A la veille du salon du Bourget, Le Journal de l’Aviation a rencontré Jared Harckham, vice-président et directeur exécutif de la branche Aviation d’ICF, et Martin Harrison, directeur général Airlines et MRO d’ICF. L’occasion d’évoquer avec la société de conseil américaine les grands sujets qui préoccupent l’industrie du transport aérien en ce moment.
Le bilan carbone du transport aérien est un thème qui a récemment pris une grandeur ampleur dans les discussions, on l’a vu à IATA. N’est-ce pas pour le moment un sujet très européen ?
Jared Harckham : Si, c’est un sujet très européen et même majeur en Europe. Mais aux Etats-Unis, cela ne fait pas encore partie des discussions. Cela ne veut pas dire que cela ne le deviendra pas parce que ces choses ont tendance à se propager mais pour le moment ça ne fait pas partie des grandes urgences du côté des compagnies aériennes. Les aéroports sont plus vigilants en revanche.
Aux Etats-Unis, les problématiques environnementales tournent davantage autour des déchets plastiques. Les compagnies américaines ont été parmi les premières à essayer de réduire leurs déchets et de les remplacer autant que possible par des objets en papier. Ce n’est pas obligatoire aujourd’hui mais cela va le devenir, par exemple dans l’Etat de New York et en Californie.
On a vu une période assez faste pour le transport aérien ces dernières années, qui vient de s’achever sur la faillite de plusieurs compagnies et un premier trimestre plus difficile. Que se passe-t-il ?
Martin Harrison : C’est encore un phénomène européen. Les compagnies, aussi bien low-cost que les legacy, ont connu une bonne période où elles ont réussi à générer du cash, avec un prix du carburant relativement stable. Mais le carburant a augmenté en 2018 et nous voyons une inflexion au premier trimestre, avec des alertes sur profits et révisions à la baisse des prévisions annuelles. Ryanair et easyJet ont émis de telles alertes, justifiées par un environnement qu’elles voient comme incertain. IAG et Lufthansa ralentissent. Norwegian se bat pour renflouer sa trésorerie… La question c’est pourquoi ? Est-ce que c’est une augmentation des coûts, un ralentissement de la demande ? Le ralentissement est là, à cause des incertitudes : Brexit, grèves du contrôle aérien, Boeing 737 MAX…
Jared Harckham : Je pense aussi que certaines compagnies, comme Air Berlin à l’époque, ont vu leurs parts grignotées de tous les côtés, par les ultra-low-cost et par les legacy qui ont décomposé leurs tarifs pour concurrencer les tarifs les plus bas et introduit différents types de produits (hybrides et low-cost) à l’intérieur du groupe. Elles perdent leur raison d’être. Mais cette consolidation en Europe est plutôt saine, les survivantes sont plus solides à long terme. Ce qui s’est passé en Amérique du nord n’est peut-être pas parfait mais cela a créé une industrie vraiment durable, les avions sont pleins. Avoir une industrie solide est bon pour tous : plutôt que d’avoir à s’inquiéter de licenciements, crises, subventions, les compagnies peuvent se concentrer sur leur activité, développer leurs services, améliorer les infrastructures et leur flotte.
Martin Harrison : L’Amérique du Nord est un bon exemple de maîtrise des capacités, qui a vraiment généré une trésorerie solide. Les billets sont plus chers, certes, mais ils doivent de toute façon avoir un pris. En Europe, il y a encore beaucoup à faire. Mais tous les marchés ont leurs difficultés : l’Amérique latine ralentit, l’Inde a perdu Jet Airways, IndiGo a enregistré ses premières pertes… Et l’Amérique du nord était sinistrée il y a dix ans.
Où pensez-vous que la crise du 737 MAX va mener ?
Martin Harrison : On se pose beaucoup de questions sur la FAA et la façon dont les avions vont être certifiés. Mais quand on regarde l’histoire de l’industrie, les avions reviennent, les compagnies survivent, les passagers oublient. Le 737 MAX est un bon avion, je suis sûr qu’il va revoler. La question porte davantage sur le calendrier et le rythme, c’est là que se trouve l’incertitude… Certaines compagnies comptent dessus au mois d’août mais si j’étais une compagnie je ne compterais pas dessus, pas même en Amérique du nord. Cela prendra plus de temps. Les compagnies, les autorités vont vouloir re-tester l’avion pour regagner la confiance.
Jared Harckham : C’est évidemment un gros problème pour l’industrie mais au moins, le MAX ne représente pas un gros pourcentage de la flotte de ses opérateurs, sauf pour Fiji Airways. Les dommages aux compagnies sont une chose mais l’autre problème est comment Boeing et FAA travaillent ensemble. Il va sûrement y avoir de plus longues et plus nombreuses revues de process.
Martin Harrison : Cela a été une sorte de wake-up call pour les régulateurs parce que cette philosophie de certification en concertation (avionneur-régulateurs et régulateurs entre eux) a été adoptée depuis des années. Il va être difficile de ré-internaliser des compétences qui ont parfois été confiées aux grands régulateurs (par exemple entre la CAA et l’EASA).