La conférence organisée par Lufthansa pour présenter ses résultats annuels pour 2019 a été totalement bouleversée par l’actualité et s’est transformée en « conférence de crise coronavirus » selon les mots de Carsten Spohr, le dirigeant du groupe. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les perspectives 2020 ne sont pas bonnes : « depuis quelques jours, plus personne ne veut prendre l’avion. Depuis quelques jours, plus personne n’a le droit de prendre l’avion », constate-t-il. Carsten Spohr a annoncé une nouvelle réduction du plan de vol à partir de la semaine prochaine et indiqué que l’avenir du transport aérien serait très sombre si les gouvernements ne volaient pas au secours des compagnies. Mais il garde une touche d’optimisme : le groupe Lufthansa est parmi les mieux armés pour résister à cette crise.
Après l’immobilisation de Brussels Airlines et Austrian Airlines, de nouvelles coupes vont être effectuées dans l’activité. A compter du 25 mars, 95% des vols seront suspendus et 700 des 763 avions du groupe seront cloués au sol. Quelques vols long-courrier vers une poignée de grandes destinations sont maintenus (New York, Chicago, Montréal, Johannesburg, Bangkok, Tokyo et Sao Paulo) pour rapatrier les ressortissants et le programme combiné des quatre compagnies du groupe ne dépassera pas la cinquantaine de vols hebdomadaires. « Nous n’avons plus aucune réservation », s’inquiète Carsten Spohr, qui explique que l’activité n’a pas été normale depuis le début de l’année, marquée par des annulations de vols vers la Chine dès les premiers jours de février. « Puis la situation s’est dégradée de jour en jour et de plus en plus rapidement. Nous avons été touchés plus vite que nos concurrents » mais le groupe a également réagi bien plus vite, s’étant résolu à de premières coupures dans ses opérations le 26 février.
« Nous ne perdons pas notre optimisme : nous sommes préparés et nous nous y connaissons en gestion de crise. […] Nous résisterons plus longtemps que d’autres », affirme Carsten Spohr. Le dirigeant de Lufthansa souligne que le groupe a un bon niveau de liquidités (4,3 milliards d’euros) et des lignes de crédit disponibles pour un montant de 800 millions d’euros. Par ailleurs, il possède 86% de sa flotte, et près de 90% de ces appareils ne sont pas déjà engagés comme garantie sur des crédits, ce qui représente une valeur comptable de 10 milliards d’euros. Il est donc en position d’obtenir des prêts – mais exclut de vendre sa flotte.
Par ailleurs, le fait que la flotte ne vole plus va réduire de 60% ses coûts (par exemple en supprimant les dépenses carburant). « Cela ne suffira pas. » Le groupe va donc travailler à diminuer d’un tiers ses coûts fixes et semi-fixes (8 milliards d’euros en 2019). Cela passera par la « réduction drastique » de certains investissements – ils devaient dépasser 3 milliards de dollars en 2020, des négociations sont en cours avec Airbus et Boeing -, la rupture des contrats de wet lease, des mesures sociales (gel des embauches, suppression des heures supplémentaires, congés sans solde, temps partiel), la suspension de toutes les formations et opérations de MRO non liées à la sécurité, des dépenses marketing…
Carsten Spohr estime que plus la crise dure, plus les compagnies auront besoin du soutien de leur gouvernement pour poursuivre leur activité. « Si une compagnie contracte des prêts très importants, elle ne pourra pas survivre. Nous sommes tous en discussion avec nos Etats mais il n’en ressort encore rien de concret. Il est trop tôt pour savoir quelle forme prendra le soutien des gouvernements, aides d’Etat, garanties… »
« Pour le moment, nous avons trois scénarios, l’un tablant sur un programme de vols de 5% à 10% sur trois mois, un autre sur six mois, le dernier sur douze mois. Je serais très heureux si nous pouvions voler cet été mais il ne faut pas s’attendre à un programme de vols normal, ce sera un programme spécial car il nous faut des réservations. » Carsten Spohr s’inquiète également du visage du transport aérien après la crise, notamment de la demande des passagers haute contribution et des entreprises. « Les questions que l’on se pose, c’est quelle sera la structure de l’industrie après la crise, quelle seront la structure et la taille du groupe Lufthansa et quelle sera le rôle de l’aviation européenne dans un monde qui aura profondément changé… »