On connaît le goût de Benjamin Saada pour l’innovation. Après avoir cofondé ExpliSeat, qui propose l’un des fauteuils d’avion les plus légers de l’industrie, celui-ci s’est lancé dans un nouveau projet à l’ambition immense : le recyclage des composites à fibre de carbone. Il a ainsi créé Fairmat, une société qui s’apprête à proposer une technologie nouvelle de recyclage et réutilisation de ce matériau, avec un bilan carbone exemplaire. Fairmat vient de boucler une levée de fonds de 8,6 millions d’euros avec le fonds d’investissement dans les start-ups français Singular, qui lui permettra de se doter de l’usine et des équipements nécessaires à l’industrialisation de sa technologie. Et de devenir « l’une des solutions capables de changer la dynamique d’émission de CO2 de l’industrie aéronautique. »
Benjamin Saada raconte le constat qui lui a donné l’idée de Fairmat. « Je me suis aperçu que les matériaux en fibres composites de carbone étaient principalement incinérés ou enfouis, lorsqu’il y avait des chutes en production ou qu’ils arrivaient en fin de vie. Je m’en suis particulièrement ému parce que les matériaux en fibre de carbone sont des matériaux du futur : ce sont les seuls capables de stocker de l’hydrogène, c’est grâce à eux que les avions de nouvelle génération consomment beaucoup moins que la génération précédente. Ils permettent les économies d’énergie mais, en même temps, il n’y a pas de solution de recyclage ou de fin de vie écologique. »
Fairmat affiche une économie de CO2 de 41kg par kilo de matière recyclée
Il existe actuellement plusieurs façons de recycler les composites à fibre de carbone, comme la thermolyse ou la solvolyse. Mais ces « technologies émettent plus de CO2 que la fabrication de matière neuve », explique-t-il. Au contraire, la solution développée par Fairmat permet une économie de bilan de CO2 de 41kg par kilogramme de matière recyclée par rapport à la production de matière neuve.
Pour parvenir à un tel résultat, Fairmat a développé « une technologie de traitement mécanique, qui consomme très peu d’énergie et n’émet pas de produits chimiques, qui est associée à des technologies d’intelligence artificielle, de machine learning et de robotique, et qui permet, avec ces processus mécaniques assez standards, de générer des matériaux très résistants ».
Un matériau haute performance
Il en résulte un nouveau matériau dans lequel les fibres de carbone ne sont pas continues mais sont tout de même très peu détériorées, et qui présente une résistance équivalente à l’aluminium, avec une masse réduite de moitié. Fairmat estime qu’il peut donc s’adresser à différents marchés comme le bois, le plastique, la fibre de verre et les métaux.
Le composite recyclé n’a toutefois pas du tout vocation à remplacer le composite à fibre de carbone neuf. « Nous restons dans la catégorie des matériaux haute performance mais ça n’égale pas le matériau neuf. Les applications exceptionnelles comme le spatial ou l’aéronautique auront toujours besoin des meilleurs matériaux disponibles au monde. Donc ces industries-là ont besoin de matériau neuf pour faire des ailes d’avion ou des pales de moteur. En revanche, pour tout le reste, il y a Fairmat. Là où on utilise de l’aluminium, du plastique, des fibres de verre, il y a autre chose, un matériau qui est mieux à tous égards, économiquement acceptable et qui apporte des économies de CO2. »
Dans l’aéronautique, le matériau produit par Fairmat peut par exemple servir à faire des habillages, des panneaux de cabine. Mais les applications dépassent le secteur et la société estime pouvoir fournir le secteur de la mobilité en général (notamment la mobilité urbaine, vélos, trottinettes…), les biens de consommation électroniques, les activités de loisir, le nautisme…
L’A350 compte une centaine de tonnes de composites à fibre de carbone dans sa structure © Airbus
L’industrie aéronautique derrière le projet
Fairmat a déjà signé ses premiers partenariats et indique avoir reçu un énorme soutien de l’industrie aéronautique, avec des partenariats commerciaux qui ne demandent qu’à être renforcés. « Les industriels de l’aéronautique en Europe ont vraiment la volonté de verdir leur production donc ils sont tous d’une manière ou d’une autre partenaires de notre société, soit sur la problématique du recyclage et de la fourniture des chutes de production de composites à fibre de carbone, soit sur celle de la sélection de matériaux pour des applications qui ne sont pas faites en carbone aujourd’hui. »
La société, basée à Paris, est désormais à la recherche de son usine, pour pouvoir lancer la production en 2022, avec l’objectif d’atteindre une capacité de 5 000 tonnes par an. Deux locations sont actuellement envisagées, toutes deux en région. Elle est également en phase de recrutement et estime qu’elle comptera une trentaine de collaborateurs d’ici la fin de l’année.
L’objectif de Fairmat est de fournir une solution qui permette d’éviter l’incinération ou l’enfouissement des chutes de production en Europe, dans un premier temps. Mais la société se prépare déjà pour la suite : le recyclage des composites à fibre de carbone issus des démantèlements. Le premier secteur qui va être confronté à cette problématique est celui de l’éolien, où les premières éoliennes arrivent en fin de vie – ce qui représente 300 000 tonnes de matière composite à traiter. Dans l’aéronautique, la question se pose également avec les démantèlements précoces d’Airbus A380 mais sera plus brûlante encore quand les premiers appareils de nouvelle génération arriveront en fin de vie à leur tour. Fairmat compte donc avoir une solution à proposer rapidement.
« C’est l’annonce d’une levée de fonds mais cela va un peu plus loin », résume Benjamin Saada. « C’est l’annonce d’un changement de paradigme dans le monde du recyclage pour les industriels, capable d’être écologique et de proposer une forme de circularité. C’est aussi, pour les industriels de l’aéronautique, l’annonce qu’ils peuvent avoir un partenaire à l’écoute pour s’occuper de leur partie déchet composites carbone, les soulager de cette responsabilité et les aider dans leur transition écologique. »