« Au bon moment, au bon endroit, avec les bons moyens et à moindre coût », l’équation n’est pas simple et comporte bon nombre d’inconnues et autant de paramètres à prendre en compte dans l’acheminement des matériels, depuis le hangar en métropole jusqu’à la base aérienne projetée en OPEX.
La logistique « air » repose sur « une structure solide et bien établie », selon le commandant Lilian, chef du bureau animation des opérations logistiques au CPSO (Centre de permanence et de synthèse organique), composée de cinq piliers principaux : le CPSO « réceptionne et traite les commandes et prononce les ordres de mouvements de matériels », suite à une demande émanant de la cellule logistique déployée, qui émet ses demandes de matériels. Créé en 2006, le CPSO fonctionne en « quarts », 24h/24 et 7j/7 et a pour principale mission de « subvenir sans délais aux besoins opérationnels au profit des forces déployées ».
Le CSOA (Centre du soutien des opérations et des acheminements) est ensuite chargé de « fournir le moyen de transport le plus adapté ». Interviennent ensuite l’escadron de soutien et de ravitaillement technique aéronautique, chargé de préparer et conditionner le matériel, ainsi que l’escadron de transit et d’accueil aérien sur les bases aériennes, avec le concours des entrepôts, situés notamment à Romorantin et Ambérieu. L’ensemble se fait en coordination avec la SIMMAD (Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de défense) et les industriels.
C’est au CSOA que revient la charge de « chapeauter » cette chaîne logistique. Dans le cas des matériels aéronautiques, il s’agit de « maintenir le niveau de maintenance des avions en OPEX » et d’offrir un « espace de centralisation du flux logistique », comme l’explique le chef de la division acheminement stratégique, le colonel Franck. « Nous étudions la solution la plus économiquement viable qui permet d’amener le vecteur au plus près des forces. » Qualifié de « bras armé » du CPCO (Centre de planification et de conduite des opérations), le CSOA est issu de la fusion entre le CICLO et le CMT, inauguré en juillet 2014. Il dispose d’une vision globale de la ressource disponible pour acheminer les différents matériels là où les forces armées en ont besoin, avec la tâche de planifier et d’organiser les rotations logistiques en fonction des moyens disponibles. « De l’effet à obtenir va découler le choix modal, en fonction de l’échéance et du choix le plus économiquement intéressant », explique le colonel Franck.
Parmi les moyens disponibles, les équipements patrimoniaux, qui peuvent être complétés par le biais de l’externalisation (SALIS, ATARES, EATC – voir : Une externalisation du soutien aérien à améliorer). Des rotations régulières d’An-124 de Ruslan International, voire de C-17 du SAC (Strategic Airlift Capacity) ou d’avions de nations alliées (Etats-Unis, Canada…) permettent ainsi de pallier les manques capacitaires de l’armée française. Deux plateformes aéronautiques principales se répartissent ces moyens alliés : la BA 105 d’Evreux, qui accueille surtout les C-17 et la BA 125 d’Istres, par laquelle transitent la grande majorité des An-124.
A titre d’exemple, l’envoi de matériel en OPEX depuis l’ESRTA (Escadron de soutien du ravitaillement technique aéronautique) d’Evreux a représenté 1 000 colis, soit 32 tonnes, 1 500 m3 entre janvier et octobre 2016, contre 700 colis, 115 tonnes et 700 m3 pour l’ensemble de l’année 2015. La petite quarantaine de personnels affectée à l’escale aérienne est d’astreinte 24h/24, avec un tiers déployé en OPEX ou en mission Sentinelle, occasionnant de fait quelques tensions en termes de ressources humaines.
Le matériel acheminé va du petit colis au moteur d’avion. Pour ce dernier, la procédure suit un schéma bien précis : Le théâtre émet une demande – la plupart du temps bien anticipée grâce au calcul du potentiel d’heures de fonctionnement – via un système informatique, repris par le CPSO et transmis à l’ERSTA expéditeur, dans le but d’anticiper les demandes de survol, le matériel étant classé comme « marchandise dangereuse » par l’IATA et nécessitant de fait des déclarations préalables de survol. Le CSOA est ensuite chargé de déterminer le mode de transport le plus adapté. L’ordre de pré-acheminement donné par le CPSO va permettre d’amener par voie routière le moteur vers l’ERSTA expéditeur, par le biais du Centre des transports et transits de surface (CTTS).
Dernière étape, l’acheminement à proprement parler. Un jour de novembre 2016, c’est par exemple un C-17 du SAC, qui a ainsi embarqué un moteur de C160 Transall depuis la BA 105 d’Evreux, afin de l’acheminer au Sahel pour les besoins de l’armée de l’air. L’équipage multinational ce jour-là opère sous demande de la Suède, contributeur pour la France au titre de l’article 42.7 du traité de l’Union européenne (suite aux attentats de novembre 2015).
Trois degrés d’urgence ont été définis par le CPCO, qui fixent de fait les délais d’acheminement. Les demandes « immédiates », avec réception sous 10 jours par le théâtre, les demandes « urgentes », en-dessous de 45 jours, le reste étant catégorisé en degré « routine ». Le commandant Lilian précise toutefois « qu’en cas de besoin opérationnel absolu, les armées disposent de tous les moyens d’action permettant de faire arriver un colis en moins de 48 heures, y compris en recourant à un transport par voie aérienne civile ».
S’agissant des enjeux et défis de la logistique aérienne, le commandant Lilian identifie trois secteurs clés, l’efficacité, les coûts et les délais. Si le dispositif « répond au besoin » de manière globale, il est à noter que le renouvellement des flottes, la disponibilité des appareils, l’externalisation et les accords internationaux impactent toutefois l’efficacité opérationnelle globale – ainsi que sur la courbe des coûts (cf. le récent rapport de la Cour des comptes sur les OPEX et l’impact de l’externalisation : Les opérations extérieures de la France). Dans le registre des délais, si l’armée de l’air « dispose d’une culture naturelle tournée vers la permanence opérationnelle et la réactivité », comme l’explique le commandant Lilian, la difficulté reste d’arriver à respecter la « boucle temporelle courte » – et ce, même si 100% des demandes immédiates et 95% des demandes urgentes sont honorées. Au prix cependant de périodes de « surchauffe » et d’efforts supplémentaires consentis par les personnels des bases aériennes.