Airbus aura particulièrement bien géré la crise et les résultats financiers présentés ce 18 février en témoignent. Bien sûr, l’impact de la pandémie s’est finalement traduit par une perte nette de 1,13 milliard d’euros l’année dernière, mais ce chiffre est à relativiser quand on connaît l’ampleur de la crise sur les compagnies aériennes, à l’instar d’Air France-KLM qui vient de publier une perte nette près de 7 fois supérieure (7,1 milliards d’euros). Quant à son concurrent Boeing, les pertes sont encore plus abyssales (11,9 milliards de dollars, 9,85 milliards d’euros) même si les raisons sont évidemment en partie bien différentes.
Comme l’a souligné Guillaume Faury lors de la téléconférence des résultats du groupe aéronautique européen, Airbus aura finalement réussi à « naviguer dans la pire crise qu’ait connue l’aviation dans toute son histoire » et aura réussi à livrer 566 avions commerciaux l’année dernière, une véritable prouesse (lire l’article : Airbus aura finalement réussi à livrer un total de 566 avions commerciaux en 2020). Nous sommes évidemment bien loin du record des livraisons de 2019 et le chiffre d’affaires du groupe s’en ressent, passant de 70,5 milliards d’euros à seulement 49,9 milliards d’euros en 2020 (-29%). Pour l’activité avions commerciaux seule, la chute de chiffre d’affaires est encore plus importante (-37%) alors qu’en même temps les branches Hélicoptères et Defence & Space se sont clairement montrées résilientes l’année dernière (évolution de +4% et -4% du chiffre d’affaires respectivement).
L’activité imputable aux avions commerciaux représente cependant toujours plus de 68% de la totalité du chiffre d’affaires d’Airbus, à 34,25 milliards d’euros.
Plusieurs charges exceptionnelles ont par ailleurs aussi contribué aux pertes enregistrées par Airbus. L’avionneur a en effet provisionné 1,2 milliard d’euros pour financer son plan de restructuration, a enregistré 385 millions de coûts liés à la fin du programme A380 ainsi que 480 millions pour des réévaluations comptables.
Le backlog d’Airbus a fondu de 100 milliards d’euros
Le carnet de commandes d’Airbus a cependant été réduit de près de 100 milliards d’euros en valeur en un an (-21%), passant de 471,5 à 373,1 milliards d’euros. Cette importante baisse est d’autant plus significative que son backlog d’avions commerciaux est au contraire resté près de son plus haut niveau (7 184 avions contre 7 462 fin 2019), Airbus ayant ajouté 383 nouveaux avions contre seulement 115 annulations sur la période. Selon Dominik Asam, le directeur financier d’Airbus, cette dépréciation est liée d’une part à l’estimation des capacités financières des clients à honorer leur contrat, mais aussi bien évidemment à la valeur actuelle du dollar.
Priorité à la gestion du carnet de commandes
Le président exécutif d’Airbus a évidemment voulu donner quelques prévisions pour 2021, avec notamment « le même nombre de livraisons d’avions commerciaux qu’en 2020 », même si la situation reste complexe. « Nous nous focaliserons sur les livraisons en surveillant de près la situation financière de nos clients » a-t-il expliqué. Guillaume Faury a d’ailleurs rappelé que la pandémie n’était pas terminée et que même si l’arrivée des vaccins constituait un réel progrès, des confinements et des refermetures de frontières étaient toujours là. « À court terme, c’est même en train de s’aggraver, mais il est possible que les situations à moyen et long termes soient encore meilleures » a-t-il annoncé.
La production d’aérostructure restera au coeur de l’outil industriel d’Airbus
Autre annonce de Guillaume Faury durant la présentation des résultats annuels du groupe, et non des moindres, « les activités d’aérostructures resteront au coeur de l’outil industriel d’Airbus ». Avec cette annonce, Guillaume Faury écarte désormais tout désinvestissement et toute séparation possible avec Stelia Aerospace en France ou avec Premium Aerotech en Allemagne, alors que ces deux filiales ont elles aussi été très durement impactées par la réduction des cadences depuis l’année dernière.
Il souligne le fait que cette activité, très fragmentée devra renforcer sa compétitivité face à la pression sur les prix mais qu’elle restera au sein d’Airbus. Guillaume Faury explique aussi qu’elle pourrait même devenir particulièrement stratégique, à un moment où ses projets d’avions décarbonés pourraient être accompagnés d’architectures nouvelles (fuselage, nouvelles intégrations des motorisations…), avec les avantages de la continuité numérique apportée par les DDMS (Digital Design Manufacturing Services).
Le projet de FAL A321neo à Toulouse au frigo
Le patron d’Airbus a également voulu rappeler que les conditions actuelles du marché n’étaient pas encore propices au lancement du projet de création d’une ligne d’assemblage final dédiée aux A321neo à Toulouse, alors que l’avionneur européen restera encore un certain temps dans une situation où ses capacités d’assemblage de monocouloirs demeureront supérieures aux besoins réels de ses clients.
Le projet de FAL A321 sur le site Lagardère à Blagnac, alors que le dernier A380 est désormais achevé, reste ainsi en mode « idle » selon Guillaume Faury, même si la variante la plus capacitaire de la famille A320neo sera assurément l’une des priorités du groupe durant la reprise, conformément à la tendance observée durant ces dernières années.
On sait qu’Airbus a déjà décidé d’investir 60 millions d’euros pour accroître ses capacités de production de pointes avant pour la famille A320neo sur son site de Gron (Saint-Nazaire), notamment pour l’A321neo. Le site de Hambourg vient aussi de se voir doté d’une ligne pilote pour la production de sections spécifiques à l’A321XLR dans son hangar 260, où étaient auparavant assemblés les tronçons avant et arrière de l’A380.
Les programmes long-courriers pourraient redémarrer très fort après la crise
Le président exécutif d’Airbus a par ailleurs rappelé que si le segment des gros-porteurs long-courriers était évidemment le plus impacté par la crise, sa gamme d’avions sur ce marché pourrait aussi connaître une forte croissance lors de la reprise. Il a rappelé que l’A350 était l’un des appareils les plus utilisés au plus fort de la crise et que l’A330neo n’était quant à lui qu’au tout début de son ramp-up avant le déclenchement de la pandémie. « L’A330neo est un atout important et il pourrait même un jour aussi concerner les programmes militaires », a-t-il ajouté.
En attendant, Guillaume Faury table toujours sur une reprise réelle du marché intervenant entre 2023 et 2025 en fonction de l’évolution de la pandémie mais aussi, et surtout, des décisions des gouvernements.
Il ne s’est d’ailleurs pas privé au passage d’égratigner Boeing de façon subliminale en comparant les initiatives lancées par Airbus qui mèneront à la décarbonation de l’aviation avec la révolution des commandes de vol électriques (Fly-By-Wire) introduites dans l’aviation commerciale au milieu des années 1980 sur l’A320. « Comment pourrait-on sérieusement aborder ce marché aujourd’hui sans en avoir » a-t-il lancé, une petite phrase qui aura sans doute fait siffler les oreilles des responsables du plus important programme de son concurrent outre-Atlantique, à savoir le 737 MAX.
Le duel industriel historique entre Airbus et Boeing est clairement au point mort aujourd’hui avec la crise, mais Airbus vient en quelque sorte de prévenir qu’il ne baissera pas la garde.