Depuis la déréglementation actée en 1978 par le président des États-Unis Jimmy Carter, les acteurs financiers ont vu leur importance grandir dans le secteur du transport aérien, jusqu’à occuper des positions dominantes face à des acteurs traditionnels. C’est le cas avec la location d’avions, qui représente aujourd’hui environ 60% de la flotte opérationnelle dans le monde. Les réserves de maintenance dont doivent s’acquitter les compagnies aériennes pour pouvoir accéder à un appareil sont un exemple de cette ascendance. A l’occasion des États de l’air organisés par l’association ENAC Alumni, en février dans les locaux de la DGAC à Paris, plusieurs acteurs sont revenus sur ce point précis.
Intervenant au cours de cette conférence, Pascal Dufour, directeur du Négoce d’avions et de la gestion du placement des actifs chez Airbus, a profité de sa première prise de parole pour remettre les choses à plat. Il définit ainsi les réserves de maintenance comme des « provisions d’entretien » versées par une compagnie aérienne locataire à un loueur, afin de supporter les événements qui subviendront dans la vie de l’avion en location. En cas d’opération de maintenance, le principe veut que la compagnie paye et que le loueur la rembourse par la suite.
Pascal Dufour voit dans cette pratique une conséquence logique de la libéralisation à l’oeuvre dans le transport aérien depuis une quarantaine d’années : « La déréglementation a amené une gestion beaucoup plus dynamique des flottes avec la création de la notion de lease opérationnel. Et dans cette activité, il y a un principe très simple : on paye pour ce que l’on consomme. Mais on s’aperçoit que parfois le paiement de ce que l’on a consommé n’intervient que plus tard, lors d’un événement de maintenance. » Cette situation peut s’avérer compliquée à gérer pour le loueur lorsque, entre-temps, les avions sont passés d’un opérateur à un autre, ou bien si la compagnie locataire fait faillite. D’où l’exigence de ces fameuses provisions.
Les réserves de maintenance peuvent représenter 60 à 100% du loyer déjà versé. © Jet Time
Sécurité ou revenu ?
Interrogé sur ce que représentent ces réserves de maintenance pour les loueurs – une sécurité avant tout ou un revenu – Pascal Picano, directeur marketing de Carlyle Aviation Management, répond : « Cela représente les deux. Cela dépend de la génération de l’avion, de son type, de son âge, ainsi que de son plan d’équipements. Cela dépend aussi du profil de risque de la compagnie. »
Il justifie en tout cas le système par le risque important pris par le loueur du fait des forts coûts de réinvestissement nécessaires sur les moteurs, les équipements, parfois obsolètes, ou encore la cabine avant de pouvoir relouer l’avion à une autre compagnie. Les réserves prémunissent aussi le loueur des incertitudes liées à l’exploitation de l’appareil, d’autant qu’il n’a pas la main sur la façon dont celui-ci est opéré. Pascal Picano y voit enfin « un retour de bâton » après les abus pratiqués par certaines compagnies pendant longtemps.
Cet avis contraste avec celui de Grégoire Delatte, en charge de la gestion de la flotte d’Air France HOP, pour qui ce système représente surtout « beaucoup de liquidités que les compagnies prêtent gratuitement aux loueurs ». « Je comprend que le loueur ait envie de conserver la valeur de son actif, poursuit-il. Mais nous, nous louons déjà un avion et nous nous engageons à le maintenir, et en plus il faut avancer des liquidités. »
« Cela demande toute une délicate gymnastique financière », déplore encore Grégoire Delatte, au vu des importantes immobilisations de trésorerie pour la compagnie locataire, ainsi que des nombreuses transactions nécessaires lors d’une opération de maintenance. Il voit aussi dans ces réserves une porte d’entrée pour les loueurs afin de s’immiscer dans la vie opérationnelle de l’avion.
