Malgré des circonstances difficiles – à savoir la disparition d’un Mirage 2000D la veille – Florence Parly s’est rendue sur le site de Palaiseau, le jeudi 10 janvier au matin, pour ce qui constituait sa première visite à l’Onera après l’annulation de son déplacement à Modane il y a an en raison, déjà, de la perte de deux Gazelle de l’armée de terre. Elle a profité de cet événement pour faire trois annonces majeures pour la consolidation et la modernisation des activités de l’Office de recherche, et aussi lui remettre la médaille de l’aéronautique, fait rare pour une personne morale.
La première annonce concerne l’accord d’une subvention exceptionnelle de 160 millions d’euros à l’Onera pour qu’il puisse (enfin) lancer le regroupement de ses trois sites franciliens afin de créer des synergies et mutualiser les investissements. Les établissements de Meudon et de Châtillon (Hauts-de-Seine) seront ainsi transférés à Palaiseau, au coeur du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay. Un projet attendu depuis des dizaines d’années comme l’a souligné Bruno Sainjon, PDG de l’Onera, lors d’une brève introduction. Cette somme va permettre de boucler l’aspect financier de ce déménagement de grande ampleur, déjà validé par le conseil d’administration de l’Office en fin d’année dernière. Une partie de la subvention sera financée avec la vente de deux sites délaissés.
Cette opération comprend non seulement le transfert des personnels, mais aussi le déménagement de nombreux équipements. Ainsi, ce ne sont pas moins de 800 personnes qui intégreront le site de Palaiseau, qui comprend déjà plus de 600 employés, mais aussi de nombreux laboratoires, moyens de recherche et installations d’essais. Plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés de bâtiments nouveaux seront construits pour l’occasion, avec un emménagement progressif en fonction de leurs livraisons à l’horizon 2022-2023.
Il faudra par exemple transférer la dizaine de « petites » souffleries de Meudon. Une partie d’entre elles, qualifiées « d’industrielles », iront à Palaiseau, tandis que les autres, dites « de recherche », iront à deux kilomètres de là sur le site de l’École polytechnique. Une annexe y sera établie en coopération par l’Onera, l’École polytechnique et l’Ensta ParisTech, afin de créer un pôle de recherche en aérodynamique et en aéroélasticité. Une cinquantaine de personnels venus de Meudon y sera affectée.
L’Europe investit dans la défense
La deuxième annonce porte sur l’accord d’un prêt de 47 millions d’euros de la part de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour les souffleries de Modane (Savoie) et du Fauga-Mauzac (Haute-Garonne), afin de « consolider vos infrastructures et de moderniser vos instruments de métrologie » selon la ministre. Elle ajoute que celui-ci est « le premier que la BEI accorde en Europe à un organisme de défense ».
Ce prêt de 25 ans entre en effet dans les nouvelles prérogatives de la BEI, désormais autorisée par la Commission européenne à financer des établissements duaux (civil-militaire), mais toujours sous l’angle de l’innovation. Elle ne peut ainsi pas accorder un prêt pour un programme d’armement, précise l’un de ses membres présents à Palaiseau.
Cet argent viendra renforcer la démarche Aero testing programme (ATP), lancée par l’Onera en 2014 pour préserver et revaloriser son parc de souffleries, le plus important d’Europe. Il contribuera à l’effort en prenant à sa charge les dépenses de personnels liées à cette modernisation. Au total, prêt compris, c’est un investissement de l’ordre de 65 millions d’euros qui s’engage, précise Patrick Wagner, directeur des Grands moyens techniques. Il ajoute qu’à la différence des subventions de la DGA ou de la DGAC accordées par le passé, notamment pour endiguer l’enfoncement de la grande soufflerie S1MA de Modane et ou construire de nouvelles pales, l’Office disposera d’une certaine souplesse dans l’utilisation des fonds.
L’Onera va ainsi lancer 26 projets, avec notamment comme objectifs de fiabiliser les moyens d’essais, de faire croître leur productivité, d’améliorer la qualité de la métrologie en particulier dans l’aéroacoustique, de rénover le système informatique afin d’augmenter les capacités de recueil et de traitement des données (en nombre croissant avec les mesures dynamiques), etc. De nouveaux moyens, comme la peinture sensible à la pression, les capteurs sans fil, ou encore des bancs pour les essais de technologies de rupture (comme la configuration du projet NOVA) devraient continuer à se développer, ainsi que de nouvelles méthodes comme l’assimilation.
Le parc de souffleries de Modane sera le principal bénéficiaire du prêt de la BEI, à hauteur de 85 % des sommes engagées. © Léo Barnier / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Vers une nouvelle dimension
La dernière annonce de Florence Parly est la demande faite à la DGA d’ouvrir des négociations avec Bruno Sainjon sur « le rôle renforcé que pourra jouer l’Onera dans la remontée en puissance de nos armées ». Une démarche qui rejoint la volonté affichée par la ministre d’inscrire l’innovation au coeur de la Loi de programmation militaire (LPM) qui débute (2019-2025), ainsi que dans la future stratégie spatiale de défense. Cela pourrait déboucher sur l’attribution de nouveaux moyens et sur une possible hausse de la subvention accordée par la DGA, organisme de tutelle de l’Office. Bruno Sainjon souhaite qu’elles concernent aussi dans les règles d’emploi et les conditions de rémunération au sein de l’Office.
Le PDG a accueilli cette nouvelle avec enthousiasme et un certain soulagement, alors que ses équipes sont « déjà sous tension » avec la remontée en puissance significative des commandes commerciales depuis quatre ans. Il souligne ainsi la difficulté croissante pour les bureaux d’études attachés aux souffleries de faire face à de nouveaux contrats, en particulier à l’international (25 % des prises de commandes), en raison du manque de ressources humaines.
Le PDG met aussi en garde contre une situation « plus insidieuse » pour les équipes de recherche : « si nous consacrons toute notre force sur les contrats – qui peuvent être de la recherche – alors que les effectifs sont limités, cela pourrait se faire au détriment de la préparation de l’avenir à moyen et long-terme. C’est un effet dont vous ne voyez les conséquences que cinq, dix, quinze ans plus tard. Considérant que c’est notre mission première, nous voudrions bien éviter cela. »
Les discussions entre Joël Barre, délégué général pour l’armement, et Bruno Sainjon devraient débuter avant la fin du mois. Ce dernier juge que si elles entraînent des évolutions significatives, ces négociations pourront déboucher sur la signature d’un nouveau Contrat d’objectifs et de performances (COP) pour remplacer celui signé en 2016.