Organisme au service de l’aviation d’État, la DSAÉ (Direction de la sécurité aéronautique d’État) met en oeuvre une « démarche globale de sécurité aéronautique ». Le Journal de l’Aviation a pu rencontrer son directeur, le général Hervé Rameau, qui quitte ses fonctions cet été.
La Direction de la sécurité aéronautique d’État est entrée dans sa quatrième année d’existence. Quelles sont les raisons de son existence et quel est son champ d’action ?
La création de l’Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) a généré un certain nombre de réflexions en France. Avant la création de l’AESA, la réglementation pour l’aviation civile en France était gérée par la DGAC, tandis que la réglementation pour la partie militaire était partagée entre la la DIRCAM (Direction de la circulation aérienne militaire) et chacune des armées, selon un schéma qui différenciait peu les fonctions de régulateur et d’exploitant. Un outil institutionnel coprésidé par la DGAC et la DIRCAM permettait de coordonner le développement des réglementations civiles et militaires. Avec la création de l’AESA, le pouvoir réglementaire civil a migré vers un niveau européen, au moins en partie. Il fallait donc ré-articuler le dispositif militaire, pour le doter d’une entité qui assure une crédibilité juridique en matière aéronautique, ainsi qu’une autorité nationale en matière de décision et d’emploi sur les questions de sécurité. Ces fonctions existaient déjà, mais n’étaient pas aussi solidement établies qu’au sein de l’AESA.
La DSAÉ réglemente et surveille environ 1350 aéronefs, mais aussi une vingtaine de plateformes aériennes militaires, les prestataires de services de navigation aérienne militaires (contrôle aérien…), les organismes d’entretien des aéronefs, des personnels de maintenance, les contrôleurs aériens, les personnels navigants, les personnels de maintenance… Au total, la DSAÉ comporte un peu plus de 200 personnes, avec une entité centrale à Villacoublay, qui a la charge de produire le corpus réglementaire, et des entités en régions.
Avec un avion à dimension européenne tel que l’A400M, quel rôle joue la DSAÉ ?
La navigabilité est un outil exhaustif, qui couvre l’intégralité de la vie d’un aéronef, depuis sa conception jusqu’au quotidien de la maintenance. Une des caractéristiques, c’est que, pour être avionnée, chaque pièce détachée doit être estampillée comme conforme au règlement de navigabilité qui s’applique. Aujourd’hui, chaque État applique à ses aéronefs militaires une réglementation nationale. Cependant, avec un programme comme l’A400M, il y a eu l’idée de développer un corpus européen de navigabilité, l’EMAR (European military airworthiness requirements), appliqué de la même manière par tous les utilisateurs, afin de créer des conditions plus favorables et souples pour tout ce qui tourne autour de l’emploi de la machine. Cette harmonisation des normes fait gagner en termes d’interopérabilité, de maintenance croisée, de coûts en matière de MCO. C’est une valorisation du produit et une plus-value industrielle. Les gains d’ores et déjà obtenus concernent notamment le contrat de soutien commun avec le Royaume-Uni, mais également l’école de formation commune des mécaniciens avec l’Allemagne.
Là où l’A400M se révèle être le programme pilote pour les EMAR, les perspectives paraissent suffisamment importantes en termes de gains pour que cette norme se généralise à l’avenir, au fur et à mesure du renouvellement des flottes.
Comment la DSAÉ aborde-t-elle la question de la navigabilité des drones ?
La question des drones est essentielle, elle a d’ailleurs été l’un de nos premiers « drivers stratégiques » lors de la création de la DSAÉ. Nous détenons aujourd’hui, en tant qu’organisme étatique, la vision globale la plus complète sur le sujet. En matière d’insertion dans l’espace aérien, nous avons réussi à mettre en place un cadre d’utilisation répondant aux besoins opérationnels, notamment pour le Harfang. Grâce à sa conformité aux exigences nationales de navigabilité, ce drone est d’ailleurs le seul à être autorisé à voler de manière régulière au-dessus du ciel français lors de missions de surveillance, en totale compatibilité avec les exigences sécuritaires (notamment lors des DPSA – Dispositifs particuliers de sûreté aérienne – mis en place à l’occasion d’événements type 14 juillet ou Euro 2016, NDLR).
Ce n’est pas encore le cas pour le MQ-9 Reaper, qui est beaucoup plus restrictif et non nativement conçu pour répondre aux exigences sécurité aéronautique. Nous sommes en train de regarder là où ça pèche pour trouver des options, dans l’objectif de faire voler le Reaper sur territoire national, ce qui permettra de franchir un premier pas. L’idée c’est aussi de faire pression sur le constructeur, pour lui dire qu’il n’y a pas d’avenir si l’évolution ultérieure ne prend pas en compte les exigences de sécurité aéronautique qui s’appliquent dorénavant en France et en Europe. C’est entre autres pour cela que General Atomics a développé son Certifiable Predator B. Les États-Unis ont compris qu’ils vendront du Reaper uniquement s’ils vendent un produit qui est « airworthy » et reconnu comme tel en Europe. Un des objectifs est potentiellement de le rendre conforme au travers des EMAR.