Il est rejoint par Jérôme Abat, responsable de flotte pour la compagnie danoise Jet Time : « D’un point de vue financier, louer un Boeing 737-800, c’est 100 000 dollars par mois. Au titre des réserves de maintenance, la compagnie va payer en plus l’équivalent de 60 à 100% de ce loyer. » Et il précise que le versement de ces réserves, ou du moins de leur montant, dépendra du rapport de force entre la compagnie et le loueur. Ainsi un opérateur régional ou une start-up payera davantage qu’un groupe mondial bien installé.
Divergences de calcul
Un des principaux points d’achoppement de ce système se situe dans le calcul des montants provisionnés. Les différentes parties prenantes devront, lors de la signature du contrat de location, prendre en compte toutes les éventualités, qu’il s’agisse de maintenance programmée ou non. Elles devront aussi calculer les coûts de maintenance au plus juste, sachant qu’ils peuvent largement varier entre une compagnie qui opère quelques avions et un loueur comme Carlyle, qui possède plus de 200 appareils, avec d’importants effets d’échelle à la clef. « Les loueurs ont leurs propres barèmes », regrette ainsi Grégoire Delatte.
Pascal Picano concède que le calcul peut s’avérer délicat lorsque ces équipements arrivent en fin de vie opérationnelle et qu’il faut adapter le montant des réserves en conséquence. Pascal Dufour ajoute de son côté qu’il faut aussi tenir compte de la région du monde dans laquelle l’avion est entretenu.
Familier de ces contrats, Jérôme Abat note que la récupération des réserves par les compagnies après une opération de maintenance se passe bien dans 90 % des cas. Il explique néanmoins s’être déjà retrouvé avec des sommes bloquées chez des loueurs pendant plus d’un an. La situation peut ainsi s’avérer rapidement problématique, en particulier lorsque le coût de l’opération de maintenance dépasse le montant provisionné auprès du loueur par la compagnie, et inversement.
Le loueur peut ainsi estimer que l’opération de maintenance effectuée ne correspond pas aux tarifs en vigueur sur le marché – du moins à ceux auquel lui a droit – et ne procéder qu’à un remboursement partiel des dépenses engagées par la compagnie. Il peut aussi faire valoir qu’une opération ne relève pas des conditions définies pour les réserves de maintenance, et qu’il n’a donc pas à les rembourser.
HOP a opté pour une solution PBH avec Embraer pour ses nouveaux Embraer 190 loués à Nordic Aviation Capital. © Air France HOP
Solutions tripartites
Pour limiter ces frictions, Pascal Picano mentionne donc l’existence d’une autre solution, avec un accord tripartite conclu directement entre le loueur, la compagnie locataire et une société de maintenance. Les réserves sont alors directement avancées cette dernière. « Lorsque l’on se connaît bien, cela se fait de façon très facile, note le directeur marketing de Carlyle. Cela permet aussi au loueur de savoir ce qui est fait sur son actif et à quel coût, et d’aider l’opérateur à faire baisser ce coût et à contrôler le travail fait par le MRO. Dans le futur nous aurons plus de situations de partenariats, où nous allons coopérer pour mieux gérer l’activité. » Cette option semble en tout cas séduire de plus en plus d’acteurs.
Dans certains cas, ce type de contrat pourra aussi être conclu directement avec le constructeur (à l’exception des freins et des moteurs). Cette formule a d’ailleurs été retenue par Grégoire Delatte et Air France HOP pour la location de sept Embraer neuf, avec un contrat de maintenance à l’heure de vol (PBH). Les provisions sont alors directement versées à l’avionneur. « Ces engagements tripartites rassurent les loueurs, mais aussi les compagnies, qui ont une visibilité sur les flux de trésorerie vers un acteur qui est directement impliqué dans l’entretien de l’avion. Ce que nous n’aimons pas c’est l’imprévu. »
Cela n’exclut pas pour autant un calcul fin du prix et des prestations comprises. Et cela demande toujours une réelle coopération entre les différentes parties prenantes pour assurer la visibilité de chacun sur les opérations de maintenance.