Le salon du Bourget s’ouvre dans une conjoncture un petit peu spéciale cette année, avec une économie plutôt bonne mais un environnement géopolitique houleux. L’industrie aéronautique est dans l’un de ses cycles descendants, en témoigne le nombre réduit de commandes depuis le début de l’année, et les compagnies aériennes évoluent dans un contexte empreint de turbulences, profondément marqué par la menace sécuritaire et le retour en force des velléités protectionnistes. En ont notamment résulté ces derniers mois le Brexit, le « PED ban » et depuis le début du mois le « Qatar ban », qui vient d’amplifier les premiers signes de faiblesse montrés par la région Moyen-Orient. Autant d’incertitudes et d’instabilité qui ne jouent pas en faveur de la confiance des passagers dans l’industrie du transport aérien.
Des perspectives toujours bonnes à court comme à long terme
Pourtant, aucun de ces événements, et pas même une nouvelle hausse du pétrole, n’est venu remettre en cause la croissance du transport aérien à long terme. L’IATA a même révisé ses prévisions de chiffre d’affaires et de bénéfices pour 2017 lors de sa dernière AGM – ils resteront toutefois inférieurs à 2016 notamment à cause d’une remontée du prix du pétrole et des coûts de personnel – et prévoit désormais que le nombre de passagers sur l’année devrait dépasser pour la première fois les quatre milliards. Et Alexandre de Juniac, le directeur général de l’association, a même estimé que la crise économique de 2008 qui a touché si durement les compagnies aériennes avait également « beaucoup amélioré la résistance de l’industrie aux crises par rapport à il y a dix ans ».
Autre indice de la reprise, le secteur cargo, indice économique clé, sort de sa léthargie, porté par le dynamisme du e-commerce et de l’industrie pharmaceutique. Il devrait enregistrer une croissance de 7,5% de ses volumes cette année.
Les études de marché réalisées par les avionneurs vont dans le même sens et Airbus a indiqué, dans son dernier Global Market Forecast publié la semaine dernière, que la flotte mondiale allait doubler d’ici 2036, passant de 20 500 à 42 530 appareils.
Turbulences au Moyen-Orient
Cependant, la menace terroriste a, en plus de ses effets immédiats, des conséquences à plus long terme. Ceci est devenu particulièrement flagrant avec le PED ban (Portable electronic device) décidé de façon soudaine et unilatérale par les Etats-Unis au mois de mars, qui a provoqué l’interdiction pour certains passagers en provenance de plusieurs destinations du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord d’emporter leurs ordinateurs portables ou tablettes en cabine sur un vol vers les Etats-Unis. La Grande-Bretagne a suivi l’exemple et pris une décision similaire deux jours plus tard et l’IATA a évité de justesse que l’interdiction soit étendue à toute l’Europe. Malgré cela, cette interdiction entraîne des surcoûts opérationnels, nuit à la productivité des passagers et le message envoyé quant à la sécurité du transport aérien n’est pas très positif.
Il s’agit là d’un coup porté au Moyen-Orient alors que les compagnies montraient déjà des signes de faiblesse. Emirates voit ses recettes baisser et doit se convertir aux économies, tandis qu’Etihad a annoncé des réductions d’effectif juste avant de sanctionner son CEO James Hogan pour les échecs de sa politique de partenariats (en Italie avec la nouvelle faillite d’Alitalia et en Allemagne avec airBerlin). Ces dernières semaines, les deux compagnies ont annoncé des réductions de capacités vers les Etats-Unis, Etihad supprimant sa liaison vers San Francisco à partir de la saison hiver 2017-2018 et Emirates en réduisant ses fréquences. Les deux compagnies citent une baisse de la demande vers le pays comme cause de cette décision, provoquée notamment par le laptop ban.
Qatar Airways semblait avoir été épargnée jusque là et a même publié des résultats en forte croissance pour 2016, avec un chiffre d’affaires en hausse de 10,4% à 10,6 milliards de dollars et un bénéfice accru de 21,7% à 540 millions de dollars. C’était sans compter la crise diplomatique qui a éclaté le 5 juin : l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Yémen, l’Egypte et les Maldives ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusant l’émirat de soutenir le terrorisme. En ce qui concerne Qatar Airways, elle a l’interdiction de survoler ces territoires et a perdu la licence qu’elle avait obtenue en Arabie Saoudite. Plusieurs de ses liaisons ont ainsi dû être suspendues et certaines routes sont considérablement allongées. Si Akbar Al-Baker, le CEO de la compagnie, a indiqué que 90% des vols de la compagnie étaient partis à l’heure et que le blocus ne changeait rien à la majorité de ses opérations, il a tout de même appelé l’OACI à user de son poids pour dénoncer cet embargo qu’il qualifie d’« illégal ». Il sera présent au salon du Bourget. La question reste entière de savoir si le « Qatar ban » aura une incidence sur le carnet de commandes de la compagnie.
Le Brexit, grand facteur d’incertitude en Europe
Alors que les compagnies européennes peinent à se relever de la crise de 2008, sont toujours à la chasse de la moindre réduction de coûts et opèrent dans la crainte d’un acte terroriste, un séisme a fait trembler leur environnement en juin dernier : le vote du Brexit. Si les conséquences restent pour le moment limitées économiquement parlant, elles pourraient être très lourdes en cas de hard Brexit et de sortie du Royaume-Uni de l’espace aérien commun. La prudence est donc aujourd’hui de mise dans le pays et plusieurs compagnies préparent leur plan B. Ryanair a réduit ses objectifs de croissance en Grande-Bretagne pour se concentrer sur des régions plus porteuses, easyJet travaille à la création d’une filiale avec un certificat de transporteur dans l’Union européenne pour assumer les vols de son programme qui n’ont aucun lien avec le Royaume-Uni… Actuellement, le pays n’a pas trop souffert, la perte d’attractivité ayant été compensée par la stimulation du tourisme et des exportations grâce à la faiblesse de la livre, mais l’IATA estime que l’industrie britannique du transport aérien sera à long terme de 5 à 10% plus faible que ce qu’elle aurait pu être avec le maintien du ciel commun.
L’exemple du Brexit est également celui d’une tendance qui monte et au sujet de laquelle Alexandre de Juniac a tiré la sonnette d’alarme lors de l’assemblée générale de l’IATA au début du mois : le protectionnisme. Les discours protectionnistes se multiplient en Europe et aux Etats-Unis et « toute barrière aux frontières est une menace » pour le transport aérien. Et pour l’industrie.