L’horizon est loin de se dégager pour les compagnies aériennes. Alors qu’elles continuent de souffrir de l’anémie de la demande, celles qui avaient obtenu des soutiens de leur gouvernement voient désormais ces aides se tarir. Si la fuite des liquidités n’atteint pas le niveau du deuxième trimestre, elle risque de devenir encore plus rapidement problématique sans nouvelles aides gouvernementales. L’IATA estime qu’une compagnie dans la moyenne en termes de niveau de liquidités ne peut tenir seule qu’environ huit mois et demi, c’est-à-dire jusqu’à la fin du premier trimestre 2021. Sans nouvelles aides, « beaucoup de compagnies ne passeront pas l’hiver », affirme Alexandre de Juniac, son directeur général. Les régions les plus en danger sont l’Amérique latine et l’Afrique, où les soutiens gouvernementaux ont été trop faibles quand ils n’ont pas été inexistants.
L’Association international du transport aérien calcule que les liquidités du secteur vont s’éroder de 77 milliards de dollars au second semestre 2020 – 40 milliards au troisième trimestre et 37 milliards au quatrième trimestre, contre 50 milliards au deuxième trimestre. Cela représente 300 000 dollars perdus chaque minute. Les recettes vont rester basses, la saison hiver étant traditionnellement peu porteuse et s’annonçant même extrêmement difficile cette année avec les deux tiers des passagers qui envisagent de reporter leurs voyages. Au vu de la deuxième vague épidémique et des restrictions, le secteur ne peut même pas compter sur le boost de Noël. Après une saison été « désastreuse » qui n’a pas laissé l’occasion aux compagnies de constituer ne serait-ce que de petites réserves, les compagnies vont être confrontées à trois enjeux de taille : la nécessité de réduire encore davantage leurs coûts, la fin des aides et le début de leur restructuration.
Beaucoup a déjà été fait pour la réduction des coûts : ils sont inférieurs de 50% à l’année dernière. Ceux liés au personnel notamment ont été fortement réformés, avec les mesures de chômage partiel, de temps partiel, des baisses de salaires etc. Il risque d’être difficile pour les compagnies de travailler davantage dessus car les emplois du secteur sont hautement qualifiés et elles ne sont pas prêtes à perdre ces compétences. Toutefois, l’IATA pense que « la reprise n’est pas assez forte pour éviter de nouvelles réductions d’effectifs ». Elle juge également que les coûts liés à la maintenance et à l’entretien des appareils ne peuvent plus être rabotés.
Elle constate également une autre difficulté, liée aux opérations. Alors que le trafic est inférieur de 66% à son niveau de 2019 à la même époque et que les yields sont en forte baisse, « les compagnies n’arrivent pas à réduire leur flotte dans les mêmes proportions ».
Avec cette incertitude qui demeure sur le calendrier de la levée des restrictions, sur l’épidémie, sur le retour des passagers, l’IATA table sur perte de liquidités de 60 à 70 milliards de dollars en 2021. « Le secteur ne devrait pas devenir excédentaire avant 2022. »
C’est pourquoi l’IATA appelle les gouvernements à renouveler leur soutien à l’industrie. S’ils l’ont déjà aidée à hauteur de 160 milliards de dollars au niveau mondial (par des subventions, des allègements de charges, des moratoires…), la poursuite de cette assistance est essentielle selon elle pour éviter au maximum de faillites, mais aussi pour soutenir et nourrir la reprise lorsqu’elle sera là.
« Nous sommes reconnaissants de ce soutien […]. Mais la crise est plus profonde et plus longue que chacun d’entre nous aurait pu l’imaginer. Et les premiers programmes de soutien s’épuisent. Aujourd’hui, nous devons à nouveau tirer la sonnette d’alarme. Si ces programmes de soutien ne sont pas remplacés ou prolongés, les conséquences pour une industrie déjà paralysée seront désastreuses », a commenté Alexandre de Juniac. Il souligne que les compagnies ne sont pas les seules à avoir besoin d’assistance, mais tous les maillons de la chaîne de valeur, y compris les aéroports et les gestionnaires de la navigation aérienne.
S’il y avait un enseignement à tirer de la première phase de la crise en revanche, ce serait d’éviter de jouer sur la dette pour financer les compagnies. « Le niveau d’endettement est déjà trop élevé. Il faut essayer d’utiliser les autres outils à disposition. » C’est également une constatation qu’avait faite Willie Walsh, l’ancien président d’IAG : selon lui, il sera impossible pour l’industrie de revenir à une normale ressemblant à celle d’avant-crise en raison du très fort endettement que les compagnies devront assumer et du changement profond des profils de flotte et des réseaux que la situation actuelle va entraîner.