Comme le déclarait Randy Tinseth au salon de Singapour, l’industrie aéronautique n’est pas une industrie qui vit des commandes et des backlogs, elle ne se base que sur les livraisons. Paraphraser le vice-président en charge du marketing chez Boeing Commercial Airplanes pour parler d’Airbus peut paraître original, mais force est de constater que les deux avionneurs sont confrontés au même défi : celui de produire les milliers d’avions commandés ces dernières années, à commencer par leurs monocouloirs remotorisés. Cette question a d’ailleurs été au centre de la conférence de présentation des résultats annuels du constructeur européen, le 15 avril à Toulouse.
Airbus Avions commerciaux peut se targuer d’avoir réussi une belle année avec un record de 718 livraisons en 2017 (+4 % par rapport à 2016) et un chiffre d’affaires de 51 milliards de dollars (+3 %). Cela encourage Tom Enders, président exécutif du groupe, à se montrer « très optimiste » pour 2018. Il table ainsi sur un objectif de l’ordre de 800 livraisons pour 2018. Cela représenterait bien sûr un nouveau record, mais surtout une progression à deux chiffres par rapport à 2017.
Pour y arriver, le constructeur devra mener à bien la montée en cadence de la famille A320neo, de l’A350 et accessoirement réussir l’introduction de l’A330neo sur le marché. Le tout malgré quelques vents contraires. Comme le déclare très simplement Tom Enders : « continuer la montée en cadence est évidemment notre principal défi opérationnel ».
Sur ce plan, le rythme de production (ou plus exactement de livraison) de l’A320neo est assurément au centre des préoccupations. Il faut dire que la part des monocouloirs (famille A320ceo et A320neo) est prépondérante dans l’activité d’Airbus. Ils ont constitué 77 % des livraisons en 2017, et devrait encore en représenter environ les trois-quarts cette année avec environ 600 appareils. La réussite de l’objectif de 800 livraisons en 2018 dépend donc largement d’eux.
Des problèmes récurrents sur les moteurs
Malgré son importance, la montée en cadence de l’A320neo présente encore beaucoup d’incertitudes, ne serait-ce que parce que sa réussite ne dépend pas que d’Airbus. Le programme affronte en effet des problèmes à répétition avec ses moteurs. Le PW1100G-JM de Pratt & Whitney est le principal concerné, avec un nouveau problème révélé la semaine dernière. « Plusieurs arrêts moteur en vol ainsi que des interruptions de décollage ont été rapportés » selon l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). Une centaine de moteurs sont touchés, dont 43 déjà en service, les autres étant en attente d’installation chez Airbus. Des compagnies ont d’ailleurs d’ores et déjà décidé de reporter certaines livraisons.
Comme un problème ne vient jamais seul, ces défaillances viennent s’ajouter aux problèmes de fiabilité du PW1100G-JM rencontrés depuis deux ans. De même, le LEAP (l’autre motorisation de la famille A320neo) a rencontré des problèmes de longévité avec une détérioration prématurée au niveau de la turbine haute pression (HP). Si on y ajoute les problèmes inhérents à une montée en cadence d’un niveau sans précédent dans l’industrie aéronautique, les deux motoristes ont du mal à livrer des moteurs (avec un niveau de maturité suffisant) en temps et en heure à Airbus. Ce dernier n’avait pu ainsi livrer que 181 A320neo au lieu de 200 initialement attendus l’an dernier.
Tom Enders se veut rassurant et affirme qu’il est prématuré de remettre en cause les prévisions pour l’année 2018 : « nous avons l’habitude de faire de la gestion de crise sur la situation des moteurs depuis deux ans. Croyez-moi, nous travaillons de façon très étroite avec les partenaires de Pratt & Whitney comme de CFM. Le principal objectif est de minimiser les perturbations pour les clients, de recommencer à livrer de bons moteurs aussi vite que possible et de continuer le processus de livraisons en 2018. Nous avons confiance en nos équipes et nos partenaires pour atténuer cette situation. »
Pourtant, force est de constater que les prévisions de livraisons d’Airbus sont adjointes de la mention « sous réserve que les motoristes respectent leurs engagements ».
Airbus joue la carte de la flexibilité
Airbus garde néanmoins une carte dans sa manche pour préserver cet objectif. Tom Enders compte ainsi sur « la flexibilité » de son outil de production, capable de jongler entre les A320ceo et A320neo. En cas de nouveaux ralentissements pour l’A320neo, qu’ils soient dus aux moteurs ou à toute autre raison, il pourra remonter en puissance pour l’A320ceo. Cela ne résoudrait pas tous les problèmes, mais atténuerait tout de même quelque peu leur impact… momentanément du moins.
A en croire le patron d’Airbus, le constructeur à comme but de livrer deux tiers d’A320neo cette année – ce qui ferait environ 400 appareils, soit plus du double de 2017 – contre un tiers d’A320ceo. Pour y arriver, il compte notamment sur la montée en cadence de production de l’appareil dans son usine de Tianjin (Chine), qui a livré son premier A320neo en octobre 2017, ainsi que dans celle de Mobile (Etats-Unis), qui s’apprête à faire de même en mars.
Si ce ratio de deux tiers/un tiers n’était pas respecté en fin d’année, cela pourra alors donner une idée des difficultés rencontrées par Airbus au cours de l’exercice.