« On marche sur la tête ! » Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian n’a pas mâché ses mots en évoquant la situation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels aéronautiques, lors de son audition par les parlementaires de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi de finances 2017. Un constat partagé par l’ensemble des chefs d’état-major, qui déplorent le manque de disponibilité des aéronefs – notamment les voilures tournantes – dû entre autre par des opérations de maintenance plus longues que prévues, des difficultés logistiques, un parc vieillissant ou au contraire pas encore mature, ou encore des contraintes en termes de ressources humaines.
« De manière générale, le MCO est une préoccupation », exprime le chef d’état-major des armées, le général de Villiers. « Sur le MCO »aero », qui représente à lui tout seul le double des deux autres, nous avons des problèmes », poursuit-il. « Ce point me paraît central pour la maîtrise de nos budgets et parce qu’il conditionne l’activité opérationnelle », a déclaré le général Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air. « Il y a certainement beaucoup de progrès à faire dans le MCO des hélicoptères », a pour sa part indiqué le DGA Laurent Collet-Billon, rejoint par le chef d’état-major de l’armée de terre le général Bosser : « Du côté des hélicoptères, le MCO aéroterrestre est »le » point dur ». Il expose la situation de manière pragmatique : « Le modèle économique est, en l’état, non viable. Avec 70% des voilures tournantes du ministère, l’armée de terre est la plus grande entreprise d’hélicoptères lourds d’Europe. Cependant, 100 seulement décollent au quotidien pour un contrat opérationnel de 149 machines. […] C’est un problème économique et opérationnel. »
Les données concernant la disponibilité des différents équipements aéronautiques pour l’année 2015 ne sont pas (encore) disponibles, mais les chiffres 2014 font état d’un taux relativement bas, en particulier sur les flottes d’hélicoptères des trois armées. (Voir à ce sujet : La disponibilité des aéronefs au coeur des discussions budgétaires )
En revanche, des chiffres concernant la disponibilité des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels ont été publiés dans les Projets annuels de performances, annexe au PLF 2017. La disponibilité des hélicoptères de manoeuvre et d’attaque de l’ALAT atteignent respectivement 42 et 59%, les hélicoptères de la Marine nationale affichent un taux de disponibilité de 55%, contre 76% pour les hélicoptères de manoeuvre et de combat de l’armée de l’air. Du côté des chasseurs, les Rafale M atteignent les 77% de disponibilité, contre 86% pour les Rafale et Mirage 2000 de l’armée de l’air. Les avions de patrouille et de surveillance maritime, ainsi que de guet aérien, plafonnent à 54%, les avions de transport tactiques atteignent 68% de disponibilité et les avions d’appui opérationnel (avions de transport stratégique et avions spéciaux) 93%. Le meilleur « score » revient aux avions à usage gouvernemental, qui affichent un taux de disponibilité de 100%.
Une partie du problème réside dans les processus industriels. Pour Jean-Yves Le Drian, la priorité est de « mettre fin à certaines situations ubuesques », faisant référence notamment à des visites qui consomment le potentiel de certains hélicoptères « de plusieurs mois ». Le DGA pointe quant à lui le « désintérêt » de l’industriel pour le MCO de son produit – en l’occurrence le NH90. Si le général Lanata prend en compte « la sévérité des conditions d’emploi en opérations », il évoque également « la maturité insuffisante de la flotte, […] des délais d’immobilisation excessifs au niveau du soutien industriel, des stocks de rechanges insuffisamment provisionnés et […] l’âge des parcs qui impose des traitements industriels de plus en plus longs ». Le constat est partagé par le CEMA, qui parle de « vieux matériels [qui] coûtent de plus en plus cher en MCO » et de matériels neufs qui « coûtent dès le départ beaucoup plus cher que les anciens ». Par ailleurs, l’hélicoptère de nouvelle génération « n’est plus celui d’autrefois », selon le CEMAT : « ce sont des outils numériques, un système de pièces de rechange extrêmement pointu, au moins aussi pointu que celui de l’automobile », nécessitant de fait de nouvelles compétences et donc des ressources humaines appropriées.
« Je ne peux accepter cette situation pour les hélicoptères ni pour les ATL2, d’autant qu’il s’agit souvent plus d’une question d’organisation que de budget. […] Il n’est pas acceptable que nous soyons contraints par ces limites matérielles alors que nous disposons en théorie du nombre d’appareil suffisant. » Dans le registre des mesures prises pour résoudre les difficultés rencontrées dans le domaine, le ministre de la Défense a notamment indiqué avoir lancé des plans qui portent sur « les modalités de gestions des stocks et sur le changement des règles de consommation des pièces ». « Je peux vous assurer de ma très grande vigilance qui débouchera peut-être par quelques interventions dérangeantes, qui auront des répercussions. […] Cela implique de procéder à une petite révolution culturelle. Ces changements peuvent donc faire quelques vagues », a-t-il déclaré aux députés, sans rentrer dans le détail de ces mesures.
Concernant les NH90 en particulier, un « groupe de travail tripartite » regroupant le DGA, le CEMA et NHI, a été mis en place. Il s’agit de trouver des solutions aux problématiques liées au MCO et aux appareils eux-mêmes, afin « d’améliorer la situation d’une manière générale ». Le DGA suggère également que les Ateliers industriels de l’aéronautique (AIA) pourraient pour ainsi dire « récupérer » une partie ou la totalité du travail d’entretien des hélicoptères.
Le chef d’état-major des armées préconise des mesures « en matière de gouvernance ou en ce qui concerne les pièces de rechange dans le cadre du projet supply chain ». Suite aux plans d’urgence lancés pour améliorer la disponibilité des hélicoptères, « la coordination entre la DGA, le SIAé et la SIMMAD s’améliore ».
Le général Bosser recommande également de « raisonner »global » » et d’aller « bien au-delà des machines » : « Il faut raisonner »chaîne de maintenance » » et s’intéresser à la « verticalité des acteurs soutien ». De même, l’extension des intervalles de grandes visites diminueraient la durée d’immobilisation selon le CEMAT, qui indique avoir « gagné » 20% pour le Tigre et 15% pour le NH90.
Si la situation est alarmante et préoccupe l’ensemble des responsables militaires, ils restent globalement confiants sur les perspectives d’amélioration du MCO aéronautique, même si le général Lanata tempère quelque peu sur les résultats concrets attendus par les diverses mesures engagées : « Les cycles sont longs et nous n’observerons pas les effets des actions entreprises avant deux ou trois ans ».