Pendant de longues années, l’Europe s’est avérée être un marché peu favorable à Pratt & Whitney. Si l’on excepte les résultats de sa branche canadienne et ses coopérations au sein d’Engine Alliance (GP7200) et d’International Aero Engines (V2500), la part du motoriste américain dans la flotte installée sur le Vieux Continent n’a cessé de diminuer au gré du retrait des JT8D et JT9D et du recul progressif du PW4000 face au Trent 700 de Rolls-Royce et au GE90 de GE Aviation. Une tendance qui semble aujourd’hui révolue avec sa famille de turbofans à réducteur (GTF) PW1000G, identifiée aussi sous le nom PurePower.
Avec le PW1100G sur A320neo, le PW1200G sur MRJ, le PW1400G sur MC-21, le PW1500G sur A220 (ex-CSeries) et les PW1700G et PW1900G sur E-Jets E2, Pratt & Whitney s’est placé sur les principaux programmes de jets moyen-courriers et régionaux des quinze prochaines années, à l’exception du 737 MAX et du C919. Cette présence accrue va se traduire par un retour inexorable dans le ciel européen.
Forte croissance en perspective
Rien que pour la famille A320neo, Pratt & Whitney dispose déjà de commandes pour équiper près de 600 appareils en Europe, voire 700 si l’on prend en compte les avions de Turkish Airlines. Il faut y ajouter une centaine d’A220-100/300 et une quinzaine d’E-Jets E190/195-E2, hors locations. Seul le MRJ japonais et le MC-21 russe ont peu de chance de percer sur le marché (ouest-)européen.
Cette arrivée massive de moteurs a débuté fin 2015 avec la livraison du premier A320neo à Lufthansa. A l’heure actuelle, seulement une trentaine d’A220 et une quarantaine d’A320/321neo motorisés par Pratt & Whitney sont en service en Europe, mais ce chiffre devrait croître de façon exponentielle dans les prochaines années à la faveur des montées en cadence des deux programmes. Une évolution qui nécessite la mise en place d’un réseau de maintenance conséquent.
Pour Paul Finklestein, directeur Marketing de Pratt & Whitney, ce développement doit se faire directement sur le Vieux Continent : « L’idée est que les moteurs européens soient entretenus en Europe, ne serait-ce qu’à cause du transport et de la volonté des ingénieurs d’aller voir leurs moteurs lorsqu’ils sont en atelier. Il y a donc en général une envie de garder les moteurs aussi près que possible. Les situations où les moteurs sont envoyés en Asie ou en Amérique du Nord dépendent de la disponibilité des créneaux. »
Mainmise allemande
Gros client des familles A220 et A320neo, le groupe Lufthansa a naturellement été l’un des premiers à se positionner sur ce marché avec Lufthansa Technik. La filiale de MRO a ainsi installé des capacités de révision sur deux sites allemands, à Hambourg et Alzey. Partenaire du programme PW1000G, le motoriste allemand MTU Aero Engines a fait de même. Sa division MTU Maintenance a ainsi mis en place des services de maintenance dans ses installations de Hanovre, même si celles-ci ne traitent que le PW1100G à l’heure actuelle.
Enfin, les deux protagonistes se sont associés pour créer la coentreprise EME Aero en Pologne, entièrement dédiée à la maintenance des GTF. Ce site de 160 000 m², dont 40 000 m² d’ateliers, ouvrira fin 2019. Il sera pleinement opérationnel un an plus tard, avec environ 1 000 employés et une capacité de l’ordre de 400 visites par an, au prix d’un investissement de 150 millions d’euros.
Interrogé sur la nécessité de renforcer ces capacités de maintenance, Paul Finklestein affirme : « Pas à court terme. Nous devons voir comment les capacités correspondent à ce que nous planifions aujourd’hui. Cela devrait être suffisant pour faire face à ce que nous prévoyons. »
Le centre EME Aero à Jasionka (Pologne) va devenir le centre névralgique de la maintenance des GTF en Europe. © MTU Aero Engines
Pas de capacités propres
Quoiqu’il en soit Pratt & Whitney ne prévoit pas la création de centres de maintenance en pleine propriété, conformément à sa stratégie de soutien. « En général, la façon dont nous étendons nos capacités de révision consiste à créer des coentreprises avec des compagnies aériennes traditionnelles ou des sociétés tierces, explique Paul Finklestein. Nous nous concentrons davantage sur une croissance avec des sociétés existantes qui ont démontré une bonne qualité plutôt que de partir de zéro. »
Un rapprochement avec Pratt & Whitney Canada, bien installé en Europe sur les marchés des appareils régionaux et d’affaires, ne semble pas non plus à l’ordre du jour. « Dans un proche avenir, nous resterons probablement séparés comme nous l’avons fait dans le passé », déclare Paul Finklestein.
Et Air France-KLM dans tout ça…
Un acteur pourrait néanmoins venir chambouler ce tableau. Il s’agit d’Air France-KLM. Au contraire de ses concurrents – à bas coûts comme traditionnels – il ne s’est pas encore positionné sur le renouvellement de ses flottes moyen-courrier et régionale. Au vu des investissements actuels réalisés par AFI KLM E&M pour développer ses capacités de maintenance sur le LEAP, il est hautement improbable de voir le groupe franco-néerlandais choisir le PW1100G s’il commande des A320neo – la question ne se posant pas s’il opte pour le 737 MAX.
En revanche, les filiales régionales HOP ! Air France et KLM Cityhopper vont selon toute vraisemblance passer au GTF, probablement par l’acquisition d’E-Jets E2. Au vu de la composition de la flotte actuelle, cela représente des commandes potentielles pour une centaine d’appareils sur les prochaines années (d’autant que HOP ! se débarrasse de sa flotte d’ATR).
Il serait alors difficilement imaginable de voir Air France KLM s’adresser à Lufthansa Technik pour la maintenance de ses moteurs. De même, l’importance de la flotte pourrait inciter AFI KLM E&M à développer ses propres capacités pour assurer la maintenance de la famille PW1000G.