Au titre de la coordination de l’espace aérien européen, quels liens la DSAÉ entretient-elle avec ses homologues en Europe ?
Lors de la création de la DSAÉ, la France a eu un raisonnement assez précurseur en la matière, qui a été rendu possible parce que la France est historiquement une grande nation de l’aéronautique, mais aussi un pays ayant une politique étrangère active soutenue par un outil de défense crédible et efficace. La situation était donc d’emblée plus favorable pour comprendre quels étaient les enjeux de la création de l’AESA et plus généralement les enjeux de toute la politique générale pour l’aviation civile en Europe – notamment au travers du Ciel unique européen.
Nous avons créé un réseau européen il y a trois ans, afin de permettre à l’ensemble de mes homologues d’appréhender de manière réaliste, objective et homogène la question des enjeux qui se situent derrière la sécurité aéronautique, l’AESA et le CUE. C’est un groupe de 14 pays, une sorte de « club informel », qui se réunit une fois par an en séance plénière, au cours de l’European union military aviation authority conference. Cela étant, nous échangeons par ailleurs extrêmement librement et régulièrement sur tous les sujets d’importance quasiment au quotidien.
Quelles sont les problématiques communes que vous avez pu identifier avec vos homologues ?
La question que nous nous posons est strictement identique : dans un contexte où la politique européenne pour le développement de l’aviation civile n’est pas coordonnée avec la politique de défense de l’UE et d’autant plus avec la politique de défense de chaque État, le développement des réglementations techniques pour l’aviation se trouve potentiellement de nature à générer des contraintes d’emploi sur les aéronefs militaires. La particularité de l’espace aérien, c’est qu’il n’y a pas de barrière physique et que les avions civils et militaires y sont constamment imbriqués. Bien que la réglementation de l’AESA ne s’applique pas à l’aviation d’État et militaire, comme tout est imbriqué, dès que la réglementation évolue dans le civil, cela impacte mécaniquement le monde militaire. Il est donc nécessaire de trouver un espace de coordination entre les évolutions des réglementations civile et militaire. Sans s’opposer au développement économique, qui est légitime, il faut qu’il y ait des outils qui permettent de s’assurer que tout soit coordonné.
Un comité militaire européen pour le ciel unique, créé récemment, a la charge d’identifier les projets de développement réglementaire civils porteurs d’enjeux pour la défense, d’élaborer des positions militaires communes et de faire porter ces positions vers la Commission européenne et l’AESA.
Quels sont les manques que vous identifiez à l’heure actuelle ?
Les institutions européennes ne proposent pas d’outil de coordination entre les volets économique et défense. Ainsi, rien n’oblige la Commission européenne ou l’EASA à se saisir des positions militaires communes qui sont préparées en comité militaire pour le ciel unique. Or, le CUE est un excellent exemple de l’absolue nécessité que l’UE se dote d’un outil institutionnel, dont la Commission européenne doit absolument tenir compte dans le développement de ses outils économiques. Pendant un certain temps la fragmentation des militaires ne permettait pas que la Commission européenne se saisisse du sujet. Aujourd’hui, le comité militaire pour le ciel unique est abrité par l’Agence européenne de Défense, laquelle a par ailleurs été désignée comme interlocuteur privilégié de la Commission européenne sur ces sujets, ce qui crée des conditions favorables à cette évolution.
Vous rendez votre commandement cet été, quel bilan tirez-vous de votre expérience et quels sont les chantiers que vous allez confier à votre successeur ?
La DSAÉ est un organisme qui a réussi à créer un climat de confiance avec l’ensemble des sept autorités d’emploi réparties dans trois ministères, un préalable indispensable pour pouvoir se fixer des objectifs ambitieux en termes de développement de la sécurité aéronautique. S’agissant du ciel unique européen, le cadre national est maintenant bien en place et l’outil de coopération entre les militaires européens est sur pied. Il manque encore le dernier étage, celui de l’exigence institutionnelle de coopération de la Commission européenne. C’est l’un des dossiers majeurs pour mon successeur, qui m’a pris 40% de mon temps, mais qui est sans doute le plus stratégique de tous.
La DSAÉ va également continuer sur le chantier de la maturation de la sécurité aéronautique, car la vraie maturité sera atteinte lorsqu’on appréhendera les choses non plus sous l’angle des métiers (navigabilité, circulation aérienne, formation du personnel navigant et exploitation des aéronefs, NDLR), mais dans une dimension véritablement transversale et globale.