La Cour des comptes ne s’y trompe pas, lorsqu’elle évoque le soutien logistique par voie aérienne : « le recours à l’externalisation ne résulte pas d’un choix issu d’une analyse coûts/avantages, mais vise à pallier des déficits capacitaires qui peuvent être durables ». En clair, la France souffre d’un manque de moyens patrimoniaux pour assurer l’ensemble des missions de transport stratégique de ses armées et est sujette à une très forte dépendance à des moyens non militaires, sur un secteur opérationnel sensible. Entre 2012 et 2015, « moins de 15% des tonnes de fret aérien » destinées aux OPEX a été transporté par des moyens disponibles en propre, les trois-quarts ayant été externalisés.
Tout l’enjeu est donc de déterminer jusqu’où les forces armées peuvent-elles aller dans l’externalisation du soutien aérien, alors que les moyens propres viennent à manquer, et malgré un impact financier non négligeable découlant du recours à d’autres opérateurs.
Afin d’acheminer du matériel militaire depuis les hangars de sites situés en métropole, jusque sur le théâtre d’opérations, le Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA) dispose d’un éventail de moyens, auquel il décide d’avoir recours en fonction de la disponibilité des équipements, des conditions opérationnelles, du fret transporté et du degré d’urgence.
L’affrètement aérien externalisé peut être effectué par quatre moyens différents : pour des urgences, soit moins de 20 jours, un accord-cadre d’affrètement composé de sept titulaires ; un marché à bons de commande d’affrètement attribué par International chartering systems (ICS) depuis 2014 ; les voies aériennes commerciales, réservés aux colis de petite taille ; et enfin le marché SALIS (Strategic airlift interim solution), marché signé entre Ruslan International et l’agence de soutien de l’OTAN, avec des heures de vol prépayées. Ruslan International, co-entreprise entre Volga-Dnepr et Antonov Airlines, doit cependant cesser ses activités au 31 décembre, en raison notamment de la situation tendue entre l’Ukraine et la Russie. Une situation problématique, que la Cour des comptes avait d’ailleurs évoquée dans son rapport publié en octobre : « Si ces contrats répondent aux besoins opérationnels, on peut s’interroger sur les risques financiers et opérationnels que ferait peser une crise mondiale dans le secteur du transport stratégique aérien, sans même évoquer le scénario de difficultés diplomatiques. »
Si la Cour des comptes préconise « une clarification nécessaire des conditions de retours aux deux prestataires principaux de transport stratégique aérien », c’est qu’elle a relevé quelques incohérences tarifaires entre les contrats SALIS et ICS, selon des données fournies par le CSOA. Le bilan serait plutôt « défavorable » au contrat ICS, avec un coût à l’heure de vol de 41% plus élevé entre 2012 et 2014, mais aussi un coût à la tonne transportée de 32% plus cher (excepté en 2012). Alors que le recours à l’externalisation a été très marqué en 2013 suite au lancement de l’opération Serval, l’état-major des armées aurait indiqué un coût à l’heure de vol d’un Antonov 124-100 à 86 000 euros pour ICS, contre 36 000 euros pour le contrat SALIS, malgré des services légèrement différents – ICS incluant le traitement du fret avant chargement, tandis que SALIS ne comptabilise que le « vol sec ». Le rapport prévoit entre autres de « prévoir une répartition entre SALIS et ICS des heures de vol nécessaires […] donnant une claire priorité au recours au contrat le plus favorable ».
Le rapport de la Cour des comptes met également en avant « le très faible recours à la mutualisation entre forces alliées », que ce soit par le biais du processus ATARES (Air transport & air to air refueling and other exchange of services) ou de l’EATC (European air transport command). Si le premier est basé sur le « troc d’heures de vol » entre Etats de l’Union européenne, le second prévoit la mise à disposition d’avions de transport entre sept pays de l’UE (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas). Dans les deux cas, la participation de la France se heurte au faible taux de disponibilité de ses appareils (A400M, C160 Transall) pour ses propres missions.
Dernier moyen à disposition des forces armées françaises, le recours à des accords bilatéraux, comme c’est actuellement le cas avec les Etats-Unis, dont trois KC-135 sont stationnés sur la BA 125 d’Istres depuis le mois de mars, avec le Canada, qui intervient de manière « ponctuelle » avec un C-17 au Sahel, voire avec l’Allemagne et ses deux C160 Transall allemands mis à disposition de la MINUSMA mais qui peuvent également effectuer des missions de transport au profit de la force Barkhane.
Le récent rapport de la Cour des comptes recommande dans ses conclusions de « développer le recours à la mutualisation multinationale et améliorer l’efficience du recours aux moyens externalisés » dans le but de « mieux répondre aux besoins de transport aérien stratégique et dans l’attente de mise à disposition de moyens patrimoniaux ».