’inspection. Nous voulons aller plus loin. » La société travaille ainsi sur « une caméra intelligente capable de détecter, localiser et caractériser un défaut en temps réel ». A terme, le drone et son capteur seront capables de détecter le défaut, de définir sa taille et sa nature (manque de peinture, absence d’un rivet, corrosion, déformation, etc.) et d’indiquer précisément à l’opérateur sa localisation sur l’appareil grâce au lidar. Yann Brunner envisage même que le système soit capable de livrer un rapport de dommage de manière automatisée et rapide, voire de préconiser une action de maintenance.
Pour y arriver, Donecle doit implémenter une couche d’intelligence artificielle. La start-up a commencé à développer des algorithmes en ce sens, mais elle doit encore les « entraîner » à reconnaître et catégoriser les défauts. Il faut pour cela disposer d’une base de données suffisante pour débuter – Donecle va les récupérer via une solution de stockage sur le cloud – puis continuer à l’enrichir avec les nouvelles données issues de l’exploitation des drones. Yann Bruner veut ainsi pouvoir croiser les données dans le temps, avec une traçabilité, mais aussi entre les différents avions. Le système pourrait ainsi repérer les récurrences et permettre à la société cliente de travailler sur l’origine et la prédictibilité des défauts.
D’autres améliorations sont envisagées. Pour gagner en rapidité, Donecle étudie la possibilité de coupler plusieurs drones pour inspecter un seul avion, notamment long-courrier. D’autres capteurs, comme de l’infrarouge, pourraient aussi être intégrés. Le but est aussi de recevoir les agréments nécessaires pour évoluer en milieu aéroportuaire opérationnel. Yann Bruner rêve ainsi de pouvoir pratiquer des inspections sur les avions « à la porte » et éviter ainsi toute immobilisation inutile.
Objectifs à deux ans
Ambitieuse, Donecle prend néanmoins son temps. Yann Bruner veut développer sa solution complète pendant encore deux ans avant de la rendre opérationnelle : « nous avons déjà des résultats, mais ils ne sont pas encore suffisants pour l’aéronautique. » Néanmoins, au vu des délais d’acceptation dans l’aéronautique de l’ordre de 18 mois, il se positionne déjà auprès de compagnies. Il en espère pouvoir réunir un groupe d’une vingtaine de clients d’ici 2019, principalement des branches ou des filiales de compagnies aériennes, et ainsi pouvoir faire mûrir sa solution et développer ses capacités sur un domaine plus large qu’actuellement. Des démonstrations ont déjà eu lieu dans plusieurs pays et des contacts avancés existent en Amérique du Nord et au Moyen-Orient. Donecle espère des signatures dans l’année.
La start-up s’est positionnée sur un modèle de location de sa solution et de formation des opérateurs au sein des compagnies clientes. Un service tout compris, avec un opérateur dépêché par Donecle chez le client, ne serait pas compatible avec l’exigence de rapidité. Les contrats de location seraient déterminés par le niveau d’utilisation et le type de mission réalisée. Là aussi, l’objectif est d’arriver à la rentabilité dans deux ans. Pour l’instant, Donecle est encore en recherche de financement, une première levée de fonds de 1 MEUR a eu lieu en 2016 et une deuxième de 5 MEUR doit aboutir fin 2017, début 2018.