Le porte-avions Charles de Gaulle est rentré ce mercredi 16 mars à Toulon, après un déploiement de quatre mois en Méditerranée orientale et dans le golfe Arabo-persique. Engagés dans le cadre de la mission Arromanches 2, les 18 Rafale, huit Super Étendard Modernisés (SEM), deux E-2C Hawkeye, deux Dauphin Pedro et une Alouette III Pedro ont oeuvré de manière quasi-quotidienne dans la lutte contre l’organisation terroriste État islamique au-dessus de l’Irak et de la Syrie. Le bilan présenté par l’état-major des armées fait état de 532 sorties aériennes et 102 frappes.
Pour le commandant du groupe aérien embarqué (GAé), comme pour le commandant du bâtiment et le commandant du groupe aéronaval (GAN), le bilan du déploiement est « très positif ». « En plus d’avoir fait mal à Daesh, on a ramené tout le monde, avions et pilotes », énonce le commandant du GAé. « On prend toujours des risques lors d’une opération, mais on a maîtrisé ces risques et on a réussi à avoir un vrai effet militaire. Ça ne se fait pas en jouant aux dés, on a vraiment réfléchi sur l’organisation pour faire le plus mal possible sans prendre des risques inconsidérés et des coups. »
Le capitaine de vaisseau Eric Malbrunot, le « pacha » du Charles de Gaulle, met de son côté en exergue la rapidité de la remontée en puissance du porte-avions, qui a permis d’effectuer les premières frappes aériennes dès le 23 novembre, soit cinq jours après l’appareillage de Toulon : « La performance est liée à la qualité de l’équipage et à l’énergie qu’on a mise tous ensemble dans le ré-entraînement du porte-avions après l’arrêt de l’été ». « C’est quelque chose que je n’aurais pas imaginé faire quand j’ai pris le commandement », ajoute-t-il, se disant « extrêmement fier » de l’équipage et de son engagement, une détermination renforcée par l’impact des attentats du 13 novembre.
Le contre-amiral René-Jean Crignola, commandant du GAN (Task Force 473), parle quant à lui d’un « véritable succès » de la mission Arromanches 2, articulé autour de plusieurs volets. Le premier d’entre eux, la capacité de la Marine nationale à assurer un rythme intense d’opérations aériennes et à produire des effets militaires rapidement. « Les attentats ont accéléré le déploiement. Nous avons eu une période de « surge » pendant une dizaine de jours, afin de donner une pleine puissance au groupe aérien en Méditerranée orientale. Ensuite, on a basculé dans le golfe Arabo-persique, sur un rythme très rapide », détaille-t-il. Missions de recueil de renseignement, de bombardement au profit des troupes au sol en Irak, à un rythme quasi-quotidien, le groupe aéronaval a « largement contribué » aux opérations de la coalition. L’analyse défendue par le commandant du GAN présente « un affaiblissement général de Daesh, sur la défensive, incapable de mener des offensives de grande envergure ». « Le groupe terroriste conduit encore des actions suicidaires terroristes, mais n’est plus capable aujourd’hui de reprendre du terrain. Il en perd chaque jour et est affaibli progressivement, tant en Irak qu’en Syrie. »
Tous s’accordent sur le succès des opérations effectuées par les Rafale M et les SEM, que ce soit lors des missions de bombardement ou de reconnaissance – celles-ci ayant compté pour environ 20% du total. « L’effet psychologique, c’est le plus important », nous confie un fin connaisseur. « L’apport des avions de chasse en appui des troupes au sol a été vérifié et démontré ». Un retour qui achève de convaincre les pilotes de l’aéronavale de l’utilité de leur mission, eux qui sont quasiment allés « au maximum des capacités autorisés en termes d’avions et de bombes ».
Le commandant du GAN met également l’accent sur la coopération avec les États-Unis, avec en particulier la première prise de commandement de la Task Force 50, habituellement sous commandement américain dans le golfe Persique, tout en mettant l’accent sur l’échange de renseignement entre les différentes nations de la coalition « à un niveau inégalé ». « La Marine nationale maintient son rang de marine de haute mer sur toutes les mers, dans un partenariat fort avec les États-Unis », expose le contre-amiral. « C’est une étape historique, selon les Américains eux-mêmes, le fruit d’une coopération sur des années, d’un enchaînement de missions et d’une volonté politique forte. » Il poursuit en ajoutant que l’intérêt de prendre ce commandement pendant plusieurs semaines était de « s’inscrire dans la durée, ce qui permet de voir qu’on est capable de tenir le job ». Et de conclure sur les perspectives futures : « On est passés d’un évènement historique à quelque chose qui pourrait devenir presque normal ».
