La nouvelle était dans l’air depuis quelques jours, elle est désormais actée. Alain Charmeau va quitter la tête d’ArianeGroup le 1er janvier prochain. Il prendra sa retraite après une période de transition de trois mois comme conseiller spécial auprès de son successeur, André-Hubert Roussel. Une aide qui ne sera sans doute pas de trop pour le nouveau président exécutif du groupe, qui va avoir de nombreux défis à relever (très) rapidement.
Succéder à Alain Charmeau n’est pas simple affaire en soi. A 62 ans, l’homme est un dirigeant historique de la filière spatiale française, d’abord au sein du groupe EADS devenu Airbus, avant de fonder Airbus Safran Launchers devenu ArianeGroup. Il est le premier (et pour quelques semaines encore l’unique) président exécutif de cette coentreprise à parité d’Airbus et de Safran, chargée de garantir l’accès autonome de l’Europe à l’espace avec la maîtrise d’oeuvre de la famille de lanceurs Ariane, mais aussi en tant qu’actionnaire principal d’Arianespace qui exploite et commercialise ces même lanceurs.
Nombreux défis en perspective
En sus d’assurer la relève, André-Hubert Roussel va devoir composer avec une situation industrielle, commerciale et sociale complexe. Le nouvel homme fort d’ArianeGroup va devoir achever la mise au point d’Ariane 6, dont le premier vol est prévu pour 2020. Un temps en suspend dans l’attente d’une décision politique, la phase d’industrialisation et de production des premiers exemplaires du nouveau lanceur est bel et bien lancée depuis juin dernier. Il faut néanmoins la mener jusqu’au bout, et dans les temps, ce qui n’est jamais évident avec des programmes de cette complexité.
Le groupe devra ensuite assurer la transition avec l’ancienne génération de lanceur, à savoir Ariane 5, qui devrait continuer à être opéré jusqu’en 2022. Cela suppose de préparer la montée en cadence d’Ariane 6 pour éviter les ruptures de charge tout en préservant la capacité de lancer Ariane 5.
Baisse de cadences
Néanmoins, à en croire le manque d’annonces de contrats engrangés par le nouveau lanceur, le problème ne sera pas de répondre à la demande mais de plus de remplir le carnet de commandes. A l’heure actuelle, Arianespace affiche un manifeste qui ne compte que cinq lancements, pour un total de 10 satellites, jusqu’en 2027 pour Ariane 6. Seuls trois contrats institutionnels et un contrat commercial ont ainsi été glanés. Ce qui est insuffisant au vu des cadences prévues par le programme.
Il était en effet prévu de produire quatorze Ariane 6 entre 2020 et 2022, réparties à parité entre le marché institutionnel et le marché commercial, puis une dizaine de lancements par an à pleine cadence. A en croire la CFE-CGC, le 12 novembre, la direction d’ArianeGroup a annoncé en comité central d’entreprise qu’elle allait réduire de 20% la cadence de production des Ariane 5 et 6 dans les prochaines années. Celle-ci avait déjà indiqué à plusieurs reprises qu’elle manquait de visibilité pour lancer la production des futurs lots de lanceurs – ce qui nécessite environ trois ans.
A moins de deux ans de son premier vol, Ariane 6 peine à engranger des contrats. © Airbus
Lourd tribut social
Cette mesure industrielle s’accompagne d’une décision sociale très lourde, à savoir la suppression de 2 300 postes dans les effectifs internes et en sous-traitance dans les cinq ans. 1 300 emplois disparaîtraient avec l’attrition naturelle, le reste serait le fait de départs supplémentaires de salariés. S’il s’agit d’une mesure pour améliorer l’efficacité d’ArianeGroup, ce serait une véritable saignée dans les effectifs, évalués à 9 000 personnes en France et en Allemagne. Une situation difficilement acceptable pour les syndicats, qui attendent avec impatience de voir la stratégie du nouveau patron.
Pour résoudre cette situation, André-Hubert Roussel va donc devoir convaincre les clients privés de faire confiance à Ariane 6. Tout d’abord sur le plan industriel et technologique, des résistances persisteront sans doute tant que la production des premiers lanceurs et le premier vol ne seront pas achevés. Si les performances sont nominales et réalisées dans les temps, cela pourrait débloquer quelques signatures.
Une attractivité à travailler
Pour cela, Arianespace devra aussi se montrer attractif sur le plan financier, alors que le marché des gros satellites – pour lequel Ariane 6 a été conçue – tend à se réduire. En effet, les nouvelles possibilités offertes par les satellites de moindre taille, pour un coût bien moindre, drainent une partie non négligeable de la demande. Si Ariane 6 se veut 40% moins chère qu’Ariane 5, cela ne suffit visiblement pas pour l’instant.
Côté institutionnel, Ariane 6 a besoin de cinq lancements par an. Et là aussi, l’objectif est loin d’être atteint. D’autant que la « préférence européenne » – telle que la pratique les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Japon ou encore l’Inde – n’a pu être actée. André-Hubert Roussel va donc là-aussi devoir monter au créneau pour convaincre les décideurs européens de l’importance de garder un accès autonome à l’espace.
Place au nouveau
Pour accomplir tout cela, le futur patron d’ArianeGroup peut compter sur une expérience solide. A 53 ans, André-Hubert Roussel est directeur des Opérations d’Airbus Defence & Space depuis 2016, membre du comité exécutif de la division depuis juillet 2017 et membre du conseil d’administration d’ArianeGroup depuis juillet 2018.
Présent dans le groupe EADS depuis 2004, il a rejoint la branche spatiale en 2009 comme directeur des opérations (ingénierie et fabrication) d’Astrium Space Transportation, sous la présidence d’Alain Charmeau. Il a poursuivi ensuite son parcours au sein du groupe (devenu Airbus). Il a ainsi participé directement au lancement d’Ariane 6 en tant que directeur des programmes de lanceurs d’Airbus en décembre 2014, avant de devenir directeur Ingénierie, Opérations et Qualité de Airbus Defence & Space – Space Systems début 2015.
A André-Hubert Roussel d’assumer désormais l’héritage d’Alain Charmeau tout en remettant ArianeGroup sur la bonne rampe de lancement pour la prochaine décennie.