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Un engagement dans la durée
Quatre mois d’opérations plus tard, le groupe aéronaval est donc rentré à quai, un évènement très attendu par l’équipage, dont l’impatience se faisait ressentir pendant cette dernière semaine à bord. Si la plupart des vols concernaient des exercices, quelques « vols opérationnels » de reconnaissance ont cependant eu lieu, requérant toujours la même concentration et la même vigilance qu’en période d’opérations. « Ce n’est pas parce qu’on est dans une phase de fin de déploiement qu’on vole moins, les derniers jours il y a eu 45 à 50 catapultages par jour », détaille le contre-amiral Crignola.
Durer à la mer et en mission, tel a été l’objectif à mettre en oeuvre durant les 120 jours qu’a duré la mission. « On est en pleine forme », déclare non sans rire le commandant du GAé, qui précise néanmoins que « tout l’intérêt d’un théâtre comme celui-là, c’est de savoir durer ». « Si on nous demande une activité continue jour et nuit pendant X temps, on peut le faire, mais pour combien de temps ? Toute la question, c’est de gérer la durée, c’est quelque chose qu’on a anticipé bien avant la première frappe, on n’est pas partis la fleur au fusil, tout feu tout flamme, à fond et en se disant « on verra ensuite ». C’est fatigant de vivre sur un bateau, on doit se ménager, mais ça fait aussi partie de notre travail de gérer la fatigue. On suit les équipages pour pouvoir faire du repos de personnel et de la maintenance des matériels, c’est cet équilibre besoins/moyens qui doit être trouvé pour faire la mission. Si on sur-utilise les moyens, on va faire la mission ponctuellement, si on ne répond pas au besoin, ça veut dire que les moyens ne sont pas adaptés. »
« Ce qui est très important, c’est de se positionner dans le temps long, d’inscrire les gens dans la durée. Il faut travailler, non pas en cherchant à s’économiser, mais avec des échéances qui permettent de se régénérer », énonce pour sa part le pacha du Charles de Gaulle. Des « no-fly day » ont été régulièrement prévus, environ un par semaine, afin de permettre à l’équipage de se ressourcer, mais aussi pour régénérer les matériels, fortement sollicités dès le départ. « On est passés tout de suite à des vols longs pour les pilotes, de l’ordre de six heures, et sur un rythme très très intense, chaque jour était de la haute couture. Il a fallu ensuite écluser un peu cette période de forte sollicitation. »
Le contre-amiral Crignola insiste également sur l’entretien et la régénération du groupe aérien en termes de qualifications, d’aguerrissement, de préparation opérationnelle pour les plus jeunes. « Il y a une certaine fatigue, mais elle a été gérée. C’est dans l’ADN du marin, quand on prend la mer, on sait à peu près quand on part, mais on ne sait jamais complètement quand on va revenir, donc il y a cette gestion de la fatigue qui est à la fois une affaire individuelle et de commandement. »
« Un porte-avions est encore plus que les autres très soumis à l’actualité internationale, il faut être prêt à continuer et toujours avoir ça en tête », déclare le pacha du porte-avions, rejoint par le commandant de la TF 473 : « On est prêts à toute éventualité. Le marin avance lentement, mais il sait que c’est pour longtemps […] Il y a toujours de l’imprévu quand on part en mer et il faut toujours être quasiment au top de ses performances pour pouvoir repartir si on nous dit tout d’un coup « repartez » ou « accélérez » ».
Après une période de repos et de permissions, le porte-avions serait en théorie capable de repartir en opération, avant l’arrêt technique majeur à mi-vie prévu pour le début de l’année 2017 et qui devrait immobiliser le bâtiment pour au moins un an. Comme l’ont précisé tous nos interlocuteurs, « techniquement c’est possible ». Et si la décision politique devait arriver plus tôt que prévu, « on ne le fera pas forcément avec le sourire, mais on le fera, car on est là avant tout pour faire des opérations